Notes
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[1]
Psychosociologue, formateur à l’IRTS de Paris Île-de-France.
-
[2]
Claire Neirinck, « La loi du 6 juin 1984 à l’épreuve du temps », JDJ, n° 242, février 2005, pp. 14-20.
-
[3]
Voir à ce sujet Nigel Cantwell, « Normes internationales sur la protection de remplacement des enfants : des lignes à suivre… », JDJ, n° 298, octobre 2010, p. 39-42
-
[4]
Idem page 40
-
[5]
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant va permettre des changements à ce sujet ; elle introduit un alinéa à l’article 377 du Code civil après celui relatif au désintérêt des parents ou à leur impossibilité à exercer l’autorité parentale. Les seconds et troisièmes alinéas se présentent désormais ainsi : « En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale.
Dans ce dernier cas, le juge peut également être saisi par le ministère public, avec l’accord du tiers candidat à la délégation totale ou partielle de l’exercice de l’autorité parentale, à l’effet de statuer sur ladite délégation. Le cas échéant, le ministère public est informé par transmission de la copie du dossier par le juge des enfants ou par avis de ce dernier ». -
[6]
Xavier Charlet, « La place des parents, de l’enfant et des professionnels. Pistes de réflexion pour la pratique », dossier ONED Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance, septembre 2013.
-
[7]
Guide social roman (GSR) réalisé par l’Artias, http://www.guidesocial.ch/fr/fiche/110/
-
[8]
Voir à ce sujet : Philippe FABRY « Projets de vie, adoptions et double appartenance », octobre 2012 ; http://aifris.eu/03upload/uplolo/cv2559_1364.pdf
1 La création du diplôme d’État d’assistant familial (DEAF) a traduit la volonté politique d’associer plus encore protection de l’enfance et soutien de la parentalité.
2 Cette double mission suppose que les assistants familiaux ne travaillent pas isolés et sur un mode substitutif, mais s’inscrivent dans un mode de suppléance familiale (P. Durning), dans le cadre d’un travail d’équipe.
3 La professionnalisation est donc un progrès, conforme à l’esprit de l’assistance éducative, que Claire Neyrinck décrit ainsi : « L’assistance éducative représente une aide apportée aux parents en vue de favoriser l’instauration ou la restauration de leur autorité. En aucun cas elle ne doit être conçue comme une situation définitive : la mesure adoptée est toujours révisable. Elle s’inscrit en effet dans une perspective d’évolution de la famille. Comme la protection administrative, elle représente une sorte de « pari » sur son avenir : avec l’aide apportée, celle-ci doit pouvoir retrouver un fonctionnement autonome satisfaisant ». [2]
C’est là que je situe un risque pour les assistants familiaux
4 Leur professionnalisation a tout son sens quand le soutien des parents de l’enfant est effectif et le placement provisoire.
5 Quand ce n’est pas le cas, qu’en réalité il n’y a pas d’assistance éducative et que le caractère provisoire du placement devient une fiction, alors cette professionnalisation peut être défavorable à l’enfant. Celui-ci est alors privé de la famille de remplacement dont il a besoin. N’étant pas confié à sa famille d’accueil, mais « placé » dans un service dont son assistant(e) familial(e) fait partie, il n’a aucune garantie de stabilité affective.
6 La professionnalisation se traduit par une plus grande participation des assistants familiaux au service de placement familial, mais aussi, inversement, par une plus grande présence des services dans la vie des enfants placés et donc par une augmentation de l’institutionnalisation de l’accueil.
7 C’est dommageable quand le placement s’éternise, en particulier pour les enfants (20% des situations) orientés vers la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et qui risquent d’être institutionnalisés toute leur vie. Je fais l’hypothèse que pour beaucoup d’entre eux, leur principal handicap est un manque d’appartenance.
8 Pour expliquer ce risque, je propose de comparer le placement familial en France et dans les pays voisins. Il apparaît alors que le choix français de professionnalisation des assistants familiaux fait exception en Europe. Le modèle dominant est plutôt la famille d’accueil bénévole (mais défrayée), de préférence recherchée dans la famille élargie de l’enfant.
9 Cela correspond à l’idée qu’un enfant, s’il est jeune et ne peut être élevé par ses parents, a le droit de vivre malgré tout une vie ordinaire dans une famille qui devienne la sienne. Ce modèle évolue, devient moins substitutif, avec la référence à une pluriparentalité et donc à un maintien des liens avec les parents.
10 L’enfant a au moins un parent engagé de façon inconditionnelle dans son quotidien et il est clair pour tous qu’il en a besoin. Il est clair aussi que les parents d’accueil ont besoin de l’aide de services faisant tiers dans la relation avec les parents, afin de déconflictualiser la double appartenance des enfants.
11 Selon les pays et les régions, ce soutien va de très faible à très fort.
12 Le bénévolat est lié au caractère adoptif de l’accueil permanent ; cette dimension adoptive peut être décrite à partir de deux grandes distinctions.
13 Première distinction : dans le champ de la protection de l’enfance, il y a en Europe toute une palette adoptive, allant de l’adoption la plus forte, l’adoption plénière, à la plus faible, que je nomme « confiage », ou « adoption temporaire d’éducation » (le fosterage anglo-saxon) : l’enfant est confié durablement, de préférence avec l’accord des parents, sinon par les services de protection. Cela implique un engagement du milieu d’accueil.
14 Pour les enfants, cet engagement a une grande force d’inscription sociale, de sécurisation affective : c’est ici ta place, tu peux durablement compter sur moi (sur nous). Je postule qu’instituer la pluriparentalité a pour l’enfant l’effet de faire baisser les conflits de loyauté.
15 Deuxième distinction : l’engagement adoptif est soit initial, soit constaté après coup : après des années, une parenté de facto a été créée. Ce type de parenté est reconnu dans le Code civil suisse : « Lorsqu’un enfant a vécu longtemps chez des parents nourriciers, l’autorité de protection de l’enfant peut interdire aux père et mère de le reprendre s’il y a une menace sérieuse que son développement soit compromis. Une telle menace existe principalement lorsque l’enfant a pris racine chez ses parents nourriciers et que ceux-ci sont devenus ses véritables parents au point de vue psychologique et social »
Les fictions françaises
16 Par comparaison, la protection de l’enfance France est caractérisée par des fictions basées sur une confusion entre projets et réalités.
17 Le premier projet, incontestable, consiste à vouloir tout faire pour qu’un enfant soit élevé par ses parents.
18 Cela correspond à la base de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Mais cette convention a été suivie d’un très gros travail international (qui a eu peu d’écho en France) pour définir la notion de protection de remplacement [3]. Le but était de lutter contre les placements abusifs, mais aussi contre l’institutionnalisation, et particulièrement les situations sans « aucun planning pour l’avenir de l’enfant qui permettrait de prévoir une solution permanente à sa situation : retour à sa famille, prise en charge stable par une famille de substitution [4]«
19 Tout faire pour que l’enfant puisse vivre avec ses parents a deux limites : il faut que cela soit possible ; cela peut ne pas être dans son intérêt de vivre avec ses parents.
20 En France, lorsque le placement devient permanent, le statut de l’enfant, soit n’évolue pas (on reste dans le cadre de l’assistance éducative qui devient alors fictif), ou évolue vers une délégation de l’autorité parentale (article 377 du Code civil) qui fait de l’enfant placé un enfant de l’ASE. La délégation n’est pas attribuée à un parent dans le quotidien de l’enfant, mais à une administration [5].
21 Deuxième projet : soutenir les parents en leur donnant des droits.
22 L’utilisation du droit du divorce dans la protection de l’enfance a conduit à une référence permanente à l’autorité parentale, avec la distinction entre « actes usuels » de l’éducation (attribués au milieu d’accueil) et « actes non usuels » (de la responsabilité des seuls parents). Cela peut produire involontairement la construction d’une fiction : en tant que responsables des décisions importantes, les parents restent en permanence présents pour l’administration, même quand ils sont absents du quotidien de leur enfant.
23 Pour Xavier Charlet, « cela pose la question du fondement de l’autorité de l’accueillant (famille d’accueil, maison d’enfant, etc.). Cette autorité fondée sur l’obligation de prendre en charge l’enfant confié, la gestion du quotidien, le vivre-ensemble, les actes usuels peut paraître fragile sur le plan juridique et éducatif. Il s’agit de faire autorité sans avoir autorité, les parents continuant en principe à exercer tous les attributs de l’autorité parentale. Cette autorité est d’autant plus réduite que les professionnels ont tendance à solliciter l’accord des parents, y compris pour des actes usuels, pour lesquels il n’est précisément pas requis. La pratique de solliciter cet accord est très répandue, car elle permet de respecter l’autorité parentale et de préserver la place des parents, mais elle excède les exigences du droit » [6].
24 Ce n’est pas qu’une question d’autorité, pour l’enfant c’est aussi et d’abord une question d’appartenance : dans le placement permanent elle peut être insuffisante dans sa famille d’origine et dans sa famille d’accueil.
25 Dans deux grands types de situations le placement devient permanent de façon assez prévisible :
- les parents, durablement, ne sont pas impliqués dans le quotidien de leur enfant ;
- l’enfant a subi trop d’abus et/ou de rejet.
26 Évaluer ces deux types de réalité suppose des outils, des procédures pluriprofessionnelles. Il importe aussi d’évaluer l’aide apportée aux parents.
27 Le danger pour les assistants familiaux et leur famille est de se trouver pris dans une contradiction insoluble quand l’enfant trop délaissé ou trop maltraité a besoin d’une adoption réparatrice. Répondre à ce besoin de l’enfant attaque le principe professionnel sacralisé de non substitution aux parents.
28 Un aspect essentiel du problème est que notre système de protection de l’enfance n’a aucune progressivité et fonctionne en tout ou rien.
29 Cela apparaît nettement par comparaison avec la conception de la protection de l’enfance dans le Code civil suisse, qui « a prévu une série de mesures, d’intensité croissante, qui doivent :
- écarter tout danger pour le bien de l’enfant, sans égard à la cause du danger (le fait que les père et mère soient ou non en faute n’a aucune importance) ;
- intervenir seulement si les parents ne remédient pas d’eux-mêmes à la situation et refusent l’assistance que leur offrent les services d’aide à la jeunesse (principe de subsidiarité ) ;
- compléter, non évincer, les possibilités offertes par les parents eux-mêmes (principe de complémentarité ) ;
- correspondre au danger, en restreignant l’autorité parentale aussi peu que possible mais autant que nécessaire (principe de proportionnalité ) » [7].
30 La réforme du 14 mars 2016 ne change rien au fonctionnement en tout ou rien, car la seule limite à l’autorité parentale dans l’assistance éducative reste le délaissement, notion très floue quand on mélange la situation de l’enfant et l’intention des parents.
31 Le principe de proportionnalité permet de penser une progressivité : d’abord un temps de placement, limité dans le temps (au Québec cette limite diffère en fonction de l’âge de l’enfant [8]), puis un temps de « confiage », quand il y a maintien du lien avec les parents sans projet de vie commune ; enfin, dans un troisième temps, une possibilité d’adoption simple.
32 La préparation du « confiage » est l’occasion d’une recherche d’alliance entre les parents et l’assistant familial.
33 Beaucoup de parents ont conscience des difficultés qui les empêchent d’élever leur enfant, mais ont peur d’être évincés. L’alliance permet un don : « je vous confie mon enfant », et un contre-don de l’accueillant : « je défendrai votre place ». C’est aussi l’occasion de négocier le partage de l’autorité parentale, au cas par cas, le juge n’intervenant qu’en cas d’échec d’une médiation effectuée par l’ASE.
Notes
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[1]
Psychosociologue, formateur à l’IRTS de Paris Île-de-France.
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[2]
Claire Neirinck, « La loi du 6 juin 1984 à l’épreuve du temps », JDJ, n° 242, février 2005, pp. 14-20.
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[3]
Voir à ce sujet Nigel Cantwell, « Normes internationales sur la protection de remplacement des enfants : des lignes à suivre… », JDJ, n° 298, octobre 2010, p. 39-42
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[4]
Idem page 40
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[5]
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant va permettre des changements à ce sujet ; elle introduit un alinéa à l’article 377 du Code civil après celui relatif au désintérêt des parents ou à leur impossibilité à exercer l’autorité parentale. Les seconds et troisièmes alinéas se présentent désormais ainsi : « En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale.
Dans ce dernier cas, le juge peut également être saisi par le ministère public, avec l’accord du tiers candidat à la délégation totale ou partielle de l’exercice de l’autorité parentale, à l’effet de statuer sur ladite délégation. Le cas échéant, le ministère public est informé par transmission de la copie du dossier par le juge des enfants ou par avis de ce dernier ». -
[6]
Xavier Charlet, « La place des parents, de l’enfant et des professionnels. Pistes de réflexion pour la pratique », dossier ONED Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance, septembre 2013.
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[7]
Guide social roman (GSR) réalisé par l’Artias, http://www.guidesocial.ch/fr/fiche/110/
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[8]
Voir à ce sujet : Philippe FABRY « Projets de vie, adoptions et double appartenance », octobre 2012 ; http://aifris.eu/03upload/uplolo/cv2559_1364.pdf