Notes
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[1]
Formatrice et directrice pédagogique en centre de formation en travail social ; martinepottier78@gmail.com
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[2]
Pour n’en citer que quelques-uns : février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, mars 2007, réformant la protection de l’enfance, mars 2007, dite de prévention de la délinquance, mars 2007 loi Dalo, 2009, réforme des tutelles…
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[3]
Encadrement : Cafdes, DEIS, Caferuis, DE médiateur familial, DE ASS, DEES, DEEJE, DEETS, DECESF, DEME, DETISF, DEAES, DE Assistant familial.
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[4]
ECTS : European Credit Transfert System
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[5]
ANAS- Association nationale des assistants de service social, ONES- Organisation nationale des éducateurs spécialisés, France ESF pour les Conseillers en économie sociale et familiale et la FNEJE – Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants
1 La formation des travailleurs sociaux répond au besoin pour l’État qui est le garant des politiques sociales, de pouvoir compter sur des professionnels de l’action sociale dans la mise en œuvre de missions ou de dispositifs au bénéfice de personnes qui, pour des raisons diverses, ne peuvent être autonomes dans tout ou partie de pans de leur existence (handicap, absences de ressources, problématiques psychosociales, insertion dans l’activité économique, accès aux soins, etc.)
2 L’action sociale, entendue comme l’ensemble des dispositifs existant aujourd’hui, s’est progressivement construite depuis le XIXèmesiècle à partir des idées promues par les philosophes des Lumières, et principalement sur celle que tout citoyen a droit de s’exprimer et prendre part aux décisions qui gouvernent sa vie.
3 C’est donc à la société de veiller à ce que les droits de chacun soient pris en compte ; dans le cas contraire, on a affaire à des phénomènes d’injustice qu’il convient de réduire. C’est ici la raison d’être de l’action sociale. Les travailleurs sociaux sont donc l’expression du gouvernement dans la réduction des inégalités et l’évitement de l’exclusion qui produit la fracture sociale.
L’action sociale, un champ professionnel traversé par le changement
4 Lorsque j’étais moi-même en formation d’éducatrice spécialisée, à la fin des années 1970, j’ai appris au long de mon cursus, à accompagner des personnes en vue de valoriser leurs potentiels et d’aller vers toujours plus d’autonomie, ce qui, on le sait, ne peut se faire que sur la durée.
5 Des cours en connaissance des populations, sciences humaines, droit, ou encore éthique m’ont permis de comprendre mieux les enjeux concernant les personnes que j’accompagnais, comme support à la construction d’un questionnement maïeutique systématique fondé sur mes observations et qui relevait de la psychopédagogie. On appelait cela la psychopédagogie clinique.
6 Une autre composante essentielle de ma formation reposait sur ma capacité à nouer une relation éducative adaptée : une bonne proximité, en même temps qu’une lecture décentrée et continuelle d’éventuels phénomènes transférentiels me permettait de ne pas être prise en otage dans le jeu de la relation, et donc de ne pas prendre en otage non plus les personnes avec lesquelles j’avais à faire.
7 Les trois ans de ma formation m’ont permis de me doter d’outils pour répondre à ces attendus et me préparer à un parcours professionnel où j’ai exercé longtemps auprès d’enfants et d’adolescents.
8 Je suis devenue formatrice avec l’arrivée de la loi 2002-2, rénovant le champ social et médico-social. Cette loi a introduit une batterie de textes qui ont profondément modifié le paysage du champ de l’action sociale [2]. Elle avait été précédée l’année d’avant par la loi organique de lois de finances qui ordonne un primat gestionnaire sur des critères de rentabilité et d’efficience à toute engagement financier des pouvoirs publics.
9 Si l’on ne peut que se réjouir d’une telle conception dans la gestion des deniers de l’État, on a vu poindre bientôt dans le champ social des pratiques en rupture avec le sens initial de l’action.
10 L’efficience suppose des objectifs « objectivables » avec des échéances courtes (à six mois parfois) ; quel sens au regard de dynamiques d’accompagnement qui courent sur la durée ?
11 D’ailleurs, l’accompagnement lui même tombe en désuétude : aujourd’hui on parle d’intervention sociale ; ce qui est sans doute adapté au cadre de certaines missions, mais pas généralisable. En tout état de cause, de l’accompagnement à l’intervention, la posture professionnelle n’est pas la même.
12 Dans le même temps, les associations issues de la société civile qui ont construit démocratiquement et très majoritairement l’action sociale à partir de réponses à des besoins repérés par elles-mêmes, se sont progressivement vue dépossédées de leurs compétences de propositions au profit des administrations des collectivités territoriales et de leurs techniciens qui ont édicté leurs schémas respectifs.
13 Elles se sont vu reléguées à une fonction de réponse… à appels d’offre, dans une logique de compétition. Les équipes d’encadrement montées en force en termes de management associatif et institutionnel font en sorte que leurs services soient retenus par les pouvoirs publics en étant « moins disant » (donc « prestations » rendues à moindre coût) et en réduisant les moyens mis en œuvre (en ressources professionnelles notamment).
14 Les modalités de l’exercice professionnel et la qualité du travail ne répondent plus à l’investissement de bon nombre de professionnels qui ne trouvent plus de sens à leurs nouvelles missions et qui pour ne pas déprimer, bénéficient désormais de prévention des troubles psychosociaux mis en œuvre par leur DRH.
15 Pour répondre à l’appel d’offre, le projet fait force de loi. Il est évaluable et les services mobilisés sur les missions sont eux-mêmes évalués et contrôlés par des officines privées, l’ensemble grevant les budgets du social, de plus en plus contraints.
16 Dans cette configuration, le maître mot en termes de savoir-faire professionnel est devenu la compétence et son cortège de référentiels. Au-delà du vocabulaire, cette terminologie annonce une approche morcelée et sclérosante des savoir-faire qui n’ont plus comme principe la compréhension globale de la situation d’une personne dans sa complexité, mais une approche réactionnelle à des situations qu’il faut « gérer », d’où la nécessité de guides de bonnes pratiques.
17 L’évolution de la philosophie de l’action sociale, telle que je la rapporte brièvement ici a alimenté ces dernières années quantité de débats dans la presse professionnelle ou lors de colloques. Il a fait l’objet d’alertes diverses, notamment les états généraux du social -2004, l’Appel des appels -2005, les États généreux pour l’enfance en alternative aux États généraux de l’enfance -2010, et plus récemment les États généraux alternatifs du travail social - 2016.
18 Le champ de la formation des travailleurs sociaux qui est la préparation de ses acteurs à la mise en œuvre de leurs missions, est solidaire et tributaire des changements que j’ai énoncés. Mais il a aussi sa propre histoire.
Les formations en travail social
19 Le Code de l’action sociale et des familles reconnaît treize certifications [3] qui au plan national garantissent la formation de ses agents ; mais il existe de fait, une multitude de diplômes qui complètent ce socle canonique : DUT, licences professionnelles, masters divers, etc., ce qui contribue d’ailleurs à flouter les professionnalités. Nous nous focaliserons ici sur les diplômes inscrits au Code de l’action sociale et des familles (CASF).
20 Les centres de formation en travail social, exercent la mission de service public de la formation qui s’est organisée depuis l’aube de l’action sociale à partir d’associations issues de la société civile. Au titre de leur mission, ils perçoivent des subventions du Conseil régional qui a depuis 2003, compétence au niveau des formations. Mais ces subventions ne suffisent pas à faire vivre ces institutions qui ont souvent développé de façon complémentaire, une activité de formation continue sur des thématiques ciblées.
21 Mais ici aussi, la logique de l’appel d’offre prévaut, tant en ce qui concerne les collectivités territoriales (formation initiale ou continue d’agents) que les associations du secteur qui adoptent également cette procédure (alors qu’elles n’y sont pas obligées) Cette marchandisation (ouverture du marché) favorise la compétition à l’échelon local, laquelle a des effets délétères sur les pratiques partenariales.
22 Les formations en travail social en France sont construites sur une dynamique d’alternance avec une proportion de temps de stage très importante (la moitié de la formation parfois).
23 Depuis 2008, l’obligation progressive pour tous les terrains professionnels de devoir gratifier la plupart des stagiaires qu’ils accueillent sans prise en compte dans leur budget, a conduit bien des services à refuser l’accueil de ce public. Il s’en est suivi une pénurie de stages qui a mis à mal de nombreux étudiants. La parution de textes ouvrant de nouvelles perspectives de stages (stages multi ou interétablissements, stages thématiques) n’offre une réelle ouverture que si, dans ces contextes nouveaux, les apprenants peuvent être en situation d’accompagnement clinique et confrontés à la relation socioéducative, car c’est d’abord cette dimension qui fait formation.
24 Comme nous l’avons vu, la prééminence de la compétence sur l’approche globale des personnes et des problématiques a tendance à scinder celles-ci et les modalités de propositions professionnelles. Il restreint le champ de la réflexion globale et donc la perspective et les enjeux de l’action. Référée à la formation, cette donnée amène souvent les apprenants à se trouver dans le DC1 ou le DC3, avant d’être dans la compréhension de la situation de la personne accompagnée. En outre, les attendus parfois sibyllins de la commande au moment de la certification et de la compréhension qu’en ont les jurys ne favorise pas la sérénité de l’élaboration.
25 Dans cet ensemble mouvant, une réalité mine les centres de formation et les formateurs ; c’est l’avalanche de réformes qu’ils doivent mettre en œuvre, les unes derrière les autres. De 2004 à 2009, toutes les formations du CASF ont été réécrites, sur le format de la compétence et de ses référentiels, donnant lieu à de nouvelles modalités de certification, et donc à un nouveau cursus de formation pour préparer chaque diplôme.
26 En 2013, les formations post-Bac en travail social ont dû être mises en conformité avec le processus de Bologne et donc être réécrites au format ECTS [4] avec modules, comme cela se passe dans l’enseignement supérieur.
27 Mais déjà est annoncée la réingénierie de tous les métiers du social, et l’année écoulée a vu la refonte des diplômes d’État d’Aide médico-psychologique et d’Auxiliaire de vie sociale en un seul, l’Accompagnant éducatif et social, avec une spécialité au choix parmi l’accompagnement à domicile, l’accompagnement à la vie en institution, l’accompagnement à l’éducation inclusive et à la vie ordinaire. L’idée de ces refonte est d’instituer un diplôme par niveau (V : DEAES, un pour le niveau IV, et un pour le niveau III) sur la base d’un socle commun, et de leur adjoindre une option ou spécialité (pour les niveaux III, service social, éducation spécialisée, accompagnement du jeune enfant, conseil en économie sociale et familiale, éducation technique spécialisée…).
28 En ce qui concerne le niveau III, il est question de valoriser ces diplômes d’État au niveau II, en réponse à une demande ancienne de revalorisation de ces diplômes, comme l’ont été les infirmiers ou les enseignants. Mais si ces diplômes passent à niveau II, plus aucun diplôme ne permettra le franchissement d’une marche importante, après l’obtention d’un DE de niveau IV. Il faudra donc en créer d’autres, des « sous-diplômes » (?) ce qui revient à alourdir une grille qui se voulait plus simple. Par ailleurs, ces nouveaux diplômes seront-ils inscrits sur le même périmètre professionnel que les précédents ?
29 Autre type de questionnement concernant le diplôme commun assorti d’une spécialité : Dans l’ensemble mouvant que nous connaissons et où la professionnalisation se fait par le biais de stages encadrés par des professionnels pairs, quid de la construction de savoir-faire, en lien avec une professionnalité ? Dans le maelström des changements que l’on observe qu’adviendra-t-il des acteurs formés sans référence profonde à une profession ? Non seulement en rapport à des savoir-faire, mais en lien avec les valeurs portées et défendues par les professionnels. Ces critiques sont d’ailleurs portées par les organisations professionnelles [5].
30 Les enjeux sur ces réformes sont donc de taille et l’on ne sait à ce jour, quelles options seront retenues, d’autant que les professionnels et les formateurs ne sont pas consultés ; tout se joue actuellement dans une grande opacité.
31 Comme on peut le déduire de mes propos, des enjeux importants concernent actuellement le champ de la formation. De même que le travail social évolue sur des orientations qui laissent bien des professionnels pour le moins perplexes, le champ de la formation qui prépare les professionnels de demain est lui aussi soumis à des injonctions fortes et imprévisibles.
Les formations sociales, quelles perspectives ?
32 Aujourd’hui, comme je l’ai présenté, un certain nombre d’inconnues plannent au dessus du secteur de la formation. Nous sommes au milieu du gué, et des décisions doivent être prises, que nous attendons.
33 Néanmoins, devant les orientations qui se dessinent, nous devons continuer de questionner et entretenir le débat, sans se voiler la face, parce que le champ du travail social est malmené, car il est soumis à de multiples pressions économiques, politiques et managériales.
34 Loin de moi l’idée de refuser tout changement ; d’ailleurs les réalités sociales évoluent, aussi la formation doit-elle s’adapter aux contextes, mais il serait sans doute approprié d’ouvrir la concertation aux professionnels et aux responsables de la formation.
35 Le travail social, empreinte de l’histoire issue d’une tradition humaniste philosophique et politique est, tel que nous le connaissons-le connaissions ? Une spécificité française que beaucoup nous envient… Les principes gestionnaires et les normes européennes en auront-ils raison ?
36 Il reste que les professionnels qui choisissent de s’engager dans ce champ doivent le faire plus que jamais, avec des convictions ancrées qui fondent leur révolte de l’injustice sociale. Il leur faut alors une solide formation en politiques publiques pour défendre les valeurs de l’humain. Gageons que le champ de la formation, à travers son appareil et ses formateurs permettront encore et toujours mieux, l’éclosion des professionnalités au service des personnes accompagnées.
Notes
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Formatrice et directrice pédagogique en centre de formation en travail social ; martinepottier78@gmail.com
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Pour n’en citer que quelques-uns : février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, mars 2007, réformant la protection de l’enfance, mars 2007, dite de prévention de la délinquance, mars 2007 loi Dalo, 2009, réforme des tutelles…
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Encadrement : Cafdes, DEIS, Caferuis, DE médiateur familial, DE ASS, DEES, DEEJE, DEETS, DECESF, DEME, DETISF, DEAES, DE Assistant familial.
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ECTS : European Credit Transfert System
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ANAS- Association nationale des assistants de service social, ONES- Organisation nationale des éducateurs spécialisés, France ESF pour les Conseillers en économie sociale et familiale et la FNEJE – Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants