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Article de revue

Stanislaw Tomkiewicz, disparu en 2005 ; il reste présent dans les mémoires de ceux qui croient encore à l'éducation

Pages 18 à 19

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1 L’idée de cet hommage est venue des fidèles amis de « Tom », ainsi ont-ils appelé Stanislaw Tomkiewicz, le pédopsychiatre « qui a révolutionné la psychiatrie de l’enfant », selon les termes louangeurs qui ont accompagné son décès le 5 janvier 2003.

2 Ces fidèles sont réunis autour de deux associations, « Les amis de Tom » et « Les amis du Centre familial des jeunes » [1] (ACFDJ), dont le gardien de la mémoire et des archives demeure Joe Finder - celui qui a dirigé le CFDJ de Vitry-sur-Seine puis du Pléssis-Trévise jusqu’à sa retraite en 1991 – et quelques-uns des proches qui ont contribué à rassembler les documents pour cette publication.

3 Il a été question, autour d’un projet éditorial dans le Journal du droit des jeunes, de réunir quelques archives significatives autant de la pensée du « Docteur Tom » que de l’action thérapeutique qu’il a soutenue et supervisée lorsqu’il accompagnait Joe Finder au CFDJ de Vitry s/ Seine puis du Pléssis-Trévise.

4 Nous voulions aussi approcher quelques témoignages et articles inspirés par l’action éducative vers les jeunes en difficulté, mais aussi par la prise en compte de l’enfant – et surtout l’adolescent – dans la complexité de son développement, de son expression, de ses pulsions qui a tant inspiré Tomkiewicz pour convaincre de la nécessité de la parole, du geste adéquat, mais aussi de la justice « soignante ».

5 C’était un « grand » docteur, professeur – directeur d’une unité de l’INSERM -, capable de conquérir, de débattre sereinement avec des auditoires parfois hostiles à sa pensée qu’ils pouvaient considérer comme « laxiste ». Prétendre encore, comme nous le faisons encore aujourd’hui, qu’il ne faut pas appréhender le jeune qui a commis un délit, même grave, sur son acte, mais sur ce qu’il est, sur ses potentialités, qu’il faut moins le punir que l’aider à se révéler, à sortir de son « mal être », c’est s’exposer aux pires procès d’incompétence de la part de ceux qui n’ont généralement réussi qu’à jeter de l’huile sur le feu.

6 Laissons la place aux quelques témoignages de ceux qui l’ont côtoyé, aux articles et propos de celui qu’on ne peut que remercier d’avoir existé, d’avoir surmonté toutes épreuves de son « adolescence volée ».

7 On commencera par ces extraits de quelques hommages reçus de ceux et celles qui tinrent exprimer leur reconnaissance à l’homme.

8 Denise Caron, ancienne secrétaire du Pléssis-Trévise se souvient des visites régulières de « Tom » au CFDJ : « En tant que médecin psychiatre consultant auprès des adolescents, le docteur Tomkiewicz se rendait une fois par semaine au Plessis Trévise. En plus de ses consultations, il travaillait de longues heures avec Joe Finder dont il était depuis des décennies le superviseur médical, l’ami, le complice : ils semblaient avoir l’un pour l’autre un profond respect mutuel.

9 Au milieu de l’après midi, quand venait « l’heure du goûter », le docteur Tom ne manquait pas d’interrompre ses travaux pour se rendre dans la salle à manger afin de partager avec une authentique simplicité ce moment d’échange avec les garçons et les filles de la maison.

10 Il fallait le voir ce brillant médecin de renommée internationale, courtisé par les médias, défenseur acharné de tant de causes justes de par le monde, nous enveloppant de son regard malicieux, bienveillant, attentif Comme il semblait à l’aise, assis autour de la grande table parmi les jeunes pensionnaires du foyer qui le lui rendaient bien en l’appelant familièrement Tom. Émouvant quand on sait combien il avait souffert dans son adolescence.

11 Respectueux du travail de chacun, le docteur Tom n’oubliait pas, avant de repartir tard dans la soirée, de venir dans la cuisine remercier chaleureusement les personnes chargées de préparer les repas.

12 (…)

13 Si le docteur Tom faisait preuve d’un souci de perfection, d’exigence même lorsqu’il rédigeait ses innombrables écrits scientifiques - auxquels j’ai eu accès -, il avait aussi cette capacité d’utiliser le vocabulaire populaire de tous les jours, le « parler vrai » en quelque sorte, avec cet accent reconnaissable entre tous ce qui le rendait vraiment accessible au plus grand nombre d’entre nous ».

14 Elisa, ancienne patiente : « Il parlait tranquillement, comme en détachant précautionneusement les syllabes, à une allure si régulière que nul ne pensait pouvoir l’interrompre. D’une voix roulante, ronronnante, de chat de l’Est. Il avait, avec sa tête parfois de Riquet-à-la-houpe, de poussin sortant, ébouriffé et plein de vie, de l’œuf, une « bouille ». Tantôt celle de la bouderie, tantôt celle d’un enfant jubilant de sa propre malice.

15 Et entre deux « bouilles », au rythme que lui imposait une respiration difficile depuis le ghetto de Varsovie, il avançait calmement des idées nouvelles, audacieuses et parfois révolutionnaires, tant sur les questions de médecine et de pédagogie que sur celles des sociétés et des politiques dans le monde.

16 Paraît-il qu’il a été de ceux qui ont fait évoluer nombre de lignes dans les textes de lois, et avancer nombre d’idées pour protéger « les Hommes des Hommes » ….. Il allait sans crainte à la rencontre des autres en parcourant les continents et en particulier de ceux qui, à la façon de Diogène « cherchent un Homme » dans le monde. Il savait en trouver et les révéler à eux-mêmes.

17 Et ainsi comme le Diogène peint sur les murs de Vitry, on aurait pu dire de lui « Il n’est pas le seul ! » parce qu’il était arrivé à sortir de la solitude de son passé pour construire, avec les autres, l’espoir que chacun pourrait être meilleur et changer le monde. Car il évoluait en pivot, en catalyseur, au croisement de ces unions qui font les forces. Et aussi, en figure de proue, par sa pratique et ses idées, il pourfendait les conventions des mentalités. Depuis celles de la personne qu’il avait en face de lui, jusqu’au plus haut niveau des États. »

18 Roger Brossard, ancien du CFDJ : « Et, vint le moment tant désiré, tant repoussé, de rentrer en psychothérapie, de m’avouer malade, de laisser parler mon cœur, de me mettre à nu, de tout dire, de tout accepter de mes tares de ma singulière défiance des autres et du monde qui m’empêchait de me lever et d’avancer vers un équilibre qui me permette de choisir ma voie au sein d’une société haïe jusqu’à présent.

19 Et, vint le moment où je pouvais prendre la parole pour dire que je ne me sentais pas normal, que j’étais perturbé par ma sexualité obsessionnelle…

20 Puis ce fut la révélation que je n’étais pas différent des autres, ce fût le soulagement de la normalité révélée, la certitude de pouvoir affronter les situations sans avoir le désir de fuir et de me replier en moi-même ou d’agresser les autres.

21 Je vous dois de vivre en accord avec ma conscience, je te dois d’être amoureux de la vie, d’être à l’écoute des autres, d’être patient face aux injustices, d’être un homme debout, d’être bien dans ma peau de terrien, d’être rempli d’amour et de reconnaissance à l’égard de ceux qui ont appliqué un projet pédagogique qui porta ses fruits jusqu’à dans mon cœur.

22 Ensemencé de la sorte, je possède des racines assez solides pour résister à toutes les tempêtes ».

23 Audrey, ancienne patiente : « Tom n’était malheureusement pas le premier psy que je rencontrais sur ma route. J’avais un peu plus de 18 ans, et lorsque je fis sa connaissance j’avais déjà trois tentatives de suicide à mon actif, plusieurs séjours à l’hôpital dont un en clinique psychiatrique.

24 À cette époque je n’étais plus scolarisée, je ne travaillais pas non plus, j’étais en pleine dépression, transformée en zombie par un traitement de cheval.

25 Tom commença par là : enlever ma camisole chimique. Du jour au lendemain je mis les antidépresseurs, les anxiolytiques et toute la clique au rebus. Inutile de préciser que je ne dormis pas pendant plusieurs jours, mon corps tremblait jusqu’aux paupières, mais je faisais confiance à celui que j’appellerais pendant très longtemps « mon psy ».

26 Tom n’hésitait pas à m’engueuler de temps en temps, il partageait aussi des moments de sa propre histoire. Avec lui j’avais l’impression de voyager lorsque je le retrouvais dans son cabinet, cette fois-ci au centre familial du Montceau, et qu’il revenait le matin même d’Afrique ou tout autre pays étranger.

27 Il lui arrivait aussi de s’assoupir au cours de notre consultation (après plusieurs années de thérapie), ce qui avait le don de me mettre mal à l’aise mais aussi de m’attendrir. Cet homme-là parcourait le monde pour donner, défendre, ne pas se taire, et moi j’avais la chance de l’avoir là, en face de moi.

28 Tom n’hésitait pas non plus à sortir du cadre. Il nous est souvent arrivé de terminer notre séance « au café d’en face » ou encore dans des situations exceptionnelles à son domicile. Dans ce cas je payais la somme symbolique de 1 franc pour la consultation.

29 « Mon psy » était un des rares « bons-hommes » à m’avoir appris la confiance en moi. Ce fut un choc le jour où il m’a dit (lors de nos premières séances) « ce n’est pas toi qui es malade, c’est ta mère ». Ce fut aussi une grande surprise le jour où il me rendit une partie de mes journaux intimes après les avoir lus. Aucun des psys précédents ne s’en étaient donné la peine (malgré ma demande) ».


Date de mise en ligne : 07/05/2013

https://doi.org/10.3917/jdj.324.0018

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