Notes
1La parution du décret n? 2006-1104 du 1er septembre 2006 [1] relatif au contrat de responsabilité parentale constitue une nouvelle phase dans la mise en œuvre de ce qui constitue l’une des réponses gouvernementales à la crise de novembre dans un grand nombre de villes de France. La loi n? 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances contenait ce nouveau dispositif et malgré l’importance des critiques, la mise en application est désormais possible sur le terrain.
2L’opposition de 52 présidents de Conseil général à ce texte et à sa mise en œuvre limite de fait la portée de ce que nous avons dénoncé comme étant un « pseudo-contrat ». Néanmoins, dans une cinquantaine au moins de départements, l’utilisation de cet outil sera possible et il est probable que sa mise en œuvre fasse déjà l’objet de notes de service ici ou là. Cela amène donc l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) à proposer un « Mode de non-emploi » du CRP. L’objectif est de donner aux professionnels des repères pour leur pratique. Nous savons que le poids de la culture institutionnelle tend parfois à réduire, voire à évincer la culture professionnelle et que le contexte électoral pourrait pousser certains élus à « exiger du contrat ». Car la suspension des allocations familiales à laquelle peut aboutir le processus du contrat de responsabilité parentale est une mesure souvent populaire… tant qu’elle s’applique aux autres.
3Avant de commenter le décret 2006-1104 du 1er septembre 2006, je souhaite rappeler en quoi ce dispositif dévoie la notion de contrat en travail social et pourquoi il ne constitue pas un outil pour les travailleurs sociaux. Nous terminerons par une suite de préconisations à l’attention des professionnels, constituant un « Mode de non-emploi » simple et potentiellement efficace au quotidien.
1 – Le contrat de responsabilité parentale n’est pas un contrat de travail social
4Nous avions exprimé dans un avis technique [2] paru le 15 janvier 2006, ce qu’est un contrat en travail social, d’abord défini à partir des principes éthiques sur lesquels il est construit :
- la participation active des intéressés ;
- leur autodétermination, c’est à dire le choix libre et éclairé ;
- la reconnaissance des usagers en tant que sujets (et pas objets), en tant que membres à part entière d’une société et citoyens porteurs de droits.
5Le contrat se caractérise aussi par ce qu’il apporte : une direction commune dès lors que les objectifs ont été co-choisis ; la reconnaissance de la personne comme partenaire et adulte capable ; la clarification de la relation, placée sur des bases explicites. Enfin, il permet une évaluation commune des résultats. Encore faut-il du temps pour que se noue la relation de confiance. L’établissement d’un contrat ne peut survenir qu’après que celle-ci soit créée. C’est sur la durée, plus ou moins courte selon les personnes et professionnels, que peut émerger cette qualité de relation. De plus, le temps permet de dépasser l’expression de réponses et demandes stéréotypées, préexistantes à l’entretien, forgées sur les représentations nourries par les expériences et témoignages antérieurs.
6En travail social, un contrat est le résultat d’une négociation et son évaluation est une confrontation libre. La négociation confronte un client en situation d’acteur et de maître d’œuvre, et un travailleur social engagé et intéressé. Il n’y a pas égalité des deux mais deux positions qui permettent qu’apparaissent des voies nouvelles. Quant à l’évaluation du résultat, elle est la mesure du parcours effectué par rapport aux objectifs définis en commun. Le « client » comme le travailleur social disent librement leur évaluation. Les deux paroles ont la même importance et jouissent de la même considération.
7À la lumière de ces critères, il est aisé de différencier le contrat de responsabilité parentale des autres types de contrats généralement utilisés dans les services sociaux. Avec l’imposition d’un rapport de force, des démarches à suivre décidées unilatéralement avec une quasi-obligation de résultat sous peine de sanctions, nous voilà dans un autre univers que celui de la co-élaboration entre professionnels de l’action sociale et parents. La parution du décret aurait pu amoindrir le texte de l’article L. 222-4-1 du code de l’action sociale et des familles créé par la loi du 31 mars 2006. C’est pourtant le contraire qui s’est produit.
2 – Un décret qui confirme « l’esprit de la loi »
8Le décret prévoit que dans sa rédaction, le CRP devra comporter sept types d’informations qui montrent dans quelle philosophie s’inscrit cet outil :
9« 1° Les motifs et les circonstances de fait justifiant le recours à un tel contrat ainsi qu’une présentation de la situation de l’enfant et des parents ou du représentant légal du mineur » ;
10Le premier point parle des défaillances réelles ou supposées des parents et des comportements inadaptés du ou de leurs enfants. Les assistants de service social s’appuient sur les compétences des parents pour élargir les points sur lesquels ils peuvent avoir besoin de soutien, même s’ils n’en font pas la demande. Alors que le travailleur social va œuvrer à une prise de conscience et chercher avec la famille les causes multiples de la situation, le CRP impose de façon unilatérale une description de la situation réduite à quelques actes (comportements inadaptés d’un enfant) et la désignation d’un coupable (enfant et parents).
11« 2° Un rappel des obligations des titulaires de l’autorité parentale » ;
12Le deuxième point concerne le rappel aux obligations des parents. Ces derniers sont considérés comme devant appliquer des obligations, ce qui est pour le moins une conception limitée de leur rôle. Les travailleurs sociaux travaillent plutôt sur les responsabilités, ce qui situe la personne en tant que sujet et actrice de l’interaction parent/enfant.
13« 3° Des engagements des parents ou du représentant légal du mineur pour remédier aux difficultés identifiées dans le contrat » ;
14Le troisième point consiste en un engagement sous contrainte donné par une autorité non légitime dans ce type d’acte : le travailleur social. Nous savons les difficultés qui peuvent malgré tout surgir quand des interventions d’aide sous contrainte (AEMO par exemple) sont ordonnées par la justice. Pourtant, les magistrats jouissent d’un pouvoir reconnu par l’immense majorité des citoyens. De plus, grâce aux recherches en psychologie sociale notamment, les travailleurs sociaux savent qu’une personne qui n’est pas libre de son choix ne sera que peu ou pas engagée. Il est très probable que les personnes signeront des engagements mais ne modifieront pas leur comportement hors contrainte.
15« 4° Des mesures d’aide et d’action sociales relevant du président du conseil général de nature à contribuer à résoudre ces difficultés » ;
16Ces mesures d’aides peuvent être proposées aux familles sans la contrainte d’un CRP et la menace de sanctions prévues en cas de non-respect.
17« 5° Sa durée initiale, qui ne peut excéder six mois ; lorsque le contrat est renouvelé, la durée totale ne peut être supérieure à un an » ;
18Ce point montre une contradiction : si ce contrat est un outil utile, pourquoi lui avoir donné une durée maximum ?
19« 6° Les modalités du réexamen de la situation de l’enfant et des parents ou du représentant légal du mineur durant la mise en œuvre du contrat » ;
20« 7° Le rappel des sanctions prévues aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 222-4-1 ».
21Le CRP se termine par une menace. Il convient de rappeler les trois types de sanctions, lesquelles peuvent être cumulatives : l’article L. 222-4-1. prévoit que « lorsqu’il constate que les obligations incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n’ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, le contrat n’a pu être signé de leur fait, le président du conseil général peut :
- demander au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l’enfant, en application de l’article L. 552-3 du code de la sécurité sociale ;
- saisir le procureur de la République de faits susceptibles de constituer une infraction pénale ;
- saisir l’autorité judiciaire pour qu’il soit fait application, s’il y a lieu, des dispositions de l’article L. 552-6 du code de la sécurité sociale ».
3 – Préconisations pour les professionnels
22Nous avons vu précédemment et dans les avis déjà publiés que le CRP ne correspond ni à la déontologie des assistants de service social, ni aux valeurs du travail social. Voici maintenant les cinq arguments clefs à développer pour ne pas utiliser le CRP dans les départements où il serait envisagé d’y avoir recours.
231) Vos compétences en terme d’évaluation des situations, d’accompagnement des personnes dans le cadre d’une relation d’aide : si votre institution a besoin de professionnels compétents pour répondre de la façon la plus adaptée aux besoins des personnes, ce n’est pas pour leur faire produire des actes contraires à leur fonction et à leur évaluation.
242) L’ Arrêté du 29 juin 2004 relatif au diplôme d’assistant de service social précise dans son Annexe I plusieurs points essentiels : « Dans le cadre des missions qui lui sont confiées, l’assistant de service social accomplit des actes professionnels engageant sa responsabilité par ses choix et ses prises de décision qui tiennent compte de la loi et des politiques sociales, de l’intérêt des usagers, de la profession et de ses repères pratiques et théoriques construits au fil de l’histoire, de lui même en tant qu’individu et citoyen. (…) Dans une démarche éthique et déontologique, il contribue à créer les conditions pour que les personnes, les familles et les groupes avec lesquels il travaille, aient les moyens d’être acteurs de leur développement et de renforcer les liens sociaux et les solidarités dans leurs lieux de vie. (…) L’assistant de service social à partir d’une analyse globale et multi-référentielle de la situation des personnes, familles ou groupes procède à l’élaboration d’un diagnostic social et d’un plan d’intervention conclu avec la participation des intéressés ».
25Cette définition de la profession montre, s’il en était besoin, que le contrat de responsabilité parentale ne correspond pas à un outil compatible avec le service social.
263) Le Code de déontologie de la profession précise dans son article 22 que : « L’assistant de service social assume la responsabilité du choix et de l’application des techniques intéressant ses relations professionnelles avec les personnes. » Nul autre que l’assistant de service social peut choisir l’outil qu’il utilise. Le contrat de responsabilité parentale pouvant, par la fonction d’injonction et de coercition qu’il accole au professionnel, rompre la relation de confiance nécessaire à la relation professionnelle, il est légitime de ne pas en user ».
27L’article 15 prévoit que « l’assistant de service social ne doit pas accepter d’intervenir, ni de fournir des renseignements dans un but de contrôle ».
284) L’article L 222-4-1 du code de l’action sociale et des familles lui-même : « En cas d’absentéisme scolaire, tel que défini à l’article L. -131-8 du code de l’éducation, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale, le président du conseil général, de sa propre initiative ou sur saisine de l’inspecteur d’académie, du chef d’établissement d’enseignement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales ou du préfet, propose aux parents ou au représentant légal du mineur un contrat de responsabilité parentale ou prend toute autre mesure d’aide sociale à l’enfance adaptée à la situation ».
29Cette dernière partie de l’article de loi a été ajoutée par le Sénat, notamment parce que, au cours des travaux préparatoires, l’inefficacité d’une telle mesure avait été notée. La loi prévoit donc une marge de manœuvre pour le professionnel : il peut préconiser toute autre forme de soutien adapté aux besoins de l’enfant et de sa famille. Nous savons qu’il existe une palette de possibilités dans tous les départements qui pourront répondre à la situation et ne pas générer une confusion quant aux professionnels des services sociaux.
305) La déclaration de principes [4] « Éthique dans le travail social », de la Fédération internationale des travailleurs sociaux (IFSW) peut aussi être un support intéressant. Dans son article 4.2.4, elle prévoit de « contester les règles et pratiques injustes » : « Les travailleurs sociaux ont le devoir d’attirer l’attention des employeurs, des responsables, des politiques et du grand public sur les situations où les ressources sont inadéquates ou bien où la distribution de ressources, les règles et pratiques sont abusives, déloyales ou nocives ».
31L’article 5.11 de cette même déclaration, consacré à la conduite professionnelle précise que « Les travailleurs sociaux doivent être prêts à énoncer les motifs de leurs décisions sur la base de considérations éthiques et être responsables de leurs choix et de leurs actions ».
32Le constat est limpide : les professionnels disposent d’arguments éthiques, déontologiques et juridiques pour ne pas utiliser le contrat de responsabilité parentale.
4 – Le CRP et le projet de loi de prévention de la délinquance
33La petite loi adoptée par le Sénat le 21 septembre 2006 confirme la place donnée à ce contrat dans le cadre du projet de loi de prévention de la délinquance actuellement en débat. L’article 6 prévoyant la création d’un « Conseil pour les droits et devoirs des familles », dispose que cette instance composée par le maire et placée sous sa direction, puisse venir demander des comptes aux parents sur les « engagements pris » dans le cadre d’un contrat de responsabilité parentale. Est-ce étonnant ? Le CRP et le projet de loi de prévention de la délinquance participent de la même volonté de limiter à l’acte réalisé une situation pourtant bien plus complexe. Ils visent à la responsabilisation systématique et quasi-exclusive des parents là où l’environnement social, économique, géographique, relationnel, professionnel, etc. jouent souvent un rôle puissant.
34À partir de leurs expériences quotidiennes, de leurs références disciplinaires, méthodologiques et déontologiques, les assistants de service social peuvent-ils faire autrement que dénoncer une telle vue des enfants et des adultes ? J’ose espérer qu’ils refuseront massivement l’utilisation d’un outil qui vient remettre en cause le travail social au profit d’une forme restrictive de contrôle social : un processus à travers lequel, par l’imposition de sanction, la conduite jugée déviante est contrecarrée et la stabilité sociale maintenue.