Notes
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[*]
« Beaucoup de bruit pour rien ? ».
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[1]
Aucune référence n’est faîte à la loi sécurité financière relative à la publicité des crédits à la consommation pourtant votée le même jour que la loi Borloo. Voir J.O du 2 août 2003.
-
[2]
Ces commissions sont composées majoritairement de financiers mais également de juristes et d’acteurs sociaux. Elles sont rattachées à la Banque de France.
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[3]
Eric Doligé sénateur UMP s’exprimait ainsi « Les procédures d’effacement de dette sont rarement utilisées et les plans de redressement, même étalés sur de nombreuses années, ne permettent pas dans certains cas de résorber le passif accumulé » ; Avis Sén., n° 405, juillet 2003, p. 157).
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[4]
Voir « Droit au logement », Etienne Rigal, RAJS 226, p. 17.
1Enfin le projet de réforme du surendettement défendu par Jean-Louis Borloo a été définitivement votée le 1er août dernier ! Plus précisément, l’axe surendettement a été inscrit in fine dans le projet de loi sur la politique de la ville et de la rénovation urbaine. Quant au projet de réforme de Renaud Dutreil, secrétaire d’État à la consommation,il est resté en berne. Tant pis, les syndicats et les associations applaudissent des deux mains les nouvelles avancées... « Le projet Borloo renforce et complète la loi Neiertz » s’expriment certains. Si la prudence ne prévient pas tous les malheurs, le défaut de prudence ne manque jamais de les attirer. Alors restons prudents, ne nous satisfaisons pas aveuglément. Certes, la loi formule de nouvelles dispositions - « la procédure de rétablissement personnel », exemple le plus fréquemment cité - mais le changement est-il effectif ? Progression, stagnation ou régression ? Difficile de répondre, les décrets d’application ne sont pas encore tombés !
2La principale amélioration résiderait dans l’apurement, sous certaines conditions, des dettes des ménages surendettés. Mais la réelle victoire ne se trouve-t-elle pas dans des mesures de prévention du surendettement tendant à renforcer la transparence des crédits et la responsabilisation des créanciers et des emprunteurs [1] ? Aucune dimension préventive légale, nous sommes toujours dans des soins palliatifs pour lesquels l’antidote manque…
3En attendant les réactions des professionnels du surendettement (magistrats et personnels des commissions de surendettement), voyons ce que peut révéler l’exégèse du texte révélé. Pas moins d’un cinquième des articles de la loi sont consacrés au volet surendettement (en prenant en compte les dispositions diverses du titre IV du texte légal), et pourtant le titre demeure « loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine ». Curiosité sémantique digne de la curiosité matérielle du texte ?
1 – Quelques mots sur le traitement de l’insolvabilité avant la loi Borloo
4La commission de surendettement [2], créée par la loi Neiertz du 31 décembre 1998, constatait dans un premier temps l’insolvabilité du débiteur lorsque ce dernier ne disposait d’aucune ressource ou de biens saisissables de nature à permettre l’effacement de tout ou partie de ses dettes. Ce constat rendait évidemment inapplicable les mesures recommandées. Puis, dans un second temps, la commission prescrivait « un moratoire pour l’exigibilité des créances autres qu’alimentaires et fiscales », pendant un délai de trois ans. Cette procédure se fondait sur un postulat de base selon lequel la situation d’insolvabilité était temporaire.
2 – Quid de la procédure de rétablissement personnel ?
5Principale innovation, cette procédure, prononcée au tribunal d’instance après la vente du patrimoine du débiteur par un mandataire-liquidateur, permet d’effacer totalement le passif d’un surendetté en situation « irrémédiablement compromise ». Cette fois-ci, les commissions de surendettement distinguent les situations désespérées pour lesquelles un retour à la normale n’est pas envisageable malgré l’octroi d’un long échelonnement des dettes. La personne concernée peut refuser ou accepter la mesure tout en sachant que la procédure de rétablissement personnel ne peut être inscrite au casier judiciaire,contrairement à sa procédure d’inspiration, « la faillite civile », appliquée en Alsace et en Moselle.
6Quel(s) changement(s) concrètement ? Les mesures traditionnelles permettaient in fine l’effacement partiel ou total des créances autres qu’alimentaires et fiscales dans les situations extrêmes où le passif ne pouvait pas être résorbé. Ces procédures d’apurement étaient cependant rarement appliquées. Outil juridique défaillant ou politique professionnelle restrictive ? Le gouvernement a semblé opter pour la première possibilité en instituant un dispositif a priori plus « souple » pour les cas les plus sérieux [3]. Pourtant, le législateur est néanmoins resté très vigilant en précisant qu’il n’était possible de bénéficier de l’effacement des dettes qu’une fois dans sa vie et en réservant la compétence d’engager la procédure de rétablissement personnel au seul juge de l’exécution ( la commission de surendettement ne peut à l’issue d’un moratoire recommander qu’un effacement partiel du passif). Une telle disposition incitera vraisemblablement les professionnels à maintenir le cap de leur politique restrictive d’effacement. A fortiori si on estime qu’une personne peut subir non pas un seul « accident de la vie » mais plusieurs (chômage, veuvage, divorce, maladie). Dès lors peut-on toujours considérer la loi Borloo comme une véritable innovation ?
7Une réponse affirmative semble s’imposer puisque la durée d’inscription du jugement prononçant la liquidation judiciaire au fichier des incidents de paiement caractérisés ( liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels) est allongée à huit ans et que la liquidation des actifs du débiteur s’organise sans prendre en compte ni « les biens meublants nécessaires à la vie courante » ni « les biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle ». Mais le véritable changement réside dans la prise en compte des dettes fiscales, parafiscales et envers les organismes de sécurité sociale dans les procédures de rétablissement personnel ou d’échelonnement des dettes.
3 – Remise, rééchelonnement et effacement des dettes fiscales, parafiscales et sociales
8Désormais ces dettes feront l’objet de remises totales ou partielles dans les mêmes conditions que les autres dettes. Si le juge de l’exécution prononce la clôture pour insuffisance d’actif, toutes les dettes non professionnelles du débiteur seront effacées, à l’exception des dettes alimentaires, des dommages et intérêts et des amendes prononcés dans le cadre d’une procédure pénales (sauf accord du créancier).
9Le privilège étatique est abandonné au profit d’un rééquilibrage égalitaire avec les créanciers privés. Cette « discrimination positive » profite effectivement au débiteur endetté. Cependant, le liquidateur qui a pour mission de répartir le produit des actifs et de désintéresser les créanciers suivant le rang des sûretés assortissant leurs créances, devra-t-il garantir en priorité l’État pour le paiement de ses créances et ainsi rétablir les privilèges régaliens ?
4 – Calcul de la quotité saisissable : quid des prestations sociales ?
10En vertu des dispositions légales, le juge prononce la liquidation judiciaire du patrimoine personnel du débiteur dont sont exclus les biens meublants nécessaires à la vie courante et les biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle. Les prestations sociales n’ont pas été explicitement exclues de la quotité saisissable. En outre, malgré l’importance des questions parlementaires relatives à la définition du « reste à vivre », c’est à dire la somme laissée à la disposition du débiteur pour lui permettre de faire face aux charges de la vie courante, le législateur a fixé un seuil minimal (le RMI) qui permettra aux commissions de désendettement d’apprécier concrètement les situations en tenant compte « de tous les renseignements sur la situation économique et sociale du débiteur » (prestations sociales, allocations aux adultes handicapés, allocation d’aide au retour à l’emploi…). Le texte légal précise que le tribunal prend en compte les facultés contributives du débiteur déterminées au regard de ses ressources et charges incompressibles. Si beaucoup considèrent que les prestations sociales ne doivent pas être utilisées pour l’apurement de la dette, le texte lui n’est pas aussi explicite.
11Un arrêt de la Cour de cassation a considéré que les prestations familiales et sociales (allocations familiales et au logement) devaient participer à l’apurement des dettes parentales [4]. Rappelons que, initialement, le projet de loi Borloo adoptait le point de vue contraire et rappelait l’insaisissabilité de ces prestations. Le parlement a rejeté cette disposition et les travaux parlementaires indiquent que les députés ont entendu que ces sommes puissent être affectées au désendettement, même si la loi reste formellement silencieuse.
12Les décrets d’application sont donc attendus avec impatience en la matière !
13Si le législateur a prévu une période de cinq ans pour évaluer l’efficacité du nouveau dispositif, c’est bien qu’il s’agit d’une innovation empirique dont les résultats ne pourront être mesurés qu’en fonction de la pratique des commissions de désendettement, des débiteurs endettés (ils disposent désormais d’un recours contre toutes les décisions des commissions) et des juges d’exécution. Il semblerait néanmoins que le renforcement de la protection des personnes dans des situations « irrémédiablement compromises » s’est effectué au détriment de la protection des autres personnes endettées non comprises dans la catégorie d’extrême urgence. En effet, le législateur a diminué à deux ans (au lieu de trois sous la loi Neiertz) la période de suspension de l’exigibilité des créances… Quoiqu’il en soit, la question essentielle est : la loi Borloo, une loi qui permet de recommencer sa vie de zéro ou à zéro ?
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« Beaucoup de bruit pour rien ? ».
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Aucune référence n’est faîte à la loi sécurité financière relative à la publicité des crédits à la consommation pourtant votée le même jour que la loi Borloo. Voir J.O du 2 août 2003.
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Ces commissions sont composées majoritairement de financiers mais également de juristes et d’acteurs sociaux. Elles sont rattachées à la Banque de France.
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[3]
Eric Doligé sénateur UMP s’exprimait ainsi « Les procédures d’effacement de dette sont rarement utilisées et les plans de redressement, même étalés sur de nombreuses années, ne permettent pas dans certains cas de résorber le passif accumulé » ; Avis Sén., n° 405, juillet 2003, p. 157).
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Voir « Droit au logement », Etienne Rigal, RAJS 226, p. 17.