Couverture de RISA_731

Article de revue

Le leadership au sein d'une fonction publique décentralisée : quelques enseignements venus d'Irlande

Pages 69 à 85

Notes

  • [*]
    Peter C. Humphreys et Orla O’Donnell travaillent au service de la Recherche, Institute of Public Administration, Dublin, Irlande. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Leadership in a decentralised public service: some lessons from Ireland”.
    Les opinions exprimées dans la présente communication sont celles des auteurs uniquement et ne reflètent pas nécessairement celles d’autres personnes ou d’autres organisations. Elles se fondent sur des recherches originales réalisées à l’IPA pour le Committee for Public Management Research (Humphreys et O’Donnell 2005).
  • [1]
    Les résultats relatifs à l’Irlande indiquent que toute décentralisation des pouvoirs décisionnels qui en résulterait peut s’avérer inégale. McGauran et al (2005) estiment que sur les plus de 600 agences commerciales et non commerciales actuellement actives en Irlande, près de 60 % sont établies sous leur forme actuelle depuis 1990. En apparence, cela pourrait être considéré comme une " décentralisation " horizontale ou diagonale considérable. En réalité, si ces organismes bénéficient parfois d’une autonomie stratégique considérable, l’autonomie dont ils disposent au niveau de la gestion des RH et sur le plan financier est souvent bien plus faible.
  • [2]
    Dans le contexte plus large du service public, il convient de se rappeler qu’environ 60 % du personnel des autorités locales et 61 % du personnel chargé de la santé sont déjà basés en dehors de Dublin.
  • [3]
    Tandis que ce nouveau programme devrait déboucher sur une fonction publique irlandaise considérablement remaniée (dans la forme et dans l’espace), la politique se fonde encore essentiellement sur des motivations liées au développement économique et social plutôt que sur une volonté de moderniser le service public en soi. Cela ne signifie bien sûr pas que cette politique n’aura pas également des implications importantes pour la SMI. Du point de vue de la politique régionale, des inquiétudes subsistent, tant au niveau politique qu’au niveau de la population, concernant le déséquilibre spatial du développement économique en Irlande, qui se traduit par une congestion et par d’autres problèmes connexes dans la région du grand Dublin et par des emplois et des possibilités de développement économique moins nombreux en dehors des grandes zones urbaines. Dans ce contexte, il n’est sans doute pas étonnant que la répartition spatiale des emplois dans le service public ait, une fois de plus, fait l’objet d’un examen attentif (Budget 2004: A.8). Tandis que le niveau d’adaptation entre les sites choisis pour la décentralisation des organisations de service public dans le cadre de l’actuel programme et de la stratégie spatiale nationale est limité et a fait l’objet de commentaires négatifs (McDonald 2005 et Walsh 2004), la justification fondamentale de la politique reste inchangée.
  • [4]
    Ce que les Britanniques appellent " devolution " désigne le transfert de compétences du centre vers l’échelon local. Les ressources, le pouvoir discrétionnaire et la responsabilité sont ainsi transférés aux organismes locaux, sous réserve, en général, d’une forme de contrôle démocratique (par ex. gouvernement local).
  • [5]
    Chose intéressante, les ministères/bureaux épargnés dans une large mesure par la décentralisation en ce qui concerne la plupart de leurs " activités principales " et de leurs fonctions stratégiques centrales comprennent les services suivants : Entreprise, Commerce et Emploi ; Finances ; Affaires étrangères ; Santé et Enfance ; Justice, Égalité et Réforme législative ; Taoiseach et Transport, ainsi que l’Office of the Attorney General (Procureur général) et les services du Comptroller and Auditor General (Cour des comptes).
  • [6]
    Par exemple, l’un des facteurs essentiels à l’origine de l’actuelle initiative britannique concerne l’impératif économique prôné par la Gershon Efficiency Review (2004), qui oblige les organismes du service public à atteindre des objectifs d’efficience annuels de 2,5 %. Cet impératif réduit les économies potentielles des organisations découlant du changement de site et du différentiel des salaires dans les régions non métropolitaines. Il n’existe pas de facteur de ce type en Irlande. Le fait d’avoir choisi des sites régionaux au RU en vue de déplacer les organisations vers l’intérieur est également fortement influencé par les possibilités offertes par certains endroits et doit être justifié sur le plan commercial.
  • [7]
    Voir les quatre premiers rapports du DIG mentionnés dans la bibliographie.
  • [8]
    Citons quelques exemples de réseaux de ce type : ceux des sous-secrétaires, des agents de formation ministériels, des agents du personnel, des agents du service à la clientèle, des gestionnaires de sexe féminin et de la gestion du changement.
  • [9]
    Tandis que ces données ne portent pas spécifiquement sur les cadres supérieurs, de récentes analyses effectuées par le ministère des Finances indiquent que la part du personnel de plus de 50 ans devrait passer de 25 % à l’heure actuelle à quelque 45 % dans dix ans.

Décentralisation

1On peut considérer que les notions de " décentralisation " font partie intégrante des réformes du secteur public s’inspirant du nouveau management public (NMP), mises en œuvre au cours des dernières décennies (Pollitt et Bouckaert 2004). Cependant, le terme " décentralisation " est utilisé dans différents contextes scientifiques et stratégiques. L’OCDE définit essentiellement la " décentralisation " comme un processus comprenant un transfert de " fonctions publiques depuis les échelons supérieurs vers des échelons inférieurs de gouvernance dans le but de se rapprocher des citoyens ". Il peut s’agir d’une décentralisation administrative (transfert de fonctionnaires et de fonctions publiques vers l’échelon local), financière (transfert de ressources financières et de compétences productrices de recettes), politique (transfert de pouvoirs décisionnels) ou d’un mélange de tout cela (2005: 1). Ce mouvement, souvent perçu en termes hiérarchiques et impliquant des fonctions de prise de décisions descendantes/verticales, peut être de nature infraorganisationnelle (par exemple au sein des services gouvernementaux) ou interorganisationnelle (transfert de l’administration centrale vers l’administration locale, par exemple). Cependant, la décentralisation fonctionnelle peut aussi être horizontale ou diagonale, par exemple en cas d’" agencification " ou de transfert de pouvoirs/ compétences depuis des services centraux vers des organismes " autonomes " [1]. La " décentralisation " peut également prendre une forme géographique ou spatiale : cela implique généralement le transfert ou le déplacement de l’ensemble ou d’une partie des fonctions administratives des organismes et/ou du bureau central/d’autres fonctions des services publics depuis la capitale/le centre politique vers des régions non métropolitaines. Compte tenu de l’expérience passée de l’Irlande et de ses projets, c’est cette dernière forme de décentralisation qui est essentiellement visée dans la présente communication.

La centralisation

2Si l’on utilise la notion de décentralisation proposée par l’OCDE (2005), alors l’Irlande ne semble pas vraiment être un terrain propice pour une telle étude. Comme l’indique Callanan, " la centralisation est fortement ancrée dans la culture administrative irlandaise " (2003: 477). Contrairement aux autres pays de l’UE, le gouvernement local irlandais joue un rôle limité dans les services sociaux (logement) et ses principaux services s’intéressent aux domaines de l’aménagement local et du contrôle de l’aménagement, à l’entretien des routes locales et des systèmes de drainage, à la collecte de déchets, ainsi qu’aux parcs, bibliothèques et autres infrastructures collectives (Batley et Stoker 1991). Par conséquent, la santé, l’aide sociale et l’enseignement sont des domaines relevant essentiellement du gouvernement central en Irlande (Adshead et Millar 2003). En effet, les récentes réformes des services de santé ont encore davantage mis l’accent sur le rôle du centre, avec la suppression des conseils régionaux de santé (Regional Health Boards) [2]. Dans la présente communication, cependant, nous nous efforçons avant tout de mieux comprendre les approches irlandaises en matière de décentralisation géographique et, plus particulièrement, de tirer des enseignements de son application générale en termes de leadership au sein de la fonction publique et du service public en général. Dans ce domaine en effet, des changements radicaux sont envisagés, d’une ampleur et d’une nature susceptibles non seulement de remettre en cause notre interprétation actuelle de la décentralisation géographique, mais qui devraient aussi entraîner un remaniement fondamental du système irlandais d’administration publique.

La décentralisation et la modernisation de la fonction publique en Irlande

3La fonction publique irlandaise s’est lancée, depuis 1994, dans un programme à long terme de modernisation du service public (appelé " Strategic Management Initiative " SMI – initiative de gestion stratégique), s’inspirant globalement des idées du NMP. On peut dire qu’à de nombreux égards, l’approche irlandaise en matière de modernisation est assez anodine. Comme l’observe Pollitt, " le cas irlandais n’est pas très intéressant, en ce sens que les réformes globales se situent absolument dans le courant international " (2005: 2). Il n’en reste pas moins que certains aspects de l’approche irlandaise sont caractéristiques, notamment la façon dont ces réformes ont été mises en œuvre. Par exemple, jusqu’à présent, la modernisation est essentiellement conduite par les hauts fonctionnaires eux-mêmes plutôt qu’aux niveaux gouvernemental ou parlementaire. Par ailleurs, elle a progressé dans le cadre d’accords de partenariat au niveau national entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Plusieurs études indépendantes révèlent que tandis que les progrès sont lents, des avancées significatives ont été réalisées, en particulier dans le domaine de la qualité du service à la clientèle (Boyle et Humphreys, 2001; P.A. Consulting, 2002).

4Les mesures prises par l’Irlande en matière de décentralisation géographique l’ont été bien avant le SMI et n’ont jusqu’à présent pas eu d’incidences réelles sur le programme de modernisation proprement dit. Cependant, dans le cadre d’un environnement stratégique autrefois consensuel et gradualiste (caractérisé par des avertissements minimes), le ministre des Finances a annoncé, en décembre 2003, l’intention du gouvernement de procéder à la décentralisation " volontaire " de plus de 10 300 postes des services/bureaux et agences de la fonction publique vers plus de 50 sites situés dans 25 comtés répartis sur l’ensemble du territoire. Sur ces 10 300 postes, 3 000 concernent des agences d’État (Budget 2004: A.7). Par ailleurs, le gouvernement a décidé que, sauf circonstances exceptionnelles, toute nouvelle agences ou tout nouvel organisme créés à l’avenir devraient se situer dans des régions compatibles avec ce nouveau programme [3].

5Tandis que l’expérience irlandaise est caractérisée par une faible décentralisation des fonctions financières et des autres fonctions décisionnelles de haut niveau de l’échelon central vers le local, la décentralisation spatiale de l’emploi et des fonctions dans le service public depuis Dublin vers des régions non métropolitaines est caractéristique de la réorganisation administrative irlandaise depuis les années 1960 au moins (Humphreys 1983). Joyce et al (1988) analysent l’expérience passée et avancent que la décentralisation géographique des fonctions de service public (et des fonctionnaires) depuis le centre vers l’échelon local, en Irlande, présente deux variantes principales (qui ne sont toutefois pas incompatibles) :

  • Une dispersion se produit lorsque certaines parties d’une organisation centralisée sont transférées en dehors de la capitale vers un ou plusieurs sites régionaux. Il n’y a pas de transfert de compétences. La nature du travail à faire est déterminée au niveau central.
  • La déconcentration (ou régionalisation) a lieu lorsqu’une organisation délègue le pouvoir d’appréciation à ses gestionnaires aux niveaux infranationaux. Par exemple, un responsable régional dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de décider des services à offrir sous son égide, dans le cadre de lignes directrices budgétaires et stratégiques définies par l’échelon central.
Joyce et al (1988) notent par ailleurs que jusqu’à cette époque, aucune de ces formes de décentralisation de la fonction publique ne faisaient intervenir un niveau important de transfert de pouvoir (devolution) [4].

6D’une manière générale, l’Irlande a déjà connu deux phases de décentralisation géographique : (a) la dispersion (de 1967 à 1987), suivie de (b) une période complexe faite de dispersion, de déconcentration et de régionalisation (de 1988 à 2003). Pendant cette seconde période, le ministère des Affaires sociales et familiales ainsi que le bureau des commissaires du fisc (Revenue Commissioners), notamment, se sont lancés dans une stratégie de régionalisation concertée, liée à des réformes internes (restructuration organisationnelle) basées sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) afin d’améliorer la qualité de la prestation de service (Humphreys et al 1999a).

7Par conséquent, avant même la mise en œuvre du nouveau programme de " décentralisation ", d’autres initiatives appliquées au niveau national, ainsi que les stratégies régionales adoptées par certains ministères/bureaux, se sont déjà traduites par une mosaïque spatiale complexe en ce qui concerne les sites de la fonction publique. À côté de la dispersion des unités fonctionnelles, le paysage est caractérisé par des bureaux régionalisés et/ou basés dans les comtés, s’accompagnant de réseaux de bureaux auxiliaires, de district ou locaux (Humphreys et O’Donnell, 2005). Il ne fait cependant aucun doute que l’actuel programme de décentralisation, même s’il se fonde sur ces initiatives antérieures, présentera des défis sans précédent en termes de gestion et sur le plan opérationnel aux niveaux ministériel/organisationnel ainsi qu’à l’échelle du service public. Il sera également important de tirer des enseignements des expériences passées en matière de leadership dans une fonction publique complexe sur le plan géographique afin de trouver des solutions pour l’avenir.

8Dès le départ, le groupe de haut niveau chargé de la mise en œuvre de la décentralisation (Decentralisation Implementation Group (DIG)) créé à cette fin a reconnu qu’une approche " de choc " n’était ni souhaitable, ni réalisable. Par conséquent, en novembre 2004, le DIG a désigné les 11 premiers départements/ organismes amenés à déménager vers 14 sites. Ces " pionniers " comptaient au total 2 130 fonctionnaires et comprenaient les sièges des organismes suivants :

  • Ministère des Arts, des Sports et du Tourisme (Killarney, Co. Kerry) : à 300 km de l’Oireachtas (le Parlement) à Dublin.
  • Le ministère de la Défense (Newbridge, Co. Kildare) : à 42 km de Dublin.
  • L’Office des travaux publics (Trim, Co. Meath) : à 43 km de Dublin.
  • Le Service des prisons (Longford Town, Co. Longford) : à 123 km de Dublin et
  • Le ministère des Affaires sociales et familiales (Drogheda, Co. Louth) : à 49 km de Dublin.
Le groupe a par ailleurs désigné 1 362 " pionniers " potentiels parmi les fonctionnaires, qui concernaient cinq ministères et six sites, ainsi que sept " agences d’État " comprenant au total 723 fonctionnaires. Si, sur un plan international, ces distances linéaires par rapport à Dublin ne semblent pas importantes, il convient de les interpréter dans le contexte de liaisons routières, ferroviaires et aériennes certes plus efficaces qu’avant, mais encore souvent très limitées, en particulier en ce qui concerne les déplacements à moyenne distance.

Des propositions sans précédent

9Les actuelles propositions se traduiront non seulement par le départ de Dublin de la majorité des agents de la fonction publique et du service public, mais aussi de pas moins de huit sièges ministériels, tandis que le gouvernement proprement dit et de nombreux autres ministères et organisations intéressées continueront à agir depuis la capitale [5]. Par conséquent, une approche totalement nouvelle devra être trouvée en matière de gouvernance de la fonction publique et, plus particulièrement, de nouveaux modèles de leadership, développés. Cette initiative stratégique déterminante a déjà produit des ondes de choc fondamentales à court terme au sein d’un système administratif globalement paisible en d’autres circonstances. À plus long terme, cependant, elle pourrait être l’occasion de réformer radicalement le système et d’améliorations la façon dont la fonction publique irlandaise travaille (Association of Higher Civil and Public Servants 2004; O’Riordan 2004a/b et Walsh 2004). Il ne faut toutefois pas sous-estimer les défis.

10Plusieurs autres pays ont déjà appliqué des initiatives de décentralisation au cours des dernières décennies. Par exemple, Joyce et al (1988) analysent le cas des Pays-Bas et du RU jusqu’à la fin des années 1980. Dans ces deux pays, la décentralisation de l’emploi dans la fonction publique (départ de la capitale) a été appliquée dans le cadre d’une stratégie de développement régional destinée à réduire le chômage à long terme dans les zones industrielles en déclin. Des éléments récents indiquent qu’aux Pays-Bas, par exemple, les administrations autrefois décentralisées géographiquement renvoient aujourd’hui certaines fonctions vers la capitale. Plus récemment, la Lyons Review (2004) donnait des informations sur l’expérience internationale dans toute une série de pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord. Tandis que ces informations sont limitées, la décentralisation géographique est considérée comme une occasion d’assurer une plus grande efficacité en profitant de la restructuration des activités (RDA), de nouvelles méthodes de travail et d’une amélioration de la prestation de services. Ces études font également clairement état de la nécessité d’aborder les perceptions d’éloignement et de domination de la capitale dans la formulation des politiques (Japon, Écosse, France). L’Allemagne poursuit sa décentralisation au niveau régional (Lander), afin de promouvoir la croissance économique des Lander, et parallèlement à cela, la capitale administrative passe peu à peu de Bonn à Berlin. Outre le déplacement des capitales administratives (comme en Australie et au Brésil), le Japon et la Corée envisagent actuellement de déplacer leurs capitales politiques et administratives en dehors, respectivement, de Tokyo et de Séoul. Il n’est cependant pas question pour l’instant de déplacer le siège du gouvernement irlandais en dehors de Dublin.

11Lorsqu’on observe l’exemple britannique de plus près, il est important de noter qu’à l’instar de l’Irlande, les actuelles propositions en matière de dispersion de l’emploi dans le service public se fondent sur les expériences passées. Plus particulièrement, la Hardman Review (1973) a entraîné le départ de Londres d’unités opérationnelles " autonomes " et leur transfert vers des villes déterminées à l’avance afin de favoriser la politique régionale. Comme l’observe Lyons, " elles ont contribué à donner naissance à une conception bien précise et mécanique de la "relocalisation" une sorte de partie d’échecs disputée au sein de l’appareil gouvernemental " (2004: 5). Contrairement aux précédentes approches britanniques, Lyons (2004) propose d’axer le programme actuel sur les entreprises et le développement régional. En ce qui concerne plus précisément la question du leadership dans la fonction publique, Lyons soutient que Londres en tant que capitale a besoin d’un noyau gouvernemental sur lequel les ministres peuvent s’appuyer et responsable de la définition du cadre stratégique. Pour le reste, le statu quo est discutable. Lyons (2004) a appuyé ses travaux sur des études réalisées dans le cadre d’une vaste initiative de consultation/information, ainsi que sur des études commandées auprès des sociétés King Sturge (2003) et Experian Business Strategies (2004).

12Tandis que l’approche mentionnée plus haut s’appliquerait aussi directement aux fonctionnaires britanniques situés en Écosse, la politique de relocalisation de l’exécutif écossais concerne les ministères et agences de l’exécutif, certains départements non ministériels et le secteur public subventionné (Public Service Reform Group 2005). Les objectifs globaux de cette politique sont les suivants : (a) renforcer la décentralisation et l’efficacité du gouvernement d’Écosse ; (b) apporter des solutions rentables en matière de prestation de service ; et (c) privilégier les domaines ayant des besoins sociaux et économiques particuliers. Cette politique concerne les organismes situés dans toute l’Écosse et pas uniquement ceux actuellement basés à Édimbourg, la capitale, et à proximité. Lorsque l’exécutif crée une nouvelle unité, une nouvelle agence ou un nouvel organisme public, ou lorsqu’une organisation de ce type fusionne avec une autre ou connaît un autre type de réorganisation, il passe en revue les localités possibles en tenant compte de sa réticence par rapport à Édimbourg. Les changements de propriété (par exemple en cas de résiliation d’un bail existant) amènent eux aussi l’exécutif à passer la situation en revue, et les possibilités de relocalisation envisagées peuvent comprendre Édimbourg. La politique de relocalisation de l’exécutif écossais concerne 30 000 emplois dans le secteur public, dont deux tiers sont actuellement basés à Édimbourg. Depuis trois ans environ, 32 organismes (représentant 4 445 postes) ont été examinés, et 1 424 postes déplacés jusqu’à présent. Les nouveaux sites choisis sont pour l’instant Aberdeen, Dundee, Falkirk, Inverness et des villes des Highlands et des îles.

13Même si l’analyse des expériences internationales peut permettre de tirer des conclusions utiles, on a du mal à trouver, dans les autres administrations publiques de l’OCDE, un exemple similaire à l’actuel programme de décentralisation irlandais [6]. Cette absence de précédent est liée à l’ampleur de l’actuel programme, à son contenu, à son calendrier et, surtout, aux propositions qu’il contient en ce qui concerne le transfert d’organisations tout entières vers des sites éloignés de la capitale et du centre de la vie politique. L’approche britannique, par exemple, exclut explicitement le départ de Londres des sièges des départements gouvernementaux. Les analyses présentées dans le rapport de Lyons (2004) et dans le rapport connexe d’Experian (2004) indiquent également que les propositions actuellement envisagées en Irlande (d’une ampleur et d’une nature particulières) présenteront certes des possibilités de leadership, mais poseront aussi des défis importants pour la fonction publique. Nous pouvons à présent examiner ces questions de plus près grâce à une analyse détaillée de la littérature consacrée aux secteurs public et privé.

Un leadership efficace

14L’efficacité du leadership est non seulement un élément essentiel de la bonne gouvernance, mais sa qualité est particulièrement difficile à assurer dans le cadre d’une fonction publique géographiquement complexe et décentralisée. Plusieurs définitions de la bonne gouvernance mettent l’accent sur cet aspect. Par exemple, l’Australian National Audit Office (ANAO) affirme que " d’une manière générale, la gouvernance d’entreprise désigne les processus par lesquels les organisations sont dirigées, contrôlées et tenues de rendre des comptes. Elle englobe l’autorité, la responsabilisation, l’administration, le leadership, la direction et le contrôle exercés au sein de l’organisation " (1999: 1). Les travaux de Stoker (1998) sont particulièrement pertinents en raison de l’accent mis sur le rôle des parties prenantes et des acteurs en dehors du gouvernement et sur l’importance de relations et de réseaux efficaces en vue d’une bonne gouvernance. Ces références au leadership, à l’efficacité, à la participation, à la cohérence, à l’exécution des programmes et à la participation efficace des parties prenantes sont particulièrement pertinentes dans le cadre du programme de décentralisation, étant donné le maintien de l’Oireachtas et de plusieurs départements à Dublin et les difficultés posées par la décentralisation géographique d’autres organes (OCDE 1995).

15Depuis l’annonce du nouveau programme de décentralisation fin 2003, les activités de mise en œuvre, tant au niveau central que pour les organisations les plus directement concernées, ont privilégié, à juste titre, les questions logistiques et les autres questions opérationnelles urgentes, comme la gestion immobilière, les infrastructures de communication, la GRH et les relations industrielles [7]. Lorsqu’on songe à l’avenir, cependant, le programme de décentralisation devra aborder des possibilités et des défis dont on parle certes moins mais qui n’en sont pas moins importants si l’on veut accélérer le mouvement de modernisation du service public, et non le dissiper.

16Nombreux sont les ouvrages consacrés à l’efficacité du leadership et axés sur le secteur privé dont on peut s’inspirer à cette fin. Par exemple, Kelly (2004) dénombre trois éléments de ce type : une importance claire et non équivoque à accorder (a) aux normes de rendement, (b) aux valeurs et à un aménagement organisationnel capable de faire participer le personnel et (c) une trajectoire et une orientation clairement définies. Lorsqu’on examine le rôle essentiel du leadership efficace, cependant, il faut éviter d’accorder trop d’importance à l’idée de la " personne géniale " que l’on se fait de la chose. Dans ce contexte, il convient de rappeler que Tosi et al (2004) révèlent que le style de leadership charismatique est davantage lié à la rémunération du directeur qu’à sa réelle efficacité ! Storey et Mangham (2004) relèvent également un certain désenchantement à l’égard de l’approche du leadership charismatique/transformationnel et ils recommandent de privilégier le leadership collectif ou partagé.

17S’inspirant une fois de plus essentiellement de ce qui s’est passé dans le secteur privé, Storey et Mangham (2004) soulignent que le leadership efficace agit dans le cadre d’une " constellation " de facteurs interconnectés, comme le contexte industriel et organisationnel, le besoin perçu, les exigences en matière de comportement, les méthodes de développement, les priorités/le contexte idéologique(s) des parties intéressées et les résultats. Ils affirment que le leadership collectif ou partagé correspond mieux aux cultures et aux structures organisationnelles favorables à l’autonomisation de ses équipes, à la responsabilité partagée, aux réseaux et qui prônent l’utilité des travailleurs du savoir. Un leadership collectif/partagé serait sans aucun doute plus approprié et plus flexible dans les structures complexes dans le cadre desquelles un grand nombre d’organismes publics irlandais travaillent ou vont être amenés à travailler.

18Cet aspect est encore plus pertinent dans les approches du leadership dans le secteur public. Pollitt observe en effet que beaucoup de pays se sont efforcés de trouver de nouvelles façons de gérer les organisations publiques et les programmes publics et que " les frontières entre le secteur public, le secteur bénévole et le secteur commercial sont devenues beaucoup plus complexes et ambiguës " (2003: ix). Plusieurs auteurs contestent effectivement le fait de vouloir transposer sans réserves des exemples de leadership efficace propres à une culture et/ou au secteur privé dans un contexte public. Par exemple, Alimo-Metcalfe et al (2002 et 2004) avancent des arguments contre l’adoption des modèles de leadership inappropriés [comme celui de la personne " géniale "] présentés dans la littérature consacrée au secteur privé. Ils comparent et opposent les expériences américaine et britannique et soulignent que le leadership est fondamentalement une question de prise en compte d’autrui en tant que partenaire dans le développement et la réalisation de la vision commune et, partant, qu’il s’apparente au leadership partagé – " par quel autre moyen, pourrait-on se demander, peut-on relever des défis de taille tels que la mise en place de services publics modernes ? " (2004: 179). Le leadership dans le secteur public concerne également la gestion efficace de l’interface politique. Par exemple, lors de l’exécution du cadre d’évaluation commun (" Common Assessment Framework "), spécifiquement destiné à favoriser la gestion de la qualité dans les organismes publics (Staes et Thijs 2005), il convient de recueillir, d’examiner et d’évaluer les informations par rapport aux mesures prises par le leadership de l’organisation pour :

  • Donner une orientation à l’organisation : développer et communiquer une vision, une mission et des valeurs.
  • Développer et mettre en œuvre un système de gestion de l’organisation.
  • Motiver et soutenir le personnel de l’organisation et servir de modèle.
  • Gérer les relations avec les politiciens et les autres parties prenantes.
Dans le cadre du programme de modernisation du service public irlandais, l’importance capitale d’un leadership efficace a déjà été reconnue (Boyle et Humphreys 2001). L’une des questions de recherche essentielles à aborder concerne la mesure dans laquelle ces qualités de leadership seront affectées par la dispersion géographique des organisations publiques concernées.

L’avis des responsables du secteur public irlandais

19Dans le cadre de l’actuel programme de décentralisation irlandais, nous avons examiné ces possibilités et défis en matière de leadership dans le secteur public au moyen d’entretiens approfondis auprès d’une série de témoins privilégiés. Au niveau global ou de l’ensemble des services, nous avons eu des discussions avec des hauts fonctionnaires des ministères des Finances et du cabinet du Premier ministre (Taoiseach), des membres de la mise en œuvre de la SMI et d’autres groupes/réseaux à l’échelle des services, ainsi qu’avec des représentants du patronat et des syndicats. Nos discussions ont également porté sur les fonctions de leadership dans les initiatives liées à la prestation de services et/ou à la formulation des politiques dans les organisations (par ex. dans la façon de faire avancer les questions transversales), ainsi que sur les conséquences du programme de décentralisation pour le bon fonctionnement de l’équipe de direction ou du comité consultatif de gestion (Management Advisory Committee MAC). Les organismes que nous avons choisis comprenaient aussi bien ceux qui avaient déjà connu un déménagement et/ou une décentralisation que ceux concernés pour la première fois, dans une mesure non négligeable, par l’actuel programme. Ces entretiens, réalisés au cours du premier semestre de 2005, ont fait intervenir des représentants de haut niveau des différents syndicats de la fonction publique et des départements/bureaux directement concernés par l’actuelle proposition de décentralisation. Ceux-ci représentent la quasi-totalité du personnel concerné.

20En résumant les opinions exprimées, nous avons identifié plusieurs possibilités et défis, des éléments qui seront importants pour analyser plus avant et aborder la bonne mise en œuvre de l’actuel programme :

  • Améliorer le leadership : Les personnes interrogées ont reconnu, à plusieurs reprises, que les modalités actuellement en place en matière de leadership dans la fonction publique étaient perçues comme loin d’être optimales. En dépit des réels progrès réalisés à ce jour pour améliorer la collaboration interdépartementale dans le cadre de la SMI, les répondants ont évoqué des arguments qui illustraient, selon moi, l’esprit de " cloisonnement " toujours très présent dans la fonction publique irlandaise. Le caractère radical du programme de décentralisation pourrait contribuer à rompre une fois pour toutes avec cette tradition.
  • Nécessité de maintenir une perspective internationale : Étant donné l’adhésion de l’Irlande à des organismes internationaux, la fonction publique est caractérisée par un sentiment très présent selon lequel l’Irlande est capable de " jouer dans la cour des grands " sur le plan international (Humphreys, 1997). Sur le plan pratique, les répondants avaient le sentiment que des mesures concrètes devraient être prises pour s’assurer que la représentation de l’Irlande au niveau international ne serait pas mise en péril par les éventuelles complications résultant de la décentralisation des cadres supérieurs vers les villes de province éloignées des aéroports internationaux.
  • Localisme : Les répondants avaient le sentiment, compte tenu notamment de ce qui s’est passé en matière de dispersion, qu’il serait essentiel de faire en sorte que les agents évitent de songer à l’intérêt purement local. Certains redoutaient de voir apparaître, si l’on n’y prenait garde, des attitudes " localistes " et une étroitesse dans les perspectives/les ambitions aux dépens d’un sentiment de service national et international.
  • Relations en face à face : à côté des structures formelles qui sont en place, un grand nombre de répondants estimaient qu’un niveau élevé de relations en face à face entre des collègues qui s’y connaissent et se font confiance était un facteur important pour une efficacité telle que celle atteinte à ce jour dans le programme de modernisation du service public. Les relations de qualité de ce type doivent être maintenues dans le nouvel environnement décentralisé.
  • Travail en réseau : Les répondants avaient le sentiment que ce style de travail " communicatif " et souvent informel, qui accompagne et sous-tend les relations formelles, a été facilité par la proximité géographique des cadres à Dublin. Le travail en réseau, les discussions " en marge " et les rencontres en face à face sont une caractéristique établie du travail des fonctionnaires. Les répondants estimaient que ces éléments augmentaient considérablement les possibilités, non seulement en ce qui concerne le développement des politiques et la résolution des problèmes, mais aussi pour ce qui est de la formulation des politiques et de la prévention des problèmes. Les réseaux formels et informels sont considérés comme le " ciment " assurant la cohésion de la fonction publique nationale [8]. Étant donné le niveau de décentralisation géographique aujourd’hui envisagé, les répondants considéraient qu’il était indispensable que des solutions innovantes soient trouvées afin de développer de nouveaux mécanismes favorisant la poursuite du développement du travail en réseau.
  • Le savoir collectif et les connaissances spécialisées : La plupart des organisations concernées par la décentralisation estimaient que cette décentralisation allait entraîner un renouvellement très important de la main-d’œuvre dans l’ensemble du secteur public et redoutaient dès lors une perte potentielle de la mémoire collective, par exemple en ce qui concerne les connaissances sur le fonctionnement de la fonction publique. Cette " mobilité " du personnel ne concernerait pas uniquement les organisations touchées par la décentralisation, car le personnel transféré vers les nouveaux sites provinciaux sera issu non seulement des services publics basés à Dublin, mais aussi des sites situés en dehors de la capitale. Les connaissances spécialisées pourraient être difficiles à remplacer compte tenu des changements de poste et/ou des personnes qui découvrent que les domaines dans lesquels elles ont développé des connaissances spécialisées vont être transférés sans elles (OCDE 2003). Il sera indispensable d’adopter une approche stratégique au sein des organisations, ainsi qu’au sein de la fonction publique, si l’on veut réduire les risques de pertes de ce type et considérer désormais le programme de décentralisation comme une occasion de répondre à certaines de ces questions essentielles.
  • Responsabilisation du leadership : Plus important encore, la communication et le dialogue régulier avec la sphère politique est un aspect déterminent de la fonction de leadership. La présence de relations efficaces entre le ministre et le département et inversement est un aspect essentiel de la bonne gouvernance. En effet, suite à la publication du rapport Travers (2005), l’ensemble des hauts fonctionnaires interrogés dans le cadre de la présente étude ont souligné une fois encore le rôle crucial du Secrétaire général en tant qu’agent comptable de leur département. Des mécanismes devraient dès lors être développés pour veiller à renforcer cette relation de responsabilisation dans le cadre des nouvelles modalités développées dans le cadre de la décentralisation.
  • Interface politique : Beaucoup de répondants se sont dit inquiets en ce qui concerne l’impact de l’actuel programme de décentralisation sur la communication entre les Secrétaires généraux et les ministres, le Conseil des ministres se réunissant généralement en milieu de semaine à Dublin. Ils prévoyaient dès lors que dans certains ministères, la plupart des responsables (ainsi que certaines personnes chargées de la politique/planification) devraient rester à Dublin du mardi au jeudi. Ils faudrait dès lors mettre en place des mesures compensatoires pour veiller à ce que cela n’ait pas de répercussions négatives du côté administratif et opérationnel et ne se traduise pas par une attitude " distante " de la part de certains cadres du ministère par rapport aux bureaux décentralisés.
  • Avancement professionnel : Compte tenu de la corrélation perçue entre la participation aux activités stratégiques, l’exposition au domaine politique et l’avancement professionnel aux niveaux supérieurs de la fonction publique, les personnes interrogées estimaient que des mesures allaient devoir être prises à l’échelle de la fonction publique afin de veiller à ce que la décentralisation n’ait pas de conséquences négatives sur la collégialité suite à l’apparition d’une fonction publique à " deux vitesses ". La première " vitesse ", essentiellement axée sur Dublin, présenterait davantage de possibilités de mener des activités " de haut niveau ", tandis que la seconde, essentiellement située en dehors de Dublin, serait axée sur les tâches opérationnelles.
  • Activités interdépartementales : Dans le cadre de la mise en œuvre du programme de modernisation, on constate qu’un grand nombre d’équipes interdépartementales de haut niveau sont déjà en fonction. Une situation qui se retrouve au niveau stratégique, puisque des questions transversales sont abordées et que l’on cherche à améliorer la coordination (Boyle 1999). Les comités interdépartementaux permettent au personnel ministériel de se réunir et d’examiner les questions de façon globale en tenant compte des différents aspects des services. Les répondants estimaient par ailleurs que ces comités permettent au personnel ministériel de faire connaissance avec le personnel des autres ministères par le biais d’une mise en réseau informelle. Étant donné le manque de maturité de beaucoup de fonctionnaires dans les domaines stratégiques après la décentralisation, beaucoup de nos interlocuteurs avaient le sentiment que l’on avait profité de l’occasion pour s’assurer que de nouvelles structures étaient en place afin de garantir des relations interdépartementales régulières.
  • Connaissances spécialisées : Les répondants avaient le sentiment que les cadres sont des " subject leaders " dans certains domaines stratégiques. La question de la mémoire collective au sein des ministères dans les domaines stratégiques et du côté de la prestation de service est extrêmement précieuse lors de la mise en œuvre de nouvelles procédures/politiques. Les cadres, plus particulièrement, possèdent une mémoire organisationnelle et un savoir tacite inestimables si l’on veut mettre en œuvre comme il se doit les politiques et les services proposés. Les répondants prévoyaient également que dans les ministères et autres agences destinés à être décentralisés, une part plus élevée de personnel spécialisé et professionnel allait choisir de rester à Dublin par rapport au personnel du " service général ".
  • Utilisation efficace des TIC : La majorité des répondants estimaient que les TIC étaient un moyen efficace de travailler en réseau et de communiquer, mais qu’ils ne remplaçaient pas la communication en face à face et qu’ils ne permettaient pas non plus d’évaluer l’état d’esprit d’une réunion ou d’assurer la participation de tous les membres à cette réunion. Si les TIC ne constituaient pas une panacée, les répondants estimaient qu’il ne fallait pas négliger la possibilité d’améliorer la collégialité virtuelle. Au bout du compte, la plupart des répondants estimaient qu’ils allaient devoir se déplacer plus souvent pour pouvoir continuer à exercer efficacement leur fonction de leadership.
  • Participation des parties intéressées : Enfin, plusieurs organismes en voie de décentralisation estiment que le centre va devoir les aider dans leur volonté de maintenir une participation efficace des parties intéressées. Tandis qu’ils quitteraient Dublin, beaucoup d’autres organisations (y compris des groupes de représentation) resteraient dans la capitale. Encore une fois, la SMI a entraîné une amélioration considérable de la concertation des organismes publics avec leur clientèle (Humphreys, 2002). Les répondants estimaient que l’on ne pouvait se permettre de compromettre cette concertation et cette participation plus grande en conséquence du programme de décentralisation.
Dans l’ensemble, le personnel des ministères avait le sentiment que la bonne mise en œuvre de la décentralisation allait dépendre de facteurs à la fois internes et externes, tels que la durée de la période de transition pour la création des nouveaux bureaux, l’installation du personnel (nouveau et ancien) sur les nouveaux sites, l’engagement et le leadership des cadres (à la tête des bureaux décentralisés), l’avancement professionnel et l’intensité des relations entre les réseaux, les outils de communication et le maintien d’une collégialité positive. D’une manière générale, les répondants indiquaient que la décentralisation n’épargnerait personne (à tous les niveaux) dans les organisations amenées à déménager. Au niveau de la direction (MAC), ils prévoyaient également un changement d’ordre naturel au cours des 10 années à venir, lorsqu’un grand nombre de membres du MAC au sein des ministères prendraient leur retraite [9]. La décentralisation pourrait cependant accélérer ce processus et ils estimaient qu’elle accélérait, dans une large mesure, le rythme du changement démographique.

Possibilités et défis en matière de leadership

21Lorsqu’on analyse la littérature internationale la plus récente et les cadres de gestion issus des meilleures pratiques, on s’aperçoit que le leadership efficace est la pierre angulaire sur laquelle se fonde l’excellence organisationnelle. Une question de recherche essentielle concerne l’influence que pourrait avoir la dispersion géographique des organisations concernées de la fonction publique sur le leadership et, plus précisément, l’identification et l’analyse des possibilités et des défis présents dans ce cas. Il ne fait aucun doute que l’actuel programme de décentralisation aura un impact profond sur les structures, les cadres de communication, les instances de travail en réseau et la relation entre la fonction publique, les systèmes politique et les parties intéressées. La façon dont tout cela est géré est d’une importance capitale pour les répercussions sur le service à la clientèle et sur l’efficacité des processus de travail pendant et après la phase de transition. Par conséquent, s’il est géré comme il se doit, le programme pourrait être l’occasion idéale de revoir et de restructurer fondamentalement la façon de travailler de la fonction publique et des services publics au sens large.

22Il ne fait aucun doute que le départ de Dublin des organismes publics sera une occasion sans précédent pour procéder à une révision fondamentale des tâches effectuées et de la façon dont elles sont exécutées, grâce à la refonte des processus administratifs et à d’autres techniques. Les problèmes du passé en ce qui concerne le blocage de l’avancement professionnels des membres des bureaux dispersés et régionaux (Humphreys et al. 1999b) pourraient s’améliorer en adoptant une approche régionale afin de faciliter la promotion dans l’ensemble des organismes de la fonction publique. S’il n’en était pas ainsi, le départ de Dublin se transformerait sans aucun doute en un aller simple. Compte tenu des déplacements nécessaires dans le cadre des relations avec le ministre et des réunions avec les autres fonctionnaires, et tandis que ces déplacement deviendront nettement plus nombreux, en particulier dans le cadre des relations avec l’UE et des autres activités internationales, il est très probable que la fréquence et la gestion des réunions seront soumises à une discipline plus stricte. Le recours aux TIC facilitera la communication, mais ces technologies ne remplaceront que partiellement la collégialité en face à face.

23En somme, il ne fait aucun doute que les actuels responsables de la fonction publique irlandaise se sont vus imposer la décentralisation, même si l’opérationnalisation des changements suscités par les sites nouveaux et différents incombera sans doute à leurs successeurs. Tandis que les questions liées aux effectifs et aux infrastructures inquiètent les esprit actuellement concernés par la mise en œuvre, et cela se comprend, des mesures devront être prises très vite afin de redéfinir, et de maintenir, les valeurs de la fonction publique irlandaise et de cultiver les compétences en leadership nécessaires pour la prochaine génération de Secrétaires généraux et de directeurs généraux de sorte que le programme de modernisation lancé il y a dix ans soit maintenu et revigoré. Comme l’observait un répondant du secteur privé irlandais, " le service public doit profiter de ce programme de décentralisation pour améliorer ses services et pour utiliser comme il se doit les TIC et les autres formes de communication. À court terme, cela détournera l’attention mais le défi consiste à considérer cela comme une occasion d’améliorer les services et de se moderniser, sans quoi on le considérera comme un problème insoluble ". D’ici dix ans, une nouvelle génération de dirigeants devrait être à la tête d’un service et d’une fonction publics totalement remaniés et modernisés, situés dans des endroits différents mais partageant des valeurs communes.

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Mots-clés éditeurs : possibilites, defis, transfert, modernisation, fonction publique

Date de mise en ligne : 01/05/2011

https://doi.org/10.3917/risa.731.0069

Notes

  • [*]
    Peter C. Humphreys et Orla O’Donnell travaillent au service de la Recherche, Institute of Public Administration, Dublin, Irlande. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Leadership in a decentralised public service: some lessons from Ireland”.
    Les opinions exprimées dans la présente communication sont celles des auteurs uniquement et ne reflètent pas nécessairement celles d’autres personnes ou d’autres organisations. Elles se fondent sur des recherches originales réalisées à l’IPA pour le Committee for Public Management Research (Humphreys et O’Donnell 2005).
  • [1]
    Les résultats relatifs à l’Irlande indiquent que toute décentralisation des pouvoirs décisionnels qui en résulterait peut s’avérer inégale. McGauran et al (2005) estiment que sur les plus de 600 agences commerciales et non commerciales actuellement actives en Irlande, près de 60 % sont établies sous leur forme actuelle depuis 1990. En apparence, cela pourrait être considéré comme une " décentralisation " horizontale ou diagonale considérable. En réalité, si ces organismes bénéficient parfois d’une autonomie stratégique considérable, l’autonomie dont ils disposent au niveau de la gestion des RH et sur le plan financier est souvent bien plus faible.
  • [2]
    Dans le contexte plus large du service public, il convient de se rappeler qu’environ 60 % du personnel des autorités locales et 61 % du personnel chargé de la santé sont déjà basés en dehors de Dublin.
  • [3]
    Tandis que ce nouveau programme devrait déboucher sur une fonction publique irlandaise considérablement remaniée (dans la forme et dans l’espace), la politique se fonde encore essentiellement sur des motivations liées au développement économique et social plutôt que sur une volonté de moderniser le service public en soi. Cela ne signifie bien sûr pas que cette politique n’aura pas également des implications importantes pour la SMI. Du point de vue de la politique régionale, des inquiétudes subsistent, tant au niveau politique qu’au niveau de la population, concernant le déséquilibre spatial du développement économique en Irlande, qui se traduit par une congestion et par d’autres problèmes connexes dans la région du grand Dublin et par des emplois et des possibilités de développement économique moins nombreux en dehors des grandes zones urbaines. Dans ce contexte, il n’est sans doute pas étonnant que la répartition spatiale des emplois dans le service public ait, une fois de plus, fait l’objet d’un examen attentif (Budget 2004: A.8). Tandis que le niveau d’adaptation entre les sites choisis pour la décentralisation des organisations de service public dans le cadre de l’actuel programme et de la stratégie spatiale nationale est limité et a fait l’objet de commentaires négatifs (McDonald 2005 et Walsh 2004), la justification fondamentale de la politique reste inchangée.
  • [4]
    Ce que les Britanniques appellent " devolution " désigne le transfert de compétences du centre vers l’échelon local. Les ressources, le pouvoir discrétionnaire et la responsabilité sont ainsi transférés aux organismes locaux, sous réserve, en général, d’une forme de contrôle démocratique (par ex. gouvernement local).
  • [5]
    Chose intéressante, les ministères/bureaux épargnés dans une large mesure par la décentralisation en ce qui concerne la plupart de leurs " activités principales " et de leurs fonctions stratégiques centrales comprennent les services suivants : Entreprise, Commerce et Emploi ; Finances ; Affaires étrangères ; Santé et Enfance ; Justice, Égalité et Réforme législative ; Taoiseach et Transport, ainsi que l’Office of the Attorney General (Procureur général) et les services du Comptroller and Auditor General (Cour des comptes).
  • [6]
    Par exemple, l’un des facteurs essentiels à l’origine de l’actuelle initiative britannique concerne l’impératif économique prôné par la Gershon Efficiency Review (2004), qui oblige les organismes du service public à atteindre des objectifs d’efficience annuels de 2,5 %. Cet impératif réduit les économies potentielles des organisations découlant du changement de site et du différentiel des salaires dans les régions non métropolitaines. Il n’existe pas de facteur de ce type en Irlande. Le fait d’avoir choisi des sites régionaux au RU en vue de déplacer les organisations vers l’intérieur est également fortement influencé par les possibilités offertes par certains endroits et doit être justifié sur le plan commercial.
  • [7]
    Voir les quatre premiers rapports du DIG mentionnés dans la bibliographie.
  • [8]
    Citons quelques exemples de réseaux de ce type : ceux des sous-secrétaires, des agents de formation ministériels, des agents du personnel, des agents du service à la clientèle, des gestionnaires de sexe féminin et de la gestion du changement.
  • [9]
    Tandis que ces données ne portent pas spécifiquement sur les cadres supérieurs, de récentes analyses effectuées par le ministère des Finances indiquent que la part du personnel de plus de 50 ans devrait passer de 25 % à l’heure actuelle à quelque 45 % dans dix ans.

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