Couverture de RISA_731

Article de revue

Le souci des résultats dans les contrats de rendement

Preuves empiriques issues des gouvernements locaux suisses

Pages 103 à 121

Notes

  • [*]
    Dr Isabella Proeller est vice-directeur de l’Institut des services publics et du tourisme de l’université de St. Gall, en Suisse. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Outcome-orientation in performance contracts. Empirical evidence from Swiss local governments ".
  • [1]
    Cette analyse de contenu a été effectuée en nous aidant de la technologie, à savoir le logiciel MaxQDA2 et SPSS pour l’analyse statistique. Afin d’améliorer la fiabilité et la validité du codage, nous avons appliqué le principe des " quatre yeux " à 25 % des contrats. Cette opération a été suivie d’ateliers d’harmonisation et d’une épreuve d’échantillonnage au hasard une fois tous les contrats codés.

1 – Introduction

1La définition d’objectifs en matière de prestation de services publics et le fait de contrôler les activités des agences en examinant les produits réalisés et les résultats atteints par celles-ci sont des thèmes prédominants dans les réformes du NMP au niveau international. En Suisse, la mesure du rendement et le souci des résultats, de même que le renforcement de la flexibilité dans l’utilisation des ressources, sont à la base de la modernisation depuis les années 1990. Les instruments et les processus de mise en œuvre de ces mécanismes de contrôle sont au cœur des modèles conceptuels de réforme ainsi que des activités de mise en œuvre aux niveaux national, cantonal et local. Les contrats de rendement sont le principal instrument utilisé dans la mise en œuvre. Ceux-ci ont été adoptés par de nombreux gouvernements depuis quelques années dans le but de mettre davantage l’accent sur les résultats. Les attentes concernant l’amélioration du rendement et de la gestion organisationnels ainsi que les avantages proclamés de cette stratégie et de ces instruments de réforme sont multiples (Behn 2003, Gianakis 2002, Talbot 2005).

2Les contrats de rendement sont le principal instrument utilisé dans le cadre des réformes axées sur les résultats en Suisse, puisqu’ils contiennent les informations pertinentes en matière de contrôle. Afin de mieux comprendre la complexité et la situation des réformes, il est intéressant d’examiner la mesure dans laquelle ces contrats illustrent et intègrent effectivement cette évolution du mode de contrôle. L’expérience internationale montre que les systèmes de gestion axés sur les résultats connaissent une série de difficultés et présentent des lacunes (Boyne et Law 2005). Cette question n’a été que partiellement étudiée jusqu’à présent dans le contexte suisse. En ce qui concerne l’échelon local, les contrats de rendement et les informations disponibles en matière de contrôle n’ont pas encore été étudiés. Dans le présent article, nous analysons la teneur des contrats de rendement utilisés eu égard au mode de contrôle qu’ils entraînent pour le gouvernement local en Suisse. Nous examinerons le type d’informations sur le rendement effectivement disponibles en matière de contrôle et la façon dont le contrôle du rendement et celui des ressources sont combinés. Cette analyse nous aidera à déterminer la mesure dans laquelle les contrats de rendement illustrent effectivement un renforcement du souci des résultats. Notre analyse se fonde sur une analyse du contenu des contrats de rendement au sein des gouvernements locaux suisses.

2 – La gestion publique axée sur les résultats en Suisse

3La Suisse a pris le train du NMP en marche au début et au milieu des années 1990 et a baptisé sa réforme nationale s’inspirant du NMP " Wirkungsorientierte Verwaltungsführung " (WoV) (gestion publique axée sur les résultats). En conséquence, le souci des résultats et l’accent mis sur ceux-ci constituent, depuis le départ, un objectif déterminant. Même si les différents niveaux de gouvernement (fédéral, cantonal et local) utilisent le même modèle conceptuel de réforme, le fédéralisme permet d’adapter les processus et les instruments proprement dits aux différents contextes et aux différents gouvernements (Pollitt et Bouckaert 2004). En conséquence, même si les gouvernements locaux utilisent le même concept de réforme, celui-ci varie au niveau de son utilisation et de sa structure. Les composantes de base de l’approche suisse sont les contrats axés sur les résultats et l’introduction de la budgétisation au rendement. Cette approche privilégie également les systèmes de gestion de l’information, le souci de la clientèle ainsi que l’amélioration de la qualité. Conformément à l’orientation internationale de ces réformes, le renforcement de l’autonomie (organisationnelle, personnelle, financière, etc.) des entités organisationnelles, la délégation du pouvoir d’appréciation et le transfert de compétences au profit de niveaux hiérarchiques moins élevés et, surtout, l’attribution de la responsabilité managériale aux entités organisationnelles sont des questions inscrites à l’ordre du jour de la réforme (Rieder et Lehmann 2002, Schedler 1995, Schedler et Proeller 2003).

Le modèle de réforme et le contrôle axé sur les résultats

4Comme la plupart des autres modèles de mesure du rendement, l’approche suisse en matière de gestion du rendement se fonde sur le principe implicite de la simplification du processus de production. Les ressources sont utilisées à des fins de production (également appelée " throughput " en anglais) pour créer des produits. Ces produits entraînent des résultats, également appelés conséquences, effets ou impacts de la prestation de service public. La première étape, fondamentale, dans la mise en œuvre du mécanisme de contrôle axé sur les résultats consiste à identifier et à définir des objectifs au sein de ce processus de production. Ces objectifs ne doivent pas porter essentiellement sur les ressources, la production et les produits, mais plutôt sur les effets et les résultats. Pour pouvoir être utilisés à des fins de contrôle, ces objectifs doivent être mesurables. C’est la raison pour laquelle on définit des indicateurs, qui donnent des informations sur la réalisation des objectifs. Le rendement et la prestation de service peuvent ainsi être contrôlés au moyen d’effets et de résultats et pas uniquement sur la base des ressources et de l’activité.

5Selon le modèle de réforme de la WoV, le fait d’axer le contrôle sur le rendement doit s’accompagner d’une réduction du contrôle des ressources et d’un renforcement de l’autonomie opérationnelle des agences, en particulier en ce qui concerne la flexibilité financière et des ressources. Les budgets ventilés par rubrique doivent être écartés au profit des budgets globaux (" Globalbudget "). Dans ces derniers, les ressources de l’entité chargée de la prestation de services sont attribuées à des groupes de produits sur la base d’un montant forfaitaire, tandis que la définition des ressources (à côté des catégories de coûts comme dans les programmes de ressources détaillés) est passée sous silence. La compétence en matière de contrôle des ressources est transférée au fournisseur, qui devient ainsi responsable de la réalisation des objectifs. Les budgets globaux peuvent soit prendre la forme de montant forfaitaires, soit contenir une composante variable, en ce sens que le budget est adapté en fonction des niveaux de production. L’organisation gagne ainsi en flexibilité au niveau de l’usage et de l’attribution des ressources dans le cadre de ses activités dans les limites du budget global, tandis que le fait de combiner cette approche avec des indicateurs de rendement garantit un contrôle adapté (Schedler 1994). Le fait de combiner mesure du rendement et budgets globaux est considéré comme une condition sine qua non afin d’éviter une réglementation insuffisante ou excessive. À terme, cette technique constitue également un incitant pour les responsables et le personnel et favorise le recours à la gestion au niveau du prestataire.

6Ce souci des résultats se traduit par le recours à une série d’instruments, comme la planification à moyen terme, les contrats de rendement, les rapports, la budgétisation ou le benchmarking. Les instruments les plus importants et les plus déterminants sont les contrats de rendement, adaptés au niveau hiérarchique. Les contrats de ce type conclus avec une entité chargée de la prestation précisent le rendement attendu de sa part en termes de produits et de résultats. Ils comprennent des indicateurs appropriés et définissent le volume de ressources attribuées eu égard aux produits et aux résultats. Ces contrats, conclus au niveau des prestataires de services, sont considérés comme un accord sur les normes et les mécanismes de contrôle. Les contrats deviennent ainsi le principal instrument de contrôle dans le cadre des réformes WoV : ils contiennent les principales informations en matière de contrôle axé sur les résultats de même que des informations sur le niveau d’autonomie accordé dans l’usage des ressources (Schedler et Proeller 2003).

7La mise en œuvre du contrôle axé sur les résultats est un processus complexe. Les gouvernements locaux ne définissent que rarement les objectifs qu’ils cherchent à atteindre. Ils commencent souvent en précisant les produits et rassemblent des informations sur les quantités, les coûts et la qualité attendus au niveau de la production. Ils définissent ensuite des objectifs, qui portent souvent sur des produits ou des groupes de produits, et enfin, des indicateurs (Schedler 1994, Schedler et Proeller 2003). La mise en œuvre prend généralement la forme de projets pilotes et des agences et des services supplémentaires sont ensuite peu à peu inclus. Le souci des résultats et la mesure du rendement sont non seulement utilisés pour la prestation de service par les agences internes, mais aussi dans le cadre de la prestation de service externe par des organisations sans but lucratif, des organisations privées ou d’autres organismes publics offrant des services au gouvernement local.

Les études sur la mise en œuvre

8On compte plus de 2 800 gouvernements locaux en Suisse. Leur taille varie considérablement : environ la moitié des municipalités comptent moins de 1 500 habitants. Les données sur la participation des gouvernements locaux dans les réformes du NMP indiquent qu’environ un quart d’entre eux prennent aujourd’hui les premières mesures dans ce sens, et qu’environ dix pour cent des municipalités prétendent avoir mis en œuvre les nouveaux mécanismes de contrôle. La mise en œuvre de ces mécanismes se retrouve davantage dans les municipalités plus grandes (de plus de 2 000 habitants) (Ladner 2000, Steiner 2000). Quelque quinze pour cent seulement des gouvernements locaux se livrant à des réformes WoV ont appliqué une approche à l’échelle de leur gouvernement. Par conséquent, même si les gouvernements locaux prétendent utiliser des mécanismes de contrôle axés sur les résultats, ceux-ci ne concernent pas nécessairement l’ensemble de la fonction publique. Il s’agit généralement de villes plus grandes, de plus de 10 000 habitants (Ladner 2005). Dans une étude sur l’évolution et les principaux thèmes de la politique administrative pour l’avenir, Proeller et Gähwiler (2007) indiquent que les gouvernements locaux en Suisse pensent que les systèmes de contrôle axés sur le rendement seront maintenus à l’avenir et se répandront davantage.

9On ne dispose guère d’informations pour l’instant sur la complexité des structures de contrôle axé sur les résultats au niveau local en général. Tandis que la recherche s’intéresse au cas des grandes villes et des précurseurs en matière de WoV au niveau local (les villes de Zürich, Berne et Lucerne) (Noordhoek et Saner 2005, Schedler 1994), des cas relativement bien documentés, les informations sont rares pour la grande majorité des gouvernements locaux et pour obtenir une vue d’ensemble. Dans une étude des gouvernements locaux, Ladner (2000) constate que les gouvernements locaux qui prétendent appliquer des contrats de rendement ne se livrent pas tous à la budgétisation globale. Cette absence de lien entre les budgets globaux et les informations sur le rendement apparaît également dans une enquête sur les gouvernements locaux dans le canton de Berne, même si à Berne, les gouvernements qui prétendaient avoir appliqué les budgets globaux étaient plus nombreux que ceux qui indiquaient utiliser la définition des produits et les objectifs (Ladner 2005). Cela indique clairement que les gouvernements locaux ne respectent pas forcément la prescription conceptuelle qui consiste à combiner les aspects " ressources " et " rendement " du contrôle et que les données sur le rendement viennent en revanche enrichir les mécanismes de contrôle. S’agissant de l’échelon cantonal et sur la base d’études de cas uniques, Rieder et ses collègues (Rieder 2003, Rieder 2006, Rieder et Lehmann 2002) constatent que les informations sur le rendement à des fins de contrôle sont incomplètes et fragmentaires au niveau des résultats.

3 – Étude sur la mise en œuvre du contrôle axé sur les résultats

10Les résultats des études internationales et les expériences des gouvernements dans le monde nous amènent à penser que les gouvernements locaux suisses ont choisi une voie de réforme certes courante, mais complexe et souvent égarée. L’inclusion de l’aspect " résultats " a été soulignée dans de nombreux programmes de réforme. La loi américaine sur le rendement et les résultats du gouvernement (" Government Performance and Results Act " (GPRA)) insiste sur la définition d’objectifs de résultats pour les agences (GAO 2005). Par ailleurs, la stratégie britannique intitulée " Modernizing Government " met l’accent sur la définition d’objectifs d’effets et de résultats, à l’échelon local également (Boyne et Law 2005). Tandis que l’idée que les résultats et les effets doivent être intégrés dans les systèmes de contrôle semble répandue, l’expérience montre que les conséquences et la mise en œuvre d’une telle approche sont souvent mitigées et incomplètes. Une comparaison des évaluations et des rapports sur les réformes dans le monde révèle que la définition d’objectifs et d’indicateurs de résultats est encore problématique pour de nombreux gouvernements. Il apparaît souvent que les informations axées sur les résultats ne répondent pas encore aux conditions requises pour être utilisées à des fins de contrôle. Le lien avec la gestion des ressources et les systèmes de contrôle financier est souvent limité (Proeller 2007, Rieder 2005). Boyne et Law (2005) constatent cependant que les conventions de services du gouvernement local britannique ont été considérablement améliorées par rapport aux précédentes tentatives d’inclusion d’outils de mesure des résultats dans les ensembles de mesures du rendement. Conformément aux rapports axés sur d’autres réformes, la définition d’indicateurs de résultats semble faire l’objet d’une courbe d’apprentissage.

11Les difficultés rencontrées par les gouvernements pour appliquer des systèmes solides de gestion du rendement axés sur les résultats sont dues à différents éléments. La définition d’objectifs et d’indicateurs au niveau des résultats et des effets est une tâche complexe. Tandis que des approches plus efficaces ont été développées (Ammons 2001, Morley et al. 2001, Rieder 2003) et que des progrès ont été réalisés, la définition et la collecte d’informations sur le rendement axé sur les résultats posent encore problème dans la pratique. Rieder (2005) attribue ces difficultés à des motifs techniques, politiques et financiers. Les motifs techniques sont dus au manque de savoir-faire, aux causalités inconnues ou à l’absence de recommandations de la part de l’échelon politique ; les motifs politiques concernent les cas où des motifs tactiques ou politiques entraînent la décision de ne pas définir les objectifs ou les indicateurs ; et les motifs financiers interviennent lorsque la mesure d’un indicateur est trop coûteuse et dès lors non réaliste. Dans le même ordre d’idées, Boyne et al. (2004) établissent la distinction entre les problèmes techniques (y compris les ressources et l’expertise) et politiques et concluent que dans la réalité opérationnelle, les problèmes sont davantage techniques que politiques. En effet, ces problèmes entraînent des systèmes de rendement qui ne fournissent que des informations incomplètes et fragmentées sur le rendement et dans lesquels les objectifs ne sont que partiellement ou pas définis.

12En ce qui concerne la budgétisation au rendement, Herzog (2006) conclut qu’à divers égards, les représentations théoriques de la budgétisation au rendement ne correspondent pas à la réalité opérationnelle, ce qui permettrait de qualifier la budgétisation au rendement de mythe. La budgétisation au rendement n’est pas utilisée en tant qu’approche à l’échelle du gouvernement : elle est plutôt appliquée dans certains domaines et sous des formes adaptées. Elle passe par une série d’outils et d’exigences tout au long du cycle budgétaire (comme la comptabilité analytique, les évaluations, la planification stratégique), qui sont souvent insuffisamment développés et empêchent sa mise en œuvre totale. Par ailleurs, d’aucuns avancent que le renforcement de l’autonomie en ce qui concerne l’utilisation des ressources n’est que l’un des éléments (certes important) présents dans les systèmes d’incitation. Les effets positifs n’apparaîtront qu’en présence d’une combinaison de différentes structures et de différents systèmes d’incitation (Swiss 2005). Tandis que les attentes et les avantages proclamés sont importants, les conséquences concrètes sont mitigées, en raison surtout des adaptations apportées dans la mise en œuvre. Parallèlement aux lacunes au niveau des informations sur le rendement et du contrôle du rendement, le risque persiste que les gestionnaires ne soient pas suffisamment responsabilisés (Walker et Boyne 2006), ce qui entraîne des hésitations en matière de transfert des compétences.

13La conception initiale de la gestion du rendement est souvent adaptée dans la mise en œuvre. Les stratégies de réforme explicites et nouvelles ne correspondent plus nécessairement à la description de la gestion et du contrôle basés sur le rendement présente dans la théorie (comme le modèle WoV, par exemple). Naschold (1996) analyse les stratégies en matière de contrôle axé sur les résultats et identifie trois types principaux dans les gouvernements locaux :

  • Le contrôle procédural axé sur les résultats : un contrôle bureaucratique traditionnel, mais s’accompagnant de contrats et de certaines données axées sur le rendement (essentiellement sur les ressources, la production et sur certains produits) ;
  • Le contrôle axé sur les résultats managériaux : l’accent est mis sur le rôle managérial dans le processus de définition et de contrôle des résultats, mais le rôle des politiciens et des citoyens est passé sous silence ;
  • Un souci du processus combiné à la gestion de la qualité.
En Allemagne, on retrouve beaucoup plus souvent les premier et troisième types que le deuxième (Naschold et al. 1997). Ces stratégies impliquent des exigences différentes en matière de qualité et de conception du système d’information et de contrôle, très différent du système décrit dans le modèle WoV. Le fait d’opter pour un contrôle procédural axé sur les résultats (le premier type mentionné ci-dessus) s’explique souvent par la combinaison des avantages des deux mécanismes de contrôle. Lorsque le souci des résultats s’ajoute au souci des ressources, on part du principe qu’un contrôle encore plus important (et donc meilleur) est possible. L’expérience a souvent montré, en revanche, que le souci des résultats en tant qu’élément surajouté peut entraîner de nombreux problèmes. Plus important, cependant, il ne sera pas perçu comme pertinent par le personnel des agences et ne parviendra probablement pas à remplir ses fonctions de motivation et de coordination (Frey et Osterloh 2000).

14Les dangers d’une mesure incomplète du rendement dans le cadre du contrôle axé sur les résultats entraînent souvent un cycle vers le bas. S’agissant des entreprises publiques, Greiling (1996) constate que l’absence d’objectifs de rendement précis entraîne souvent une délégation factuelle de la fixation des objectifs au profit de la direction de l’agence. Les objectifs de rendement incomplets s’accompagnent souvent d’exigences financières de nature plus tangible. À terme, le transfert implicite de la définition du rendement au profit de l’organisation se traduit par une plus grande distance entre la partie qui contrôle et celle qui offre le service, et rend le contrôle encore plus difficile. Il entraîne également souvent une surévaluation non intentionnelle des aspects financiers (Machura 1993). Cette logique générale peut également s’appliquer à différentes structures institutionnelles. Le dilemme commence lorsque l’absence de contrôle formel est compensée par un contrôle permanent des ressources et par un contrôle procédural. La nécessité d’une mesure précise du rendement et sa fiabilité deviennent secondaires et le souci des résultats n’évoluera pas davantage, puisque les structures de contrôle parallèles resteront en place.

15La mise en œuvre des contrats axés sur les résultats et le rendement s’accompagne bien entendu d’un certain nombre d’obstacles. Dans le chapitre suivant, nous examinons la situation actuelle des contrats de rendement en Suisse. Nous verrons à quels égards les gouvernements locaux suisses sont confrontés aux défis évoqués plus haut.

4 – La conception du contrôle du rendement dans les contrats de rendement des gouvernements locaux suisses

Données et méthode

16Afin d’analyser la mise en œuvre et la situation du contrôle axé sur les résultats, nous avons réalisé une étude empirique sur les gouvernements locaux en Suisse. Nous avons demandé à tous les gouvernements locaux suisses de plus de 2 000 habitants (800 communes) de nous envoyer des contrats de rendement qu’ils ont utilisés au cours de l’année 2004. Cent et une communes nous ont renvoyé ces documents et nous avons pu intégrer 395 de ces documents dans notre analyse en tant que contrats de rendement. Ce taux de réponse peut sembler relativement faible de prime abord. Lorsque l’on sait que seulement dix pour cent environ des gouvernements locaux en Suisse prétendent avoir mis en œuvre un contrôle axé sur les résultats, l’on supposait qu’un grand nombre de gouvernements locaux n’appliquaient pas de contrats de ce type et ne nous renverraient dès lors pas les documents demandés. Il est par conséquent réaliste qu’une centaine de gouvernements locaux se soient manifestés.

17Les contrats de rendement envoyés ont été sélectionnés par le gouvernement local concerné. L’échantillon ne représente dès lors ni l’entièreté, ni un échantillon aléatoire des accords de rendement utilisés. Les contrats de rendement de l’échantillon proviennent des quatre coins de la Suisse mais essentiellement des parties germanophones et couvrent un vaste éventail de services publics offerts par différents types d’institutions. Le fait qu’ils ont été sélectionnés par les gouvernements locaux se traduit par ailleurs par des distorsions concernant la qualité des contrats de rendement. L’on peut supposer que les gouvernements locaux étaient davantage enclins à choisir des accords de rendement qu’ils considéraient comme " efficaces " plutôt qu’à nous envoyer ceux qu’ils considéraient eux-mêmes comme des exemples inadaptés de leur approche. De fait, notre échantillon présente par conséquent plutôt une distorsion positive.

18Nous avons codé et analysé les contrats de rendement au moyen d’une analyse de contenu qualitative et quantitative. [1] Dans le cadre de notre étude, nous avons essentiellement cherché à déterminer le type et la qualité des informations sur le rendement contenues et disponibles dans les contrats de rendement ainsi que la mesure dans laquelle ces documents font apparaître une évolution vers le contrôle axé sur les résultats. Nous avons plus précisément analysé le type d’exigences de rendement définies et la façon dont le contrôle des ressources financières est appliqué. Cela nous a permis d’obtenir des informations sur la combinaison et la complexité du contrôle de rendement et des ressources.

19Les résultats de notre étude ne nous permettent bien sûr pas de tirer des conclusions sur l’utilisation et l’application générales des contrats de rendement en Suisse. Ils attirent néanmoins notre attention sur des pistes intéressantes et sur certains aspects du développement et de l’utilisation des contrats de rendement à l’échelon local.

Exigences de rendement

20Le premier aspect qui nous intéressait concernait la façon dont les gouvernements locaux définissent et décrivent le rendement. La prescription conceptuelle de la gestion du rendement axée sur les résultats consiste à définir des objectifs et des indicateurs. Nous avons analysé le contenu des accords de rendement sur le plan des exigences de rendement axées sur les effets et les résultats. Après avoir examiné et codé l’ensemble des données disponibles et structuré l’ensemble de données, nous avons pu distinguer des catégories d’exigences de rendement. En fonction du niveau de justification/d’abstraction, nous avons distingué les quatre catégories suivantes d’exigences (en commençant par la moins précise) :

  • Objectif général : Le premier groupe d’accords de rendement ne portait que sur les tâches et les obligations, sans préciser les objectifs en matière de services et de produits. Les objectifs ne sont décrits qu’à un niveau très abstrait : aucune priorité n’est établie concernant les objectifs généraux, qui ne sont pas précisés de façon significative. Par exemple dans le domaine du corps de pompiers, les objectifs sont définis de la façon suivante : " prévention et lutte contre les incendies, les dommages élémentaires et autres ".
  • Produits : Outre la déclaration des objectifs généraux, une grande partie des contrats dressent la liste des produits et des services à offrir, mais sans préciser les objectifs en matière de produits ou de groupes de produits. Les listes de produits doivent donc être interprétées comme une justification des objectifs généraux, en ce sens que les contrats énoncent les services et les activités censés être offerts afin de concourir à l’objectif général.
  • Objectifs de résultats : La catégorie suivante concerne les contrats qui précisent de réels résultats et objectifs en matière de produits/de résultats, mais sans déterminer leur mesure. Plus précisément, dans ces contrats, les objectifs visés sont répertoriés pour chaque produit ou groupe de produits. À des fins de catégorisation, nous avons établi une distinction majeure. Seuls les " objectifs pertinents " (Kosiol 1966) ont été pris en considération. Par conséquent, nous n’avons pas tenu compte des contrats contenant des objectifs concrets mais seulement en ce qui concerne des " objectifs formels " dans cette catégorie (cette restriction ne s’appliquait qu’à un nombre très limité de contrats).
  • Objectifs et indicateurs : Enfin, les contrats de rendement énonçant de façon explicite les objectifs de la prestation de service et les outils de mesure de ces objectifs (les indicateurs) constituent la dernière catégorie. Pour être inclus dans cette catégorie, les accords de rendement ne doivent pas contenir des indicateurs pour tous les objectifs énoncés, ils doivent seulement définir les indicateurs présents.

Tableau 1

Type d’exigences de rendement utilisées dans les contrats de rendement

Tableau 1
Exigences du rendement par Objectifs généraux Produits Objectifs des résultats Objectifs et Indicateurs Pourcentage de contrats axés sur le rendement 24% 23% 20% 33%

Type d’exigences de rendement utilisées dans les contrats de rendement

21L’analyse des exigences de rendement contenues dans les contrats de rendement indique que 33 % des accords analysés font appel à des objectifs précisés et à quelques indicateurs en guise d’outils de mesure du contrôle. Par ailleurs, 20 % des accords définissent verbalement des objectifs de résultats mais ne donnent aucune information sur la mesure de ces objectifs. Près d’un quart (23 %) des accords ne définissent pas d’objectifs précis en matière de prestation de services, se contentant de dresser la liste des produits à offrir. Les 24 % restants ne précisent ni les services à offrir, ni les objectifs à atteindre : ils mentionnent simplement un objectif global relativement général en ce qui concerne la prestation de service. En somme, ces résultats indiquent qu’une grande majorité des accords de rendement ne répondent pas à l’exigence relative à la mention d’objectifs de rendement concis et mesurables. Même dans le groupe de contrats de rendement qui contiennent des indicateurs et des objectifs, ces informations ne sont pas exhaustives dans la plupart des cas (voir plus loin). Parallèlement à cela, on constate qu’un grand nombre d’accords de rendement comprennent quelques informations liées aux résultats, comme des listes de produits, des objectifs, voire des indicateurs. Même si la présence de ces informations ne suffit pas à faire de ces contrats des outils de contrôle axé sur les résultats, on peut la considérer comme une évolution positive vers un plus grand souci des résultats.

Indicateurs pour la mesure du rendement

22Dans les systèmes de mesure et de contrôle du rendement axés sur les résultats, les objectifs et les indicateurs doivent de préférence être définis au niveau des résultats. La mesure des ressources, de la production et, surtout, du produit est certes également nécessaire pour évaluer l’efficience (Naschold et al. 1997, Williams 2003), mais en sus de la mesure des résultats. Afin d’obtenir des indications sur la mesure réelle des objectifs, nous avons analysé les contrats de rendement contenant des indicateurs eu égard au niveau de rendement qu’ils mesurent, par ex. en examinant s’ils utilisaient des indicateurs de ressources, de production, de produits et/ou de résultats.

23Afin d’obtenir un aperçu de la situation globale, nous avons effectué deux analyses. Nous avons d’abord analysé si les accords de rendement utilisaient des indicateurs et, si oui, à quel niveau. Nous avons donc analysé tous les contrats de rendement disponibles afin de déterminer s’ils contenaient des indicateurs au niveau des ressources, de la production, des produits et des résultats. Cela afin de déterminer à quels niveaux les indicateurs, s’ils sont présents, sont définis (première ligne du tableau 2).

24Les résultats indiquent qu’un cinquième seulement des accords de rendement contient des indicateurs axés sur la mesure des résultats, et qu’un quart environ comprend des indicateurs relatifs au niveau de produits. Parmi le nombre déjà limité de contrats de rendement qui définissent effectivement le rendement au moyen d’indicateurs (voir tableau 1), un nombre encore plus limité mesure effectivement les résultats. Par conséquent, le souci des résultats n’est présent que dans un nombre relativement réduit d’accords de rendement analysés. Cela nous amène à conclure que le souci des résultats, ou même la mesure du rendement, n’est pas encore appliqué dans la grande majorité des systèmes de gestion du rendement. Lorsque le rendement est effectivement mesuré, il ne porte bien souvent pas sur les résultats et concerne au mieux les produits, la production et les ressources, des mesures qui permettent de tenir compte de l’efficience, mais pas de l’efficacité.

Tableau 2

Niveau de mesure du rendement dans les contrats de rendement

Tableau 2
Type d’indicateur Ressources Production Produits Résultats Commentaires/aide à la lecture % de contrats axés sur le rendement qui prévoient des indicateurs sur le niveau de 8% 13% 26% 20% X % des contrats axés sur le rendement de l’échantillon qui comprennent des indicateurs de ressources/ production/produits ou de résultats. 100% fait référence à l’ensemble des contrats analysés. % d’indicateurs sur le niveau de … Sur la base de tous les indicateurs utilisés 11% 20% 39% 30% X % d’indicateurs utilisés désigne les indicateurs sur le niveau de ressources/ production/produits ou de résultats. Les pourcentages s’élèvent à 100%.

Niveau de mesure du rendement dans les contrats de rendement

25Ensuite, afin de déterminer les aspects prioritaires de la mesure du rendement, le cas échéant, nous avons analysé la répartition des indicateurs entre les différents niveaux de rendement. La question était de déterminer le niveau de rendement que la plupart des indicateurs mesuraient (deuxième ligne dans le tableau 2). Notre analyse révèle qu’environ 70 % des indicateurs portaient soit sur les produits, soit sur les résultats, tandis que les autres sont des indicateurs de ressources et de production. Lorsqu’elle est appliquée, la mesure du rendement porte essentiellement sur les résultats et les produits de la prestation de service. On peut interpréter cela comme le signe que les gouvernements locaux privilégient davantage la dernière partie du processus de production. Cela correspond également à l’exigence conceptuelle selon laquelle la mesure du rendement doit donner et privilégier des informations sur ces phases de production. Ce constat s’applique uniquement, cependant, aux accords de rendement qui utilisaient effectivement des indicateurs.

26Par ailleurs, lors du codage et de l’analyse, il est apparu qu’un grand nombre d’indicateurs de résultats présentaient des faiblesses au niveau de leur qualité. Les indicateurs de résultats doivent être solides et pouvoir être utilisés à des fins de contrôle. Ils doivent donc répondre à certains critères, comme la validité, l’actualité, la fiabilité, ils doivent mesurer des éléments sur lesquels le fournisseur a une influence, etc. (Audit Commission 2000). Un grand nombre d’indicateurs observés sont en réalité des mesures de la satisfaction ou des mesures de l’équité ou de la légalité (par exemple, nombre de refus du niveau hiérarchique suivant). Si l’on ajoute à cela le fait que dans la plupart des cas, seul un indicateur de résultats est utilisé, on peu se poser plusieurs questions sur le plan qualitatif. D’abord, on peut se demander si la satisfaction ou la légalité portent sur l’ensemble des objectifs poursuivis dans le cadre de ce service. Ensuite, le fait de ne s’intéresser qu’à ces aspects des résultats risque d’entraîner des motivations perverses, en plaçant la satisfaction avant les autres intérêts et objectifs généraux. Enfin, la façon dont les niveaux de satisfaction sont calculés n’est bien souvent pas précisée ou est peu claire, ce qui pourrait avoir une influence sur les résultats. Sans parler des autres questions qualitatives. En somme, cela confirme notre impression selon laquelle le souci des résultats est fragmentaire et peut encore se développer.

Contrôle financier

27Notre analyse porte à présent sur l’aspect " contrôle financier " des contrats de rendement. Nous avons examiné la façon dont les gouvernements locaux attribuent les ressources financières dans le cadre de la prestation de services lorsqu’ils utilisent des accords de rendement. La prescription conceptuelle du contrôle axé sur les résultats veut que l’attribution des ressources financières tienne compte des résultats et des produits. Elle doit prendre la forme de budgets globaux et non se baser sur des programmes détaillés de définition des ressources. Nous avons analysé le contenu des accords de rendement en nous intéressant aux formes de financement de la prestation de services. Après avoir examiné et codé l’ensemble des données disponibles et structuré l’ensemble de données, nous avons pu distinguer différentes catégories d’attribution des ressources dans le cadre du financement. Selon le degré d’autonomie et de flexibilité des budgets, nous avons distingué les trois catégories de contrôle financier suivantes :

  • L’attribution axée sur les ressources : budgets traditionnels, ventilés par rubrique, ou le financement de la prestation de service en fonction des ressources uniquement. Les ressources attribuées ne sont pas tributaires des produits réalisés ou des résultats atteints.
  • L’attribution globalisée : un montant net est attribué à la prestation de service. Ce montant est fixe et les services définis sont censés être offerts en respectant ce cadre financier. Les budgets globaux, qui visent à financer des groupes de services, ainsi que les montants forfaitaires fixes ou les garanties de déficits maximums font partie de cette catégorie.
  • L’attribution variable : le financement est axé sur les produits ou les activités offerts et varie en fonction de la quantité de produits réalisés. Il peut s’agir d’un montant forfaitaire fixe assorti d’une composante variable.

Tableau 3

Type de contrôle financier défini dans les contrats de rendement

Tableau 3
Contrôle financier par Attribution détaillée / ventilée par rubrique Attribution globalisée Attribution variable Pourcentage de contrats axés sur le rendement 11% 62% 27%

Type de contrôle financier défini dans les contrats de rendement

28La majorité des contrats de rendement se basent sur une attribution des ressources globalisée (62 %) ou variable (27 %). Les autres contrats de rendement (11 %) sont assortis d’un système de financement axé sur les ressources. Par conséquent, la grande majorité des contrats de rendement analysés s’appliquent en réalité à une structure de prestation de service dans laquelle l’autonomie dans l’utilisation des ressources est ou a été déléguée au fournisseur. Cela s’explique peut-être par le fait que les contrats de rendement sont souvent utilisés dans des contextes où la délégation de l’autonomie financière n’est pas considérée comme risquée et où le contrôle des ressources n’est pas perçu comme indispensable. C’est le cas lorsque les sommes en jeu sont réduites, ou dans les situations où il est de tradition de procéder à un financement au moyen d’une attribution globalisée ou variable. Il reste cependant un certain nombre de contrats qui ne font apparaître aucun transfert des compétences financières vers l’échelon chargé des opérations ou aucune évolution dans le mode de financement (en délaissant les ressources), même si cela ne s’applique qu’à un nombre relativement réduit de contrats de rendement (11 %). Dans ces cas, l’attribution des ressources financières est découplée des résultats et des produits.

Le contrôle du rendement associé au contrôle financier

29L’aspect financier des contrats de rendement, comparé à l’aspect " rendement ", semble correspondre dans une plus large mesure aux idées énoncées dans le modèle conceptuel. Ce qui nous amène instantanément à la question de la contrôlabilité étant donné que le financement axé sur les résultats doit se baser sur une compensation du contrôle au niveau de l’exécution. Afin de nous faire une idée de la mesure dans laquelle le contrôle financier est assorti d’un contrôle du rendement dans les contrats de rendement, nous avons analysé le type d’informations sur le rendement présentes dans les différents systèmes d’attribution de ressources financières.

30Le modèle conceptuel indique que l’attribution globalisée s’accompagne de la définition d’indicateurs au niveau des résultats. Il en va plus ou moins de même en ce qui concerne l’attribution variable, si ce n’est que la mesure des produits est obligatoire afin de déterminer la composante variable. Les résultats indiquent que l’attribution globalisée s’accompagne souvent de la définition d’indicateurs et d’objectifs. Les résultats relatifs à la qualité et au niveau des indicateurs révèlent cependant que ces chiffres doivent être traités avec prudence. La définition d’objectifs mesurables se retrouve moins souvent dans les modèles de financement variable. Dans ces derniers, les objectifs de résultats sont plus souvent verbalement définis ou le rendement est décrit sur la base de produits à fournir sans que des objectifs qualitatifs et quantitatifs ne soient précisés. En réalité, cela se traduit par un financement par produit sans planification de ces produits. La quantité de produits est déterminée par la demande des citoyens et le public adapte le financement. Par exemple, environ 20 % de l’attribution variable et globalisée des ressources se fonde uniquement sur des descriptions générales des tâches et sur des objectifs globaux, ce qui correspond à un transfert des compétences financières sans compensation du contrôle au niveau du rendement.

Tableau 4

La combinaison du contrôle du rendement et financier dans les contrats de rendement

Tableau 4
Contrôle financier par Attribution détaillée / ventilée par rubrique Attribution globalisée Attribution variable Contrôle du rendement par Objectifs et Indicateurs Objectifs de résultats Produits Objectifs généraux 22% 7% 38% 33% 45% 16% 16% 23% 14% 34% 31% 21% 100% 100% 100%

La combinaison du contrôle du rendement et financier dans les contrats de rendement

31Le financement axé sur les ressources met l’accent sur le contrôle des dépenses et des processus. La définition des objectifs et la mesure du rendement n’ont dès lors pas le même statut. Le financement axé sur les ressources combiné à la définition de tâches générales correspond essentiellement aux mécanismes de contrôle traditionnels axés sur les ressources. Cette combinaison se retrouvait dans 33 % des contrats de rendement basés sur un financement axé sur les ressources. Dans ces cas, les contrats de rendement n’entraînent pas d’évolution vers un contrôle axé sur les résultats. L’attribution axée sur les ressources s’accompagne également d’informations plus précises concernant le rendement. Par conséquent, la majorité des contrats de rendement dont le financement est lié aux ressources contiennent une liste des produits. Ces listes de produits n’ont aucune fonction de contrôle. Elles doivent plutôt être interprétées comme des informations supplémentaires sur les services. Il est intéressant de noter qu’un certain nombre de contrats de rendement allient financement axé sur les ressources et objectifs précis et mesurables. Comme l’ont révélé d’autres recherches, les situations de ce type risquent d’entraîner un dysfonctionnement de la gestion du rendement (Frey et Osterloh 2000).

32Dans l’ensemble, les résultats indiquent que la question de la réglementation excessive ou insuffisante doit être abordée dans un grand nombre des contrats de rendement analysés. La logique du souci des résultats consiste à assouplir le contrôle axé sur les ressources au profit d’un renforcement du contrôle du rendement axé sur les résultats. Les combinaisons présentées dans le tableau 4 révèlent que certains contrats de rendement prévoient effectivement un assouplissement du contrôle des ressources mais n’éliminent pas les exigences de rendement contrôlables (risque de réglementation insuffisante) ou, à l’inverse, que les contrats de rendement se basent sur un contrôle des ressources financières tout en renforçant le contrôle au niveau de l’exécution (risque de réglementation excessive). Les explications sont sans doute multiples. Cette situation peut être le résultat d’une stratégie délibérée ou du niveau de développement, déséquilibré, d’un processus toujours en cours. Les conséquences de ces deux explications sont similaires. Il est possible que l’application se limite aux services et aux domaines stratégiques qui ne sont pas considérés comme difficiles et risqués à contrôler. Par ailleurs, les conséquences prévues du contrôle axé sur les résultats ne se perçoivent pas toujours ñ non seulement parce qu’elles sont parfois un mythe, mais aussi parce que la mise en œuvre a été bloquée quelque part à un niveau intermédiaire. Ces conséquences n’apparaissent pas forcément dans tous les gouvernements locaux, mais la possibilité qu’elles apparaissent existe bel et bien.

5 – Conséquences

33Rieder (2005) indique que la mesure axée sur les résultats est appelée à devenir le tendon d’Achille des réformes de la gestion publique en Suisse. Le contrôle appliqué dans la gestion publique axée sur les résultats en Suisse se fonde sur la définition et la mesure de résultats. Pour l’instant, les informations de contrôle utilisées dans un grand nombre de contrats de rendement ne répondent pas à cette exigence. Beaucoup de projets de réforme connaissent des difficultés au niveau de la définition et de la mesure des résultats, des problèmes qui apparaissent également dans les résultats de l’étude. La conséquence et le danger de ces problèmes est que les échelons politiques ne seront pas disposés à étendre l’application du nouveau mode de contrôle à d’autres domaines stratégiques tant que les informations sur le rendement axé sur les résultats ne seront pas disponibles (voir aussi Brun et Siegel 2006). Les réformes risquent d’être bloquées au milieu du processus.

34En ce qui concerne la qualité des résultats, ceux-ci permettent d’interpréter la situation et le potentiel futur. Il convient de noter que le souci du rendement a été clairement renforcé dans le contrôle de la prestation de service. La grande majorité des accords de rendement font apparaître une volonté de mettre l’accent sur les produits et les résultats de la prestation de service, ce que l’on peut considérer comme une évolution et un changement depuis dix à quinze ans, même si cette évolution se limite aux définitions de produits. Cependant, les exigences en matière de contrôle axé sur les résultats dépassent souvent le type et la qualité des informations qui sont disponibles dans les contrats de rendement examinés dans notre étude. Les listes de produits et les objectifs généraux qui ne peuvent être mesurés ou pondérés ne suffiront pas pour instaurer un contrôle axé sur les résultats. Même si les idées du NMP en Suisse ont, depuis le début, privilégié les résultats (Schedler 1995), les résultats indiquent que dans la pratique, cette recommandations n’est que rarement respectée. Conformément aux résultats des pays de l’OCDE (OCDE 2002), la gestion du rendement ne comprend pas encore systématiquement des informations sur les résultats.

35La situation actuelle peut s’expliquer par les lacunes dans la mise en œuvre ou par celles du modèle sous-jacent. Ces deux explications s’appliquent probablement partiellement aux gouvernements locaux en Suisse. Certains gouvernements locaux n’ont pas l’intention d’appliquer de " réels " mécanismes de contrôle axé sur les résultats s’accompagnant d’un transfert de compétences correspondant. Ils préfèrent plutôt opter pour ce que Naschold et al. (1997, 14) appellent le " contrôle procédural axé sur les résultats ", par ex. lorsque les contrats ne font que compléter les mécanismes de contrôle traditionnels et sont appliqués dans des situations où la délégation des compétences existait déjà avant le WoV, comme dans les organisations axées sur des projets ou dans la prestation de service décentralisée. La gestion du rendement a peu de chances d’entraîner des conséquences positives dans ces situations incomplètes. En outre, elle est souvent considérée comme une bureaucratie supplémentaire sans aucune valeur ajoutée. Les contrats de rendement devraient être utilisés et appliqués uniquement dans le but d’en faire des instruments de contrôle du rendement pertinents et nécessaires. Même si les gouvernements locaux choisissent de ne pas appliquer une approche à l’échelle du gouvernement, ils doivent préciser leur stratégie en matière de gestion du rendement et la rendre pertinente et utile lorsqu’elle est appliquée.

36Par ailleurs, certaines des lacunes présentes dans le souci des résultats peuvent s’expliquer par la phase de développement (les contrats de rendement ne représentent par exemple que des premières tentatives et vont continuer à évoluer). Il n’en reste pas moins que le fait qu’un grand nombre de contrats de rendement ne comprenaient pas même des objectifs ou des mesures précis indique qu’il convient de se montrer prudent dans leur évolution future. La priorité qui consiste à définir des objectifs de rendement et à les mesurer peut être perçue comme secondaire. Il est possible que les objectifs mesurables ne seront jamais développés et que le contrôle axé sur les résultats ne sera jamais appliqué.

37En outre, les gouvernements locaux sont confrontés à des problèmes techniques et politiques dans le processus de définition et de mesure des résultats tels que définis au chapitre précédent (Boyne et al. 2004, Rieder 2006). La mise en œuvre est bien plus complexe que les modèles conceptuels ne la décrivent et les gouvernements locaux ne parviennent bien souvent pas à trouver des indicateurs appropriés, abordables, fiables et d’actualité. Jusqu’à présent, ils ont fait preuve d’une créativité relativement limitée dans la définition des indicateurs, comme l’illustre la prédominance des mesures du niveau de satisfaction et de la légalité en tant qu’outils de mesure des résultats. Malheureusement, la situation telle qu’elle apparaît dans notre analyse indique que la quasi-totalité des gouvernements locaux sont confrontés au même problème et ne peuvent se contenter de tirer des leçons des bonnes pratiques qui les entourent. L’expérience issue d’autres échelons du gouvernement ou de l’étranger, de même que les études sur la question, peuvent apporter des conseils utiles aux gouvernements locaux sur la façon dont ils peuvent évoluer. Comme le signalent Boyne et Law (2006), les résultats peuvent être observés et interprétés dans différentes dimensions en tant qu’indicateurs de la satisfaction, de l’universalité des résultats, de résultats intermédiaires ou de résultats tangibles. Ceux qui tentent de définir les résultats doivent tenir compte de ces différentes dimensions. Rieder (2003) recommande la mise au point de modèles de résultats-causalité simples à affiner au fil du temps. Par ailleurs, plusieurs projets de benchmarking ont été mis en œuvre au niveau local en Suisse, qui permettront également d’obtenir des informations utiles en matière de mesure du rendement. Il va de soi que personne n’a encore réussi à résoudre les difficultés et autres problèmes liés à la mesure des résultats. Des progrès ont cependant été réalisés et les gouvernements locaux suisses ne sont pas en reste.

38S’agissant de l’intégration du contrôle du rendement et financier, on constate qu’une grande variété de combinaisons existent. La plupart des contrats de rendement sont appliqués dans des situations où la prestation de service n’est pas financée par des moyens de production, mais par des montants forfaitaires ou des budgets variables. Cela s’explique quelquefois par le fait que les contrats de rendement sont appliqués dans des situations où il est de tradition de procéder à ce type de financement, ce qui n’entraîne dès lors aucun changement. C’est également le signe d’un intérêt général de la part des gouvernements locaux en faveur du transfert des compétences financières au profit du niveau chargé de la prestation. La combinaison avec le souci du rendement indique que l’aspect rendement du contrôle ne convient bien souvent pas à des fins de contrôle. Cela peut dès lors entraîner une situation dans laquelle les compétences financières sont transférées mais où le contrôle est toujours essentiellement axé sur l’aspect financier sans tenir compte du rendement. Pour le prestataire, cela se traduit par l’impression qu’il dispose d’une plus grande autonomie, mais en même temps, que son rendement n’est pas important en matière de contrôle et de prise de décision. On n’est pas parvenu à intégrer la gestion du rendement. Quant aux gouvernements locaux en tant qu’acheteurs, ils oublient de rendre le prestataire comptable de ses résultats et de gouverner l’autonomie ont il bénéficie.

6 – Conclusion

39Dans le présent article, nous avons analysé la mise en œuvre du contrôle axé sur les résultats dans les contrats de rendement des gouvernements locaux suisses. Les résultats indiquent que le contrôle axé sur les résultats, ou même sur les produits, n’est pour l’instant appliqué que de façon fragmentaire et incomplète. Plus particulièrement, le souci du rendement présent dans les contrats ne prévoit bien souvent pas d’objectifs et d’indicateurs précis et mesurables. Le premier défi de taille pour les gouvernements locaux sera d’améliorer la définition du rendement et de définir des indicateurs permettant de mesurer le rendement. Parallèlement à cela, le mode de contrôle d’un grand nombre de contrats de rendement se fonde encore essentiellement sur l’aspect financier, même si les compétences ont été transférées dans la plupart des cas. Ici, le défi (une fois que les informations de contrôle du rendement seront disponibles) consiste à revoir réellement la priorité du contrôle, qui devra passer de l’aspect financier à l’aspect rendement.

40Même si les contrats et le contrôle axés sur le rendement ne répondent pas encore aux critères du souci des résultats, on constate un renforcement manifeste du souci du rendement. La majorité des contrats présentaient des informations sur l’aspect rendement, ce que l’on peut considérer comme un premier pas dans le processus et afin de mettre davantage l’accent sur les résultats et les objectifs en matière de prestation de service. Il convient également de noter que 30 % des indicateurs utilisés portent sur les résultats. Il s’agit d’une amélioration considérable par rapport à ce que l’on observait il y a quelques années. L’expérience issue des autres gouvernements indique que la mise en œuvre du souci des résultats est un processus long et complexe. Elle indique également que des progrès ont été réalisés concernant des tâches aussi difficiles que la définition d’indicateurs de résultats. Par ailleurs, les gouvernements locaux suisses n’en sont qu’au milieu de cette évolution.

Bibliographie

  • Ammons, David (2001), " Municipal Benchmarking: Assessing Local Performance and Establishing Community Standards ". Thousand Oaks: Sage.
  • Audit Commission (2000) " On target. The Practice of Performance Indicators ". London: Audit Commission.
  • Behn, Robert D. (2003) " Why Measure Performance? Different Purposes Require Different Measures ", Public Administration Review 63(5): 586-606;
  • Boyne, George A. et al. (2004) " Problems of Rational Planning in Public Organizations ", Administration & Society 36(3): 328-49;
  • Boyne, George et Law, Jennifer (2005) " Setting Public Service Outcome Targets: Lessons learned from Local Public Service Agreements “, Public Money & Management 25(4): 253-60;
  • Brun, Mathias E. et Siegel, John Philipp (2006) "What does appropriate performance reporting for political decision makers require? Empirical evidence from Switzerland ", International Journal of Productivity an Performance Measurement 55(5): 480-97;
  • Frey, Bruno et Osterloh, Margit (2000), " Managing Motivation ". Wiesbaden: Gabler Verlag.
  • GAO, United States General Accountability Office (2005) " Managing for Results. Enhancing Agencies Use of Performance Information for Decision Making ". Washington, D.C.: GAO.
  • Gianakis, Gerasimos A. (2002) " The Promise of Public Sector Performance Measurement: Anodyne or Placebo? " Public Administration Quarterly 26(1/2): 35-64;
  • Herzog, Richard J. (2006) " Performance Budgeting: Descriptive, allegorial, mythical, and idealistic ", International Journal of Organizational Theory and Behaviour 9(1): 72-91;
  • Kosiol, Erich (1966), " Die Unternehmung als wirtschaftliches Aktionszentrum Einführung in die Betriebswirtschaftslehre ". Reinbek: Rowohlt.
  • Ladner, Andreas (2005), " NPM und die Gemeinden ", in Lienhard, Andreas et al. (eds.), " 10 Jahre New Public Management in der Schweiz Bilanz, Irrtümer und Erfolgsfaktoren. " pp. 81-92. Bern: Haupt;
  • Ladner, Andreas et al. (2000) " Gemeindereformen zwischen Handlungsfähigkeit und Legitimation ". Berne: Institute for Organization and Human Resource Management at the University of Berne.
  • Machura, Stefan (1993) " Besonderheiten des Managements öffentlicher Unternehmen ", Zeitschrift für öffentliche und gemeinwirtschaftliche Unternehmen 16(2): 169-80;
  • Morley, Elaine et al. (2001), " Comparative Performance Measurement ". Washington: Urban Institute Press.
  • Naschold, Frieder (1996), " New frontiers in public sector management trends and issues in state and local government in Europe ". Berlin: de Gruyter.
  • Naschold, Frieder et al. (1997), " Kommunale Spitzeninnovationen ". Berlin: Edition Sigma.
  • Noordhoek, Peter et Saner, Raymond (2005) " Beyond New Public Management: Answering the Claims of Both Politics and Society ", Public Organization Review 5: 35-53;
  • OECD (2002) " Overview of Results-Focused Management and Budgeting in OECD Member Countries ": OECD/PUMA.
  • Pollitt, Christopher et Bouckaert, Geert (2004), " Public Management Reform. A Comparative Analysis ". Oxford: Oxford University Press.
  • Proeller, Isabella (2007), " Strategic Management for the State. International Approaches in Comparison ". Gütersloh: Bertelsmann Stiftung.
  • Proeller, Isabella et Gähwiler, Barbara (2007) " Trends für das lokale Verwaltungsmanagement „. St. Gallen: Institute for Public Services and Tourisms (forthcoming).
  • Rieder, Stefan (2003) „ Integrierte Leistungsund Wirkungssteuerung. Eine Anleitung zur Formulierung von Leistungen, Zielen und Indikatoren in der öffentlichen Verwaltung ". Luzern: Interface Politikstudien.
  • Rieder, Stefan (2005), " Leistungsund Wirkungsmessung in NPM-Projekten ", in Lienhard, Andreas (ed.), " 10 Jahre New Public Management in der Schweiz Bilanz, Irrtümer und Erfolgsfaktoren." pp. 149-159 Bern: Haupt;
  • Rieder, Stefan (2006), " Bilanz der wirkungsorientierten Steuerung in der Schweiz ein Erfahrungsbericht", in Stiftung, Bertelsmann (ed.), " Strategische Steuerung Dokumentation eines Expertendialoges im Rahmen der Projektinitiative "Staat der Zukunft" ", pp. 22-8. Gütersloh: Bertelsmann;
  • Rieder, Stefan et Lehmann, Luzia (2002) " Evaluation of New Public Management Reforms in Switzerland “, International Public Management Review 3(2): 25-43;
  • Schedler, Kuno (1994) "Performance Measurement in a Direct Democratic Environment: Local Government Reforms in Switzerland ", Public Budgeting & Finance 1994(Winter): 36-53;
  • Schedler, Kuno (1995), " Ansätze einer wirkungsorientierten Verwaltungsführung, Von der Idee des New Public Management (NPM) zum konkreten Gestaltungsmodell ". Bern, Stuttgart, Wien: Verlag Paul Haupt.
  • Schedler, Kuno et Proeller, Isabella (2003), " New Public Management ". Bern: Verlag Paul Haupt.
  • Steiner, Reto (2000) " New Public Management in Swiss municipalities ", International Public Management Journal 3(2): 169-89;
  • Swiss, James E. (2005) " A Framework for Assessing Incentives in Results-Based Management ", Public Administration Review 65(5): 592-602;
  • Talbot, Colin (2005), " Performance Measurement ", in Ferlie, Ewan et al. (eds.), " Oxford Handbook of Public Management ", pp. 491-517. New York: Oxford University Press;
  • Walker, Richard M. et Boyne, George A. (2006) " Public Management Reform and the Organizational Performance: An Empirical Assessment of the U.K. Labour Government’s Public Service Improvement Strategy ", Journal of policy analysis and management 25(2): 371-93;
  • Williams, Daniel W. (2003) "Measuring Government in the Early Twentieth Century", Public Administration Review 63(6): 643-59.

Mots-clés éditeurs : Suisse, indicateurs, gestion du rendement, gestion financière, gestion publique axée sur les résultats

Date de mise en ligne : 01/05/2011

https://doi.org/10.3917/risa.731.0103

Notes

  • [*]
    Dr Isabella Proeller est vice-directeur de l’Institut des services publics et du tourisme de l’université de St. Gall, en Suisse. Traduction de l’article paru en anglais sous le titre : " Outcome-orientation in performance contracts. Empirical evidence from Swiss local governments ".
  • [1]
    Cette analyse de contenu a été effectuée en nous aidant de la technologie, à savoir le logiciel MaxQDA2 et SPSS pour l’analyse statistique. Afin d’améliorer la fiabilité et la validité du codage, nous avons appliqué le principe des " quatre yeux " à 25 % des contrats. Cette opération a été suivie d’ateliers d’harmonisation et d’une épreuve d’échantillonnage au hasard une fois tous les contrats codés.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions