Couverture de RIDE_194

Article de revue

L'utilisation stratégique des instances de normalisation environnementale

Pages 367 à 388

Notes

  • [*]
    H. Ben Youssef est rattachée à l’Université de Sousse, Faculté de Droit et des Sciences économiques et politiques, Cité Erriadh, 4023 Sousse, Tunisie, E-mail : bbenyoussef_hounaida@ yahoo. fr. K. Jebsi est chercheur au LEGI, École Polytechnique de Tunisie, La Marsa. Il est également rattaché à l’Université du Centre, Faculté de Droit et des Sciences économiques et politiques de Sousse, Tunisie, E-mail : kkhairy. jebsi@ topnet. tn. G. Grolleau est rattaché à l’UMR INRA-ENESAD, 26 Bd Dr Petitjean B.P. 87999 21079 Dijon Cedex France, E-mail : grolleau@ enesad. inra. fr.
  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier Naoufel Mzoughi, Sabine Garabedian ainsi que les participants aux Premières Journées scientifiques de l’Économie de l’Environnement, qui se sont tenues les 1er et 2 octobre 2005 et où une version préliminaire de ce texte a été présentée.
  • [2]
    Bien que la question de la définition des normes et des standards soit explicitement abordée dans la section suivante, retenons pour l’instant qu’il s’agit de documents de référence fournissant des spécifications relatives à des activités ou à leurs résultats et dont l’usage (l’adoption) est volontaire par opposition à la règle de droit qui s’impose aux agents.
  • [3]
    Le FSC ( Forest Stewardship Council ou Conseil de bonne gestion des forêts) est une organisation non gouvernementale indépendante qui a développé, en 1993, un système de certification des produits forestiers issus d’une gestion durable. La norme ISO 14001, promulguée par l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) en 1996, est un système de management environnemental, fondé sur une amélioration continue des pratiques en matière de protection de l’environnement.
  • [4]
    Pour une analyse détaillée de l’écolabel communautaire et des enjeux associés, voir Boy ( 1996b).
  • [5]
    L’ISO développe un argumentaire en faveur des normes disponible à l’adresse : hhttp :// www. iso. org/ iso/en/aboutiso/introduction/index.html.
  • [6]
    Depuis les articles pionniers de Stigler ( 1971) et de Peltzman ( 1976) relatifs au phénomène de la captation de la réglementation par des entreprises privées, il semble intuitivement évident que les processus privés d’élaboration de règles sont relativement plus vulnérables à ce type de stratégies. Les interactions entre règles privées (autorégulation mais également régulation par des tiers autres que les pouvoirs publics) constituent un champ de recherche encore inexploré et particulièrement prometteur.
  • [7]
    Boy ( 1996a) et Racine ( 1998) mettent en évidence plusieurs ambiguïtés relatives à l’élaboration internationale des normes qui interfèrent avec les problèmes relatifs à l’encadrement de la concurrence.
  • [8]
    Le SA 8000 est l’abréviation de « Social Accountability 8000 », créée en 1997. C’est une norme internationale qui a été développée au sein du CEPAA ( Council on Economic Priorities Accreditation Agency) en collaboration avec des organisations non gouvernementales, des entreprises et des organisations de défense des travailleurs. Elle vise à garantir l’origine éthique de la production de biens ou de services. Elle regroupe des normes de base sur des thèmes tels que le travail des enfants, le travail forcé, le harcèlement, la santé, la sécurité, le droit d’association, la non-discrimination, les horaires, les rémunérations et la communication.
  • [9]
    En anglais, le terme « standard » est utilisé indistinctement pour la norme ou le standard. Lorsque la distinction est nécessaire, les auteurs écrivant en anglais leur adjoignent le qualificatif « de jure standard » pour les normes et « de facto standard » pour les standards.
  • [10]
    Un point crucial semble être la séparation effective des activités de conseil et de certification.
  • [11]
    Il convient de préciser qu’il s’agit ici d’une norme obligatoire.
  • [12]
    En économie industrielle, il est courant depuis les travaux de Nelson ( 1970) et de Darby et Karni ( 1973) de distinguer les différents attributs d’un produit en fonction du moment où le consommateur obtient l’information relative à la qualité. Ces auteurs distinguent les attributs de recherche (les consommateurs connaissent la qualité avant l’achat, par exemple la couleur d’un fruit), les attributs d’expérience (les consommateurs connaissent la qualité après l’achat, par exemple, le goût d’un fruit) et les attributs de croyance (les consommateurs ne connaissent pas la qualité, ni avant, ni après l’achat, par exemple, le recours ou non au travail des enfants dans la production d’un fruit).
  • [13]
    De manière relativement évidente, des stratégies similaires peuvent aussi être mises en œuvre en aval, en contrôlant la distribution, ce qui aboutit à une augmentation du coût d’accès aux marchés de consommation (Granitz et Klein 1996; Church et Ware 2000; Carlton et Perloff 1998; Scheffman et Higgins 2003).
  • [14]
    Cette hypothèse n’est valable que si la demande est suffisamment inélastique.
  • [15]
    Nous supposons à l’instar de Church et Ware ( 2000,628), que ce coût est uniformément réparti sur toutes les unités de production.
  • [16]
    Une réponse à ces critiques par l’un des fondateurs de la théorie d’augmentation des coûts des rivaux est disponible dans Scheffman et Higgins ( 2003).
  • [17]
    Sur certains marchés publics, l’obtention d’un certificat relatif au management environnemental de l’entreprise ou d’un écolabel relatif aux attributs environnementaux du produit constitue déjà un critère de sélection non négligeable des soumissionnaires (Grolleau et al. 2004). Par exemple, lors des enchères britanniques pour la concession de droits sur le pétrole et le gaz naturel de mer du Nord, 10% des points étaient accordés sur la base d’une certification de conformité à un des standards volontaires existants en matière de management environnemental (Mc Lean etWilson 1996).
  • [18]
    Le cas est référencé de la manière suivante dans les documents américains : 486 U.S. 492 ( 1988). Il est disponible sur des sites spécialisés, comme : hhttp :// www. gamingip. com/Cases/FullText/CF-AllTube.html.
  • [19]
    La norme ISO 9994 fixe des exigences relatives aux briquets qui permettent d’assurer aux utilisateurs un niveau de sécurité raisonnable lors de leur usage normal, ou anormal mais raisonnablement prévisible.
  • [20]
    Une approche par la théorie des clubs pourrait s’avérer pertinente. De manière formelle, un club peut être défini comme un groupe d’individus volontaires qui tirent des bénéfices mutuels et exclusifs du partage du service rendu par l’appartenance au club, comme les membres d’un club de tennis. La théorie des clubs repose sur deux prémisses : premièrement, le risque de congestion exige la limitation de la taille du groupe pour ne pas détériorer la qualité du service, et deuxièmement le nombre de membres et la provision du service considéré sont des décisions d’allocation interdépendantes (Sandler et Tschirhart 1997). En d’autres termes, augmenter le nombre de membres au-delà d’un certain seuil permet de diminuer le coût de production du service, mais détériore simultanément la qualité du service rendu.
  • [21]
    L’intention d’adopter un comportement anticoncurrentiel visant à augmenter les coûts des rivaux, indépendamment de la réussite d’une telle stratégie peut également être l’objet de démarches judiciaires devant les autorités compétentes. Ainsi, dans la lignée des travaux en law and economics, il conviendrait de considérer et de croiser l’intention et le résultat de la stratégie.
« Les institutions ne sont d’habitude pas créées pour être socialement efficientes ; elles sont plutôt créées – ou du moins les règles formelles sont créées – pour servir les intérêts de ceux qui ont le pouvoir de négocier en vue d’établir de nouvelles règles. »
(North 1990,16)

1 REMARQUES INTRODUCTIVES

1La gestion de l’environnement a d’abord été, en réponse à la demande sociale, un domaine de médiation et d’intervention privilégié des autorités publiques. Cette intervention étatique s’est manifestée au travers de trois générations successives d’instruments, tout d’abord les instruments « command and control », puis les instruments économiques et enfin les approches dites « volontaires » et participatives. Sans supplanter les instruments des deux premières générations, la troisième génération se caractérise, entre autres, d’une part par une contestation du monopole étatique au bénéfice d’autres centres décisionnels, et d’autre part par des champs d’application très variés et dont les prétentions en termes de performance environnementale sont assez diversifiées (Grolleau et al. 2004a ; Grolleau 2004b). Ces nouveaux régulateurs – société civile, pouvoirs publics, entités régulées – participent à un double mouvement qualifié de « déréglementation » et d’« autoréglementation » (Faucheux et Nicolaï 1998,140). Les normes et standards [2], comme le référentiel FSC, la norme ISO 14001 [3] ou les écolabels [4], constituent des éléments caractéristiques de ces approches dites participatives. Au-delà de leurs promesses a priori séduisantes [5] – flexibilité accrue, gains d’efficience, utilisation des forces du marché, implication de l’ensemble des parties prenantes, recherche du consensus –, ces approches peuvent offrir des espaces stratégiques où certains agents cherchent à capturer une telle « réglementation privée » à leur avantage et au désavantage de leurs concurrents [6] (Racine 1998). En d’autres termes, certaines entreprises peuvent chercher de manière stratégique à exclure ou à rendre le coût de conformité avec la norme relativement plus élevé pour les concurrents que pour elles-mêmes, en manipulant les normes lors de leur élaboration ou lors de leur mise en œuvre. Cette réalité est attestée par de nombreux exemples dans lesquels les prétentions pro-environnementales de certaines entreprises, vecteur de légitimité sociale, ne constituent qu’un prétexte à des comportements anticoncurrentiels [7]. L’objectif de la présente étude est de rendre compte de cette réalité en mobilisant la théorie d’augmentation des coûts des rivaux développée par Salop et Scheffman (Salop et Scheffman 1983 ; Salop et Scheffman 1987).

2L’étude est organisée comme suit. Dans la deuxième section, nous définissons plus précisément les normes volontaires de gestion de l’environnement et certains mécanismes qui leur sont généralement associés, à savoir la certification et l’accréditation. La troisième section conceptualise le processus de l’élaboration d’une norme type et les mécanismes associés, montrant que ces différentes étapes peuvent constituer des espaces stratégiques où se déterminent, au moins partiellement, les positions concurrentielles futures. Sans prétention à l’exhaustivité, cette section identifie également les principales étapes critiques susceptibles de mener à la constitution des espaces vulnérables à une stratégie d’augmentation des coûts des concurrents. La quatrième section présente la théorie d’augmentation des coûts des rivaux et souligne sa pertinence par rapport aux effets anticoncurrentiels susceptibles de survenir lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des normes volontaires. La cinquième section développe trois études de cas relatives à des normes volontaires (environnementales ou non) permettant d’illustrer la pertinence qu’il y a à s’intéresser aux risques présentés par les normes et les mécanismes associés. La sixième section décrit quelques contre-stratégies possibles et met en exergue plusieurs implications en termes de politique économique. Elle résume également les principaux apports de notre contribution, souligne ses limites et suggère des voies d’approfondissement.

2 DÉFINITION ET IMPORTANCE DES NORMES ET DES MÉCANISMES ASSOCIÉS

3

« Les historiens de la normalisation ont remarqué que les normes ont été essentielles pour la croissance des échanges dès les temps les plus anciens. »
(Swann 2000,4)

4Les standards et les normes sont des éléments fondamentaux pour le fonctionnement des économies modernes. Leurs domaines d’application se sont considérablement étendus, incluant notamment des enjeux ne se rapportant pas aux seules spécifications techniques des produits, mais aussi à leurs modes de fabrication et de consommation (Bourdieu et al. 2004). De manière souvent insoupçonnée, la normalisation est omniprésente dans de nombreux aspects de notre quotidien et son champ d’action ne cesse de s’étendre (Graz 2004). Ainsi, dans les sociétés post-industrielles, de plus en plus de normes et de standards se rapportent aux enjeux environnementaux (ISO 14001) ou éthiques (SA 8000 [8]). L’objectif annoncé de la normalisation est d’élaborer, à travers un processus consensuel, des normes facilitant l’échange entre les agents économiques. On compte aujourd’hui plus de 600 000 normes dans le monde et environ 2000 normes nouvelles sont publiées chaque année (tableau 1).

Tableau 1

Nombre de normes produites par quelques organismes de normalisation

Tableau 1
Tableau 1 : Nombre de normes produites par quelques organismes de normalisation Organisme de normalisation AFNOR CEN ISO Nombre de normes produites 23 000 ( 2000) 10894 (mi 2005) 14941 ( 2004) Sources : http:// www. bnacier. org; www.cenorm.be ; http:// www. iso. org

Nombre de normes produites par quelques organismes de normalisation

hhttp:// www. bnacier. org;www.cenorm.be ; http:// www. iso. org

5Sans passer en revue la multitude de définitions proposées dans la littérature, nous définissons la norme à travers un faisceau de caractéristiques. Plus précisément, la norme ( 1) est un document dont l’adoption est volontaire, ( 2) qui résulte d’un consensus impliquant l’ensemble des parties intéressées, ( 3) qui bénéficie de l’approbation d’un organisme de normalisation mandaté et reconnu, ( 4) qui est destiné à une application répétitive, et ( 5) qui vise l’avantage de la communauté dans son ensemble. Le standard par contre est une référence qui s’impose par le marché (comme Windows sur le marché des logiciels d’exploitation), sans qu’elle soit le résultat d’un processus participatif et consensuel (David et Greenstein 1990) [9]. La norme est la « référence officielle », de nature collective par opposition au standard privé qui constitue la « référence du marché » (Grenard 1996). Ainsi, une norme peut devenir un standard au sens où la norme peut s’imposer sur le marché du fait de sa large adoption par les agents. Inversement certaines normes peuvent très bien exister et ne pas être adoptées par les agents, ce qui les rend inopérantes. Néanmoins, un standard n’est pas nécessairement une norme. En d’autres termes, les standards sont imposés volontairement (grâce à un pouvoir de marché) ou involontairement (succès de fait auprès de la demande) par un acteur ou un groupe d’acteurs particuliers, alors qu’une norme est définie selon un mécanisme « consensuel » par des représentants de l’ensemble des parties concernées. Les standards représentent l’intérêt d’agents particuliers et sont le plus souvent concurrencés par d’autres standards. Les normes sont censées approcher l’intérêt général et ont vocation à être universelles. Étant des compromis, elles ne satisfont pas nécessairement tout le monde et il est fréquent que pour des raisons historiques, économiques, etc., différentes normes coexistent (Brousseau 1993,203). Les interactions entre ces deux types de documents de référence sont souvent complexes, et comportent des enjeux stratégiques importants (Besen et Farell 1994).

6Le processus de normalisation a pour aboutissement la production d’une norme. Deux autres mécanismes sont généralement associés pour garantir la bonne application de la norme produite. Le premier mécanisme associé à la normalisation est l’évaluation de la conformité du produit au référentiel normatif. Cette évaluation de conformité correspond à l’ensemble des procédures utilisées, notamment l’audit, pour déterminer si les prescriptions pertinentes des normes sont respectées. Les modes d’évaluation de la conformité sont souvent déclinés selon trois catégories : ( 1) l’évaluation de première partie où l’adoptant s’évalue lui-même et autodéclare sa conformité avec la norme, ( 2) l’évaluation de seconde partie (souvent appelée « audit client ») où la partie réalisant le contrôle, tout en étant différente de l’adoptant, a un intérêt commercial dans la transaction, ( 3) l’évaluation dite de tierce partie ou certification par un organisme accrédité, compétent et indépendant du fournisseur et du client (Couret et al. 1995; Iacono 1994). En général, plus l’évaluateur est indépendant, plus son évaluation est considérée comme objective et crédible.

7Le second mécanisme est l’accréditation. Dans un contexte certes différent, Juvénal (vers 120) souligna l’utilité des mécanismes de vérification emboîtés en déclarant : « Quis custodiet ipsos custodies ? », c’est-à-dire « Qui chargera-t-on de garder les gardiens ?». En effet, la procédure de certification est elle-même l’objet d’une validation à un échelon supérieur, à savoir l’accréditation. L’accréditation est en quelque sorte une certification par un organisme mandaté des organismes certificateurs. Ce dispositif vise à attester et à garantir la compétence des certificateurs et leur indépendance, notamment financière [10]. Une dimension quasi inexistante dans la littérature économique se rapporte à la distinction entre le contrôle des contrôleurs et le contrôle des contrôles. Par exemple, certaines procédures d’accréditation reposent sur la vérification que l’organisme certificateur détient certaines compétences, attestées par des diplômes et/ou l’expérience professionnelle du personnel, mais ne sauraient garantir la mise en œuvre effective de ces compétences lors d’une opération donnée.

8Dans la littérature économique, les normes et les mécanismes associés sont souvent caractérisés par leurs fonctions. Sans prétention à l’exhaustivité, cette littérature (Kindleberger 1983; David 1987; Antonelli 1994 ; Swann 2000; Barzel 2004) identifie notamment quatre grandes fonctions économiques, non mutuellement exclusives : ( 1) l’établissement d’un langage commun, d’un instrument de mesure et d’un vecteur informationnel permettant de réduire les coûts de transaction, ( 2) la fixation de seuils de qualité minimale considérée comme un moyen potentiel d’amélioration du bien-être social en éliminant les produits ne satisfaisant pas aux exigences minimales, ( 3) la réalisation de la compatibilité entre interfaces permettant une plus grande concurrence, du fait de la diminution des coûts de conversion (« switching costs ») et ( 4) la réduction de la variété, qui, en réduisant l’espace des choix possibles, permet de se concentrer sur quelques options et de réaliser des économies d’échelle.

9En dépit des vertus qui leur sont prêtées, la normalisation et les mécanismes associés sont vulnérables à des comportements stratégiques dont les intentions et/ou les effets peuvent s’avérer anticoncurrentiels (Besen et Farell 1994). Entre autres, ces effets néfastes comprennent le détournement des processus de normalisation et des mécanismes associés afin de diminuer la concurrence, de désavantager les concurrents éventuels et de promouvoir des choix sous-optimaux du point de vue social.

3 NORMALISATION ET MÉCANISMES ASSOCIÉS : DES ESPACES STRATÉGIQUES

10Les distorsions par rapport au modèle conceptuel d’élaboration et de mise en œuvre des normes peuvent être nombreuses (Foray 1993; Esposito 1994; Boy 1996a). Ces distorsions peuvent être endogènes au phénomène de la normalisation ou résulter d’interactions avec un phénomène homologue dans la sphère marchande, à savoir la standardisation. La littérature économique s’est essentiellement intéressée à la course à la standardisation, c’est-à-dire à la victoire d’un standard sur les autres, les modalités d’organisation de la normalisation ayant relativement peu intéressé les économistes (Swann 2000). Les avantages de la normalisation pourraient occulter les risques de manipulations opportunistes des normes par des entreprises qui cherchent à désavantager les concurrents, et ce en provoquant une augmentation stratégique de leurs coûts de production. Nous identifions dans cette section les espaces stratégiques relatifs à l’élaboration et la mise en œuvre des normes où de tels comportements anticoncurrentiels peuvent se manifester. Nous fournissons également des exemples permettant d’étayer la réalité de ces stratégies (Racine 1998).

3.1 En ce qui concerne l’élaboration de la norme

11Le stade d’élaboration des normes constitue une étape critique pour l’émergence d’effets anticoncurrentiels. En effet, de nombreux producteurs concernés par certaines normes ne participent pas ou sont mal représentés dans le processus d’établissement de normes alors que celles-ci sont appelées à devenir des quasi-conditions d’accès au marché. C’est généralement le cas des pays en voie de développement et des petites et moyennes entreprises. Cette non-participation peut être involontaire (méconnaissance des travaux normatifs en cours), volontaire (absence d’enjeux suffisants et manque de ressources) ou provoquée (tentative d’exclusion de certaines firmes, notamment étrangères, dans le but de créer un avantage concurrentiel en imposant, via la norme, des coûts supplémentaires aux firmes rivales). En réalité, il est possible de tracer une démarcation entre certains acteurs qui peuvent être considérés comme des « faiseurs de normes » ou « standard makers » alors que d’autres n’ont que l’alternative d’être des « preneurs de normes » ou « standard takers ». Swann cite « un vieil adage selon lequel celui qui rédige le document [la norme] remporte la victoire » (Swann 2000,12). En effet, malgré la promesse d’un processus consensuel et ouvert à toutes les parties intéressées, la réalité témoigne de nombreuses tentatives d’exclusion de certains agents de l’élaboration de la norme, permettant à d’autres de capturer le processus et de formater la norme à leur avantage (Esposito 1994 ; Sasidharan et al. 2002 ; Scheffman 1992).

12Ces tentatives de manipulation stratégique de la normalisation peuvent notamment se manifester de différentes façons comme :

  • l’augmentation du coût de participation à l’élaboration de la norme qui joue sur différents paramètres comme la durée, la localisation, la langue de négociation, et dont l’effet recherché est de diminuer la capacité de certains agents à faire valoir leurs intérêts, voire de les exclure du processus. La durée moyenne de rédaction d’une norme est estimée à 5 ans (Esposito 1994). Dans le cas de la norme internationale ISO 14001, les travaux sur plusieurs années en anglais « technique » s’effectuant dans différentes villes du monde peuvent considérablement augmenter le coût de participation pour les petites et moyennes entreprises lorsque ce dernier est ramené à l’unité produite (Krut et Gleckman 1998);
  • le ralentissement provoqué du processus de la normalisation. Un tel retard permet à certaines entreprises de promouvoir leurs propres standards sur le marché, qui peuvent rendre la norme obsolète, avant même sa parution (Farell et Saloner 1987 ; Swann 2000). Le marché risque ainsi d’être verrouillé dans une situation sous-optimale. Certaines entreprises peuvent également retarder la révision d’une norme afin d’empêcher des concurrents disposant d’une technologie plus propre et moins coûteuse de la mettre en œuvre. Un exemple de ce type de stratégie est fourni par le cas Allied Tube & Conduit Corp. vs. Indian Head, Inc., où un groupe de firmes a volontairement retardé pendant quelques années l’introduction de certains types de matériaux dans le code de référence afin d’exclure un concurrent plus compétitif (Creighton 2005);
  • l’introduction de critères plus coûteux à satisfaire pour les concurrents que pour la firme instigatrice. Ainsi, un critère constituant un coût fixe est susceptible de léser automatiquement les entreprises dont le volume de production est en deçà d’un certain seuil. La référence à des brevets détenus/contrôlés par la firme instigatrice peut aussi rendre la conformité à la norme plus coûteuse pour ses concurrents (Carlton et Perloff 1998). Par exemple, lors de l’élaboration de l’écolabel européen relatif aux lessives, Nadaï montre comment certaines firmes importantes ont essayé d’incorporer des critères a priori pertinents sur le plan environnemental, mais dont l’application était quasiment insupportable sur des petits volumes de production (Nadaï 1998). En cas de réussite, une telle stratégie aurait eu pour effet d’entraîner une augmentation des coûts des petits producteurs relativement plus importante que celle supportée par les gros producteurs.

3.2 En ce qui concerne la certification et l’accréditation des normes

13

« In God we trust. All others we audit. »
(Anonymous)

14Les dispositifs de certification et d’accréditation des normes, malgré leurs objectifs affichés et leurs propensions à générer de la confiance (véritable lubrifiant des échanges), sont eux aussi vulnérables à des dérives ou à des manipulations anticoncurrentielles (Iacono 1994). La multiplicité des organismes de certification et d’accréditation au niveau international ne facilite pas la tâche. À tort ou à raison, des rumeurs concernant la réputation des organismes certificateurs et accréditeurs – procédures douteuses, certificats de complaisance, etc. – créent des distorsions de concurrence parfois injustifiées entre organismes certificateurs, mais aussi entre entreprises. Ainsi, certaines entreprises sont victimes de spillovers réputationnels aboutissant à la complète déconsidération de leur éventuel certificat délivré par un organisme certificateur local (Corbett et Kirsch 2000). Pour être crédibles, ils sont quasiment obligés de faire appel à des organismes certificateurs étrangers, ce qui génère des coûts supplémentaires (coûts de transport, d’hébergement, de recrutement de traducteurs, etc.). À titre d’exemple, une étude de l’OCDE citée par Piotrowski et Kratz soulignait que le seul coût de vérification de la conformité avec les critères de la norme environnementale néerlandaise relative aux chaussures de sport a entraîné une augmentation de 50% des coûts de certaines entreprises indiennes (Piotrowski et Kratz 1999).

15Pour se faire une idée de l’ampleur économique des répercussions liées à la modification (ou à une éventuelle manipulation) des normes, une recherche récente de la Banque mondiale montre qu’une augmentation des normes sanitaires européennes sur certains produits agricoles est susceptible de pénaliser de manière significative les exportations africaines. « Les résultats montrent que la mise en place de la nouvelle norme relative à l’aflatoxine dans l’Union européenne aura un impact négatif sur les exportations africaines de céréales, de fruits secs et de noix vers l’Europe. La norme qui devrait diminuer les risques de décès d’une unité par milliard d’habitants et par an risque de réduire ces exportations africaines de 64%, soit de 670 millions de dollars US en comparaison avec la réglementation mise en œuvre au niveau international » (Otsuki et al. 2000) [11]. Cette étude souligne le potentiel considérable des normes en tant que barrières non tarifaires au commerce.

3.3 En ce qui concerne le signalement

16Les impacts environnementaux générés par les produits et par leurs processus de production sont généralement des attributs de croyance [12], c’est-à-dire non vérifiables par le consommateur, même après l’achat du produit où les partenaires doivent se fier (ou non) au certificat (Darby et Karni 1973). Néanmoins, la confiance institutionnelle générée par le certificat peut être sournoisement contestée avec l’objectif de désavantager ses concurrents. Ainsi, certaines entreprises opérant sur les marchés des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont développé des stratégies dénommées Fear Uncertainty Doubt (FUD), visant à augmenter les coûts de transaction supportés par leurs concurrents (Hilke et Nelson 1984). Dans ce cadre, une entreprise peut tenter de dissuader les consommateurs d’acheter le produit concurrent, en semant subtilement le doute sur les attributs environnementaux pertinents ou sur la fiabilité des procédures de certification. Dans un article récent, Bougherara et al. montrent comment la simple distinction entre les expressions « environnement préservé » et « préservation de l’environnement » peut être instrumentalisée de manière à désavantager injustement des concurrents (Bougherara et al. 2003). À titre anecdotique, certaines entreprises sèment le doute sur les démarches volontaires entreprises par d’autres sur la question controversée de la présence d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Ainsi, le fromage issu du lait d’une vache nourrie à base de céréales dont les semences ont été génétiquement modifiées est-il un fromage génétiquement modifié ? (Caswell 2000). Face à ces campagnes, qui ne tombent pas nécessairement sous le coup des réglementations relatives à la publicité, certaines firmes peuvent voir leurs coûts augmenter significativement, du fait de dépenses publicitaires supplémentaires visant à rassurer le consommateur.

17Nous rappelons que les tentatives de manipulations stratégiques du processus de la normalisation ont généralement pour objectif de rendre le coût de la conformité ou de l’adoption de la norme plus élevé pour les concurrents que celui qui en est à l’origine. Dans cette perspective, nous mobilisons la théorie d’augmentation des coûts des rivaux pour illustrer la capacité de certaines entreprises à augmenter les coûts de leurs rivaux à travers la manipulation stratégique de la normalisation.

4 LA THÉORIE D’AUGMENTATION DES COÛTS DES RIVAUX : UN CADRE APPROPRIÉ POUR ANALYSER L’UTILISATION STRATÉGIQUE DE LA NORMALISATION ENVIRONNEMENTALE

18La théorie d’augmentation des coûts des rivaux « Raising Rivals’ Costs » (RRC) trouve ses origines dans les articles de Director et Lévi, de Nelson et de Williamson (Director et Lévi 1956 cité par Scheffmann et Higgins 2003; Nelson 1957; Williamson 1968). Néanmoins, les premières contributions ayant posé formellement le fondement de cette théorie sont celles de Salop et Scheffman (Salop et Scheffman 1983; Salop et Scheffman 1987). Leur analyse théorique était clairement inspirée des cas de monopolisation auxquels la Federal Trade Commission se trouvait confrontée, comme les cas Kellog et Standard Oil (Scheffman et Higgins 2003). Le mécanisme de base de la théorie RRC est relativement simple. Les entreprises peuvent influencer le marché des inputs de façon à réduire les profits de leurs concurrents. Cette influence vise à augmenter les coûts des concurrents plus que les leurs, notamment en développant des relations exclusives avec des fournisseurs stratégiques [13]. Bien que la théorie d’augmentation des coûts des rivaux soit généralement expliquée à travers la tentative de monopolisation stratégique du marché amont de l’input, Salop et Scheffman ont mentionné d’autres champs d’application de la théorie, dont celui de la normalisation (Salop et Scheffman 1983). Cependant, peu de travaux se sont intéressés aux différentes pistes suggérées par les auteurs à quelques exceptions près (Hilke et Nelson 1984 ; Scheffman 1992; Sartzetakis 1997; Depken et Ford 1999 ; McWilliams et al. 2002; Lyon 2003).

19Afin de présenter de manière relativement simple les principaux résultats de la théorie RRC ainsi que les mécanismes sous-jacents (Salop et Scheffman 1983; Scheffman 1992; Church et Ware 2000), nous considérons une structure de marché comprenant une firme dominante D et une frange concurrentielle F ayant une courbe d’offre parfaitement élastique. Le coût moyen et le coût marginal de la firme dominante cd est plus faible que celui de la frange. La firme dominante ne peut produire au-delà de sa capacité de production qd. Le coût moyen de la frange concurrentielle est également constant, noté cf. Le prix d’équilibre cf et la quantité d’équilibre q* sont indiqués sur la figure 1.

Figure 1

Augmentation des coûts d’une frange concurrentielle

Figure 1
Figure 1 : Augmentation des coûts d’une frange concurrentielle

Augmentation des coûts d’une frange concurrentielle

20Au prix d’équilibre cf, la firme dominante est dite inframarginale, puisque bien qu’agissant en concurrence, le prix est au-dessus de son coût moyen, ce qui lui permet de bénéficier de rentes inframarginales. Supposons maintenant que la firme dominante ait la capacité d’accroître les coûts de la frange concurrentielle, par exemple en introduisant un critère dans la norme environnementale dont la mise en conformité sera coûteuse pour F. L’introduction d’un critère relatif aux impacts environnementaux du transport des produits constitue un « candidat idéal » puisqu’il revient de manière naturelle à augmenter relativement plus les coûts supportés par les firmes éloignées en comparaison des coûts des firmes situées à proximité du marché de consommation. En supposant que cette stratégie n’est pas coûteuse pour la firme dominante, le prix d’équilibre augmentera de manière identique à l’augmentation du coût marginal de la frange. Toutefois, la quantité produite par D ne change pas [14], mais la quantité produite par la frange diminue. Dans ces conditions, la variation nette du profit de la firme dominante est (voir figure 1):

equation im3

Dans le cas où la stratégie RRC suivie par la firme D entraîne une augmentation de ses propres coûts [15], le changement net de son profit s’écrit comme suit:

equation im4

Ainsi, le profit de D augmente si ? cf > ? cd. Une condition suffisante pour qu’une stratégie RRC soit rentable est qu’elle augmente le coût marginal de la frange plus qu’elle n’augmente le coût marginal de la firme dominante.

21En effet, seules les augmentations du coût marginal de F se traduisent par des augmentations correspondantes du prix d’équilibre. Par conséquent, tout producteur pour lequel l’augmentation du prix de marché excède l’augmentation de son coût moyen bénéficiera de la mise en œuvre d’une stratégie RRC.

22Quelques autres résultats de la théorie d’augmentation des coûts des rivaux peuvent également être soulignés (Scheffman 1992; Church et Ware 2000). Premièrement, toute tentative d’augmentation des coûts de la firme dominante n’influe pas sur le prix d’équilibre, bien que cela puisse jouer sur le profit de D. En d’autres termes, il n’y a pas d’effets stratégiques puisque la situation de F n’est pas affectée. Deuxièmement, la demande doit être suffisamment inélastique pour garantir la profitabilité de la stratégie RRC. En effet, si la demande est très élastique, le prix n’augmentera pas malgré une hausse du coût marginal de F. Les producteurs F seront plutôt forcés de quitter le marché. Troisièmement, la stratégie RRC diffère de la prédation par les prix car pour être profitable elle ne suppose pas d’investissements initiaux qui doivent être ensuite récupérés dans les périodes ultérieures (Scheffman 1992,193 ; voir aussi Boudreaux 1990).

23La théorie RRC a fait l’objet de plusieurs critiques, visant à montrer qu’en dépit de son caractère théorique séduisant, son champ d’application dans la pratique serait relativement limité et qu’elle ignorerait souvent les contre-stratégies des rivaux (Boudreaux 1990; Lopatka et Godek 1992 ; Coate et Kleit 1994). Sans prétendre trancher ce débat [16], les auteurs du présent essai pensent que l’application à d’autres domaines, comme celui des normes, peut offrir une perspective féconde à ce courant.

5 NORMES ET STRATÉGIES D’AUGMENTATION DES COÛTS DES RIVAUX : QUELQUES ÉTUDES DE CAS

24Selon Yin ( 2003,1), « les études de cas sont la méthode préférable lorsque les questions posées concernent le ‘comment’ et le ‘pourquoi’, quand l’enquêteur n’a que peu de contrôle sur les événements et lorsque l’objet étudié se rapporte à un phénomène contemporain dans un contexte réel » (Yin 2003,1). Afin de montrer la réalité de tels comportements, nous avons sélectionné trois études de cas à visée essentiellement illustrative – Allied Tube, Bic et DuPont –, permettant de mettre en exergue les modalités utilisées pour augmenter les coûts des rivaux. Bien entendu, il convient de rappeler que les entreprises ne tiennent ni à faire connaître, ni à reconnaître de tels comportements, ce qui fait que la littérature technique se réfère souvent à des présomptions, parfois validées par des procédures judiciaires. Bien que l’un de ces cas ne se réfère pas directement à l’environnement ou à la santé, il a une valeur historique et pédagogique permettant de mettre en évidence la multiplicité des modalités de mise en œuvre d’une telle stratégie (Scheffman 1992). Le lecteur intéressé pourra également se référer à l’article de Korber ( 1998), où une étude de cas détaillée est consacrée à l’étiquetage « dolphin safe » (Korber 1998). Cette étude montre que les enjeux relatifs à la protection des dauphins ont parfois occulté des objectifs commerciaux et stratégiques moins avouables, visant à augmenter les coûts de certains concurrents en fonction de la localisation de leur zone de pêche.

5.1 Le cas Allied Tube & Conduit Corp. vs Indian Head, Inc.

25Le cas Allied Tube & Conduit Corp. vs Indian Head, Inc. se rapporte à la manipulation stratégique du processus d’élaboration d’un standard. En 1980, un fabricant de conduits électriques en plastique, Indian Head, demande à l’une des principales associations privées de standardisation dans ce domaine, la National Fire Protection Association, de certifier dans l’édition de 1981 de son National Electrical Code que ses produits en polychlorure de vinyle (PVC) sont fonctionnels et satisfont aux exigences de sécurité. Le code promulgué par cette association constitue une référence de fait à laquelle de nombreux États fédérés américains se réfèrent dans leurs textes législatifs, soit directement, soit avec des amendements mineurs [17]. Au moment du différend, ne sont approuvés dans ce code que les conduits électriques fabriqués en acier. Les membres de l’industrie de l’acier, les fabricants de conduits électriques en acier (dont Allied Tube qui joue un rôle de leader) ainsi que leurs distributeurs, menacés par la demande d’Indian Head, décident de faire échouer la procédure d’approbation. Pour parvenir à ses fins, l’industrie de l’acier recrute, forme et paye de nouveaux membres (au nombre de 230) introduits au sein de la National Fire Protection Association dont la seule fonction est de voter contre la proposition de la compagnie Indian Head (Scheffman 1992). En effet, les nouveaux membres, dont la majorité n’a aucune compétence technique par rapport aux points débattus, sont formés afin de savoir quelle place occuper, comment voter grâce à l’utilisation de talkies-walkies et de signaux gestuels. Les coûts supportés par l’industrie de l’acier ont été estimés à 100 000 dollars US couvrant notamment les frais d’adhésion et les frais de participation au meeting. Ces coûts semblent dérisoires en comparaison des bénéfices attendus. Finalement, la stratégie fonctionne puisque la proposition de la compagnie Indian Head est rejetée par 394 votes contre et 390 votes pour. La conséquence d’une telle décision est évidente : les produits électriques en plastique de la compagnie Indian Head sont quasiment exclus des marchés publics et des marchés privés qui prennent en compte les recommandations du National Electrical Code (Creighton 2005). Malgré une plainte de la compagnie Indian Head, la direction de l’association reconnut que les règles de l’association avaient été contournées sans pour autant être violées. L’affaire fut portée devant les tribunaux américains compétents qui condamnèrent l’attitude d’exclusion et imposèrent des dommages et intérêts à Allied Tube. Les détails relatifs à ce cas et aux décisions juridiques sont rapportés dans le jugement de la Cour suprême des États-Unis ( 1988) [18]. Finalement, le National Electrical Code intégra progressivement en 1984 puis en 1987 les produits en matière plastique. Les débats de la Cour sont instructifs sous plusieurs aspects. Ils rendent compte des risques et bénéfices associés aux processus de standardisation et de normalisation. Ces institutions privées, tout en contribuant à la promulgation de documents de référence permettant une amélioration du bien-être général, par exemple grâce à des normes minimales de sécurité, ont parfois un intérêt évident à promouvoir des normes restreignant la concurrence. Les juges mentionnent ainsi que ce paradoxe implique que les jugements soient effectués en ayant recours à la « règle de raison » ( rule of reason) qui requiert un examen détaillé et équilibré afin de déterminer si l’attitude adoptée génère plus d’effets néfastes anticoncurrentiels que bénéfiques. Une autre leçon tirée de ce cas dans le jugement rendu par les autorités américaines est l’importance de « règles du jeu équitables » – comme les conditions de participation, les modalités de prise de décision, l’enregistrement des débats, les modalités de prise en compte des plaintes – permettant de présumer de la bonne foi des activités de l’organisme de normalisation.

5.2 Le cas Bic vs les producteurs chinois de briquets

26À partir de la fin des années 1980, sous l’effet d’une concurrence très vive, la société Bic, 1er fabricant français de briquets dont elle est un des leaders mondiaux dans ce secteur, voit ses parts de marché décroître de manière continue au profit des briquets d’origine chinoise, de moindre qualité et de prix plus faible. Alors qu’un briquet Bic coûte un dollar aux États-Unis, son équivalent chinois ne coûte que 70 cents. Aux États-Unis, les parts de marché de Bic diminuent de 44% en 1996 à 34% en 2001. Pour reconquérir ses parts de marché, le groupe Bic a mis en œuvre plusieurs stratégies complémentaires (Rovan 2004).

27Dans un premier temps, Bic s’allie à ses homologues européens en vue de promouvoir l’élaboration d’une norme volontaire relative à la sécurité des briquets. Finalement la norme ISO 9994 est publiée en 2002 [19]. Les critères retenus par la norme sont déjà satisfaits par les briquets Bic, qui ont par ailleurs utilisé leur connaissance pour influencer les critères qui seront retenus. Par contre, les briquets chinois sont loin de satisfaire à l’ensemble des critères de la norme. Pour rendre sa stratégie efficace, Bic se lance dans une opération visant à rendre, au nom de la sécurité des utilisateurs, la norme obligatoire sur le marché européen. Le groupe s’engage ainsi dans plusieurs actions de lobbying, s’appuyant sur des tests démontrant que trois quarts des briquets chinois présentent des risques réels pour les consommateurs. Ces tests réalisés en 1999 et 2001 par des laboratoires européens indépendants étaient financés par la fédération européenne des fabricants de briquets. Sur le marché français, la conformité des briquets aux critères de la norme ISO 9994 est devenue obligatoire par voie réglementaire. En conséquence, les producteurs de briquets chinois ont dû conformer leurs briquets aux prescriptions normatives pour poursuivre leurs exportations, ce qui a entraîné une augmentation de leurs coûts de production (Rovan 2004).

28En outre, le groupe Bic s’est lancé dans un programme de communications auprès des consommateurs sur la qualité et la sécurité de ses briquets. De plus, Bic a entrepris une politique de sensibilisation des distributeurs étrangers quant aux dangers susceptibles de résulter de l’utilisation de briquets importés ne répondant pas à la norme. Le groupe a notamment instrumentalisé la crainte de poursuites judiciaires aux États-Unis et les indemnisations exorbitantes auxquelles les distributeurs s’exposaient en cas de problèmes. Sous couvert de protection du consommateur, Bic a su augmenter les coûts de ses concurrents chinois par la sélection de critères les défavorisant lors de l’élaboration de la norme ISO 9994, en faisant du lobbying auprès des autorités françaises et en employant une variante de la stratégie FUD auprès des distributeurs américains (Rovan 2004).

5.3 Le cas DuPont de Nemours

29DuPont de Nemours est une firme américaine leader, dont les principales activités (l’alimentaire, la santé, l’habillement, le bâtiment, les produits ménagers, l’électronique et le transport) sont centrées autour de la chimie et l’industrie. En 1974, après l’expiration de la plupart de ses brevets sur les chlorofluorocarbones (CFC), ressource essentielle pour la production de DuPont, la concurrence se développe et les concurrents récupèrent des parts de marché. En outre, des recherches scientifiques soulignent les dommages environnementaux causés par les CFC, notamment sur la couche d’ozone. DuPont de Nemours et ses principaux concurrents s’opposent fermement à toute réglementation visant à interdire les CFC (Reinhardt 2000).

30Malgré cette opposition, une norme internationale de régulation est adoptée en 1987 (Protocole de Montréal) visant à réduire de 50% la production de CFC pour 1999. Après la publication de nouvelles preuves scientifiques en défaveur des CFC en 1988, DuPont accélère ses recherches de solutions alternatives et annonce sa volonté de supprimer complètement l’utilisation des CFC d’ici 1999, au profit de substituts plus respectueux de l’environnement. En juin 1990, le protocole de Montréal est amendé et prévoit l’élimination totale des CFC en 2000. La décision unilatérale de DuPont, initialement opposé aux réglementations anti-CFC, est considérée comme ayant joué un rôle majeur dans l’amendement du protocole. La décision de DuPont est perçue par les autorités publiques comme une preuve concrète que les concurrents peuvent faire de même, en changeant de technologie au profit de substituts respectueux de l’environnement. En réalité, cette stratégie sophistiquée a permis à DuPont de se débarrasser de concurrents particulièrement compétitifs sur un marché en déclin et d’exploiter un nouveau marché permettant de fortes marges en situation de domination (Reinhardt 2000; Lyon 2003). En effet, conscient du risque d’interdiction (et des bénéfices susceptibles d’en découler), DuPont de Nemours, tout en s’opposant aux tentatives de réglementation anti-CFC, avait accéléré ses recherches de substituts, comme les hydrofluorocarbures (HFC) et les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) dont l’utilisation présente beaucoup moins de dangers pour l’ozone stratosphérique (Reinhardt 2000).

31En adoptant une stratégie de pionnier en recherche et développement et un standard consistant à substituer les CFC par des substances plus écophiles, DuPont de Nemours a très subtilement contraint ses concurrents à se conformer à la même approche en employant une variante sophistiquée de l’augmentation des coûts des rivaux à travers la réglementation (Reinhardt 2000; Lyon 2003).

6 CONTRE-STRATÉGIES, IMPLICATIONS POLITIQUES ET REMARQUES CONCLUSIVES

32La pratique de la normalisation et des mécanismes associés est sujette à des comportements anticoncurrentiels de la part d’entreprises cherchant à rendre le coût de la conformité avec la norme plus élevé pour les concurrents que pour elles. Ces pratiques anticoncurrentielles sont souvent légitimées grâce à des arguments issus du registre relatif à la protection de l’environnement, ou du consommateur. L’espace où se déterminent les positions concurrentielles se déplace du marché vers les instances de normalisation susceptibles d’être instrumentalisées afin de désavantager les concurrents. Sans prétention à l’exhaustivité, nous proposons quelques contre-stratégies susceptibles d’être employées pour contrecarrer la stratégie de la firme instigatrice d’augmentation des coûts « normatifs » des rivaux (Boudreaux 1990).

6.1 Contre-stratégies éventuelles et considérations en termes de politique économique

33Les petites et moyennes entreprises et les entreprises des pays en développement étant souvent les « victimes » des stratégies évoquées précédemment peuvent se coaliser, mutualiser les coûts liés à leur participation, voire bénéficier de politiques publiques visant à garantir une participation équitable de l’ensemble des parties intéressées. Néanmoins, de telles initiatives supposent une certaine convergence des intérêts et un faible risque de développement de comportements opportunistes, notamment des pratiques de resquillage. En effet, toute mutualisation suppose des coûts de coordination qui doivent être mis en regard avec les bénéfices escomptés  [20].

34Afin de limiter les répercussions négatives sur la concurrence qui peuvent être générées par une distorsion du processus de normalisation, les autorités publiques peuvent définir des « règles de jeu » (North 1990) afin de favoriser une participation équitable de toutes les parties intéressées dès les stades initiaux de la normalisation, des procédures de reconnaissance mutuelle ou d’harmonisation aux différentes étapes (Andrews 2001). Les autorités publiques, conscientes du risque d’instrumentalisation, peuvent mettre en place des mesures visant à détecter et/ou à sanctionner les instigateurs de telles stratégies (Becker 1968). L’une des difficultés principales à laquelle les pouvoirs publics doivent faire face est l’effet ambigu [21] que de telles stratégies peuvent avoir sur le bien-être de la société, par exemple à travers les deux leviers que sont le degré de concurrence et la protection de l’environnement (tableau 2). En effet, plusieurs combinaisons sont possibles. L’effet concurrentiel et l’effet environnemental peuvent jouer dans le même sens (cas A et D), soit en augmentant le bien-être total (cas A), soit en le diminuant (cas D). Ils peuvent aussi jouer en sens contraire (cas B et C), un effet augmentant le bien-être, l’autre le diminuant, le résultat final étant fonction de l’amplitude de chacun de ces effets.

Tableau 2

Arbitrage schématique auquel un décideur public

Tableau 2
Tableau 2 : Arbitrage schématique auquel un décideur public se trouve confronté lors d’une stratégie d’augmentation des coûts des rivaux Effet sur la concurrence + – Effet sur l’environnement + (A) ++ (B) – /+ – (C) +/– (D) – –

Arbitrage schématique auquel un décideur public

35Néanmoins, toute recommandation d’intervention publique doit faire la preuve qu’elle satisfait au test « coasien » en fonction duquel l’intervention des autorités publiques n’est justifiée que si les coûts de cette intervention sont inférieurs à ceux des solutions alternatives (y compris le laissez faire) ainsi qu’aux bénéfices qui résulteront de cette mise en œuvre (Coase 1960). En outre, certains secteurs, du fait de leur hétérogénéité technologique ou environnementale, peuvent constituer des secteurs plus vulnérables à ce type de stratégie. Ainsi, l’identification des critères suggérant une forte probabilité de déploiement d’une telle stratégie pourrait permettre d’accroître l’efficience des ressources publiques.

6.2 Remarques conclusives

36Les instances de normalisation et les mécanismes qui leur sont associés (certification, accréditation) peuvent être instrumentalisées, et ce parfois à l’insu des parties concernées, pour augmenter les coûts des concurrents. Les stratégies permettant l’augmentation des coûts des rivaux, outre leur nature difficilement détectable, bénéficient parfois d’une légitimation naturelle à travers des enjeux emblématiques comme la protection de l’environnement ou du consommateur. Étant donné les multiples effets engendrés, l’effet global sur le bien-être est généralement ambigu, ce qui peut être déconcertant pour les autorités antitrust. Une extension logique à notre contribution nécessiterait la mise en œuvre d’un modèle formel, permettant à la fois de « déchiffrer » la « boîte noire » permettant d’augmenter les coûts des rivaux et d’analyser dans des termes plus rigoureux les arbitrages en termes de bien-être global.

37Cette contribution a en effet une portée essentiellement exploratoire et vise surtout à démontrer la pertinence d’étudier la normalisation et les mécanismes associés comme des stratégies concurrentielles, dont les conséquences peuvent être considérables. Ces stratégies déplacent les espaces de concurrence en amont et déterminent lors de la normalisation, au moins partiellement, les positions compétitives futures. Outre l’analyse formelle et modélisée, des études de cas en prise avec le monde réel, permettant de faire ressortir les conséquences effectives de telles stratégies et de mettre en relief leur traitement par les autorités chargées de la régulation de la concurrence, sont nécessaires.

38Subject DescriptorsEconlit Classification System): L15, K 21, Q 56

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Mots-clés éditeurs : théorie de l'augmentation des coûts des rivaux, standards, politique environnementale

https://doi.org/10.3917/ride.194.0367

Notes

  • [*]
    H. Ben Youssef est rattachée à l’Université de Sousse, Faculté de Droit et des Sciences économiques et politiques, Cité Erriadh, 4023 Sousse, Tunisie, E-mail : bbenyoussef_hounaida@ yahoo. fr. K. Jebsi est chercheur au LEGI, École Polytechnique de Tunisie, La Marsa. Il est également rattaché à l’Université du Centre, Faculté de Droit et des Sciences économiques et politiques de Sousse, Tunisie, E-mail : kkhairy. jebsi@ topnet. tn. G. Grolleau est rattaché à l’UMR INRA-ENESAD, 26 Bd Dr Petitjean B.P. 87999 21079 Dijon Cedex France, E-mail : grolleau@ enesad. inra. fr.
  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier Naoufel Mzoughi, Sabine Garabedian ainsi que les participants aux Premières Journées scientifiques de l’Économie de l’Environnement, qui se sont tenues les 1er et 2 octobre 2005 et où une version préliminaire de ce texte a été présentée.
  • [2]
    Bien que la question de la définition des normes et des standards soit explicitement abordée dans la section suivante, retenons pour l’instant qu’il s’agit de documents de référence fournissant des spécifications relatives à des activités ou à leurs résultats et dont l’usage (l’adoption) est volontaire par opposition à la règle de droit qui s’impose aux agents.
  • [3]
    Le FSC ( Forest Stewardship Council ou Conseil de bonne gestion des forêts) est une organisation non gouvernementale indépendante qui a développé, en 1993, un système de certification des produits forestiers issus d’une gestion durable. La norme ISO 14001, promulguée par l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) en 1996, est un système de management environnemental, fondé sur une amélioration continue des pratiques en matière de protection de l’environnement.
  • [4]
    Pour une analyse détaillée de l’écolabel communautaire et des enjeux associés, voir Boy ( 1996b).
  • [5]
    L’ISO développe un argumentaire en faveur des normes disponible à l’adresse : hhttp :// www. iso. org/ iso/en/aboutiso/introduction/index.html.
  • [6]
    Depuis les articles pionniers de Stigler ( 1971) et de Peltzman ( 1976) relatifs au phénomène de la captation de la réglementation par des entreprises privées, il semble intuitivement évident que les processus privés d’élaboration de règles sont relativement plus vulnérables à ce type de stratégies. Les interactions entre règles privées (autorégulation mais également régulation par des tiers autres que les pouvoirs publics) constituent un champ de recherche encore inexploré et particulièrement prometteur.
  • [7]
    Boy ( 1996a) et Racine ( 1998) mettent en évidence plusieurs ambiguïtés relatives à l’élaboration internationale des normes qui interfèrent avec les problèmes relatifs à l’encadrement de la concurrence.
  • [8]
    Le SA 8000 est l’abréviation de « Social Accountability 8000 », créée en 1997. C’est une norme internationale qui a été développée au sein du CEPAA ( Council on Economic Priorities Accreditation Agency) en collaboration avec des organisations non gouvernementales, des entreprises et des organisations de défense des travailleurs. Elle vise à garantir l’origine éthique de la production de biens ou de services. Elle regroupe des normes de base sur des thèmes tels que le travail des enfants, le travail forcé, le harcèlement, la santé, la sécurité, le droit d’association, la non-discrimination, les horaires, les rémunérations et la communication.
  • [9]
    En anglais, le terme « standard » est utilisé indistinctement pour la norme ou le standard. Lorsque la distinction est nécessaire, les auteurs écrivant en anglais leur adjoignent le qualificatif « de jure standard » pour les normes et « de facto standard » pour les standards.
  • [10]
    Un point crucial semble être la séparation effective des activités de conseil et de certification.
  • [11]
    Il convient de préciser qu’il s’agit ici d’une norme obligatoire.
  • [12]
    En économie industrielle, il est courant depuis les travaux de Nelson ( 1970) et de Darby et Karni ( 1973) de distinguer les différents attributs d’un produit en fonction du moment où le consommateur obtient l’information relative à la qualité. Ces auteurs distinguent les attributs de recherche (les consommateurs connaissent la qualité avant l’achat, par exemple la couleur d’un fruit), les attributs d’expérience (les consommateurs connaissent la qualité après l’achat, par exemple, le goût d’un fruit) et les attributs de croyance (les consommateurs ne connaissent pas la qualité, ni avant, ni après l’achat, par exemple, le recours ou non au travail des enfants dans la production d’un fruit).
  • [13]
    De manière relativement évidente, des stratégies similaires peuvent aussi être mises en œuvre en aval, en contrôlant la distribution, ce qui aboutit à une augmentation du coût d’accès aux marchés de consommation (Granitz et Klein 1996; Church et Ware 2000; Carlton et Perloff 1998; Scheffman et Higgins 2003).
  • [14]
    Cette hypothèse n’est valable que si la demande est suffisamment inélastique.
  • [15]
    Nous supposons à l’instar de Church et Ware ( 2000,628), que ce coût est uniformément réparti sur toutes les unités de production.
  • [16]
    Une réponse à ces critiques par l’un des fondateurs de la théorie d’augmentation des coûts des rivaux est disponible dans Scheffman et Higgins ( 2003).
  • [17]
    Sur certains marchés publics, l’obtention d’un certificat relatif au management environnemental de l’entreprise ou d’un écolabel relatif aux attributs environnementaux du produit constitue déjà un critère de sélection non négligeable des soumissionnaires (Grolleau et al. 2004). Par exemple, lors des enchères britanniques pour la concession de droits sur le pétrole et le gaz naturel de mer du Nord, 10% des points étaient accordés sur la base d’une certification de conformité à un des standards volontaires existants en matière de management environnemental (Mc Lean etWilson 1996).
  • [18]
    Le cas est référencé de la manière suivante dans les documents américains : 486 U.S. 492 ( 1988). Il est disponible sur des sites spécialisés, comme : hhttp :// www. gamingip. com/Cases/FullText/CF-AllTube.html.
  • [19]
    La norme ISO 9994 fixe des exigences relatives aux briquets qui permettent d’assurer aux utilisateurs un niveau de sécurité raisonnable lors de leur usage normal, ou anormal mais raisonnablement prévisible.
  • [20]
    Une approche par la théorie des clubs pourrait s’avérer pertinente. De manière formelle, un club peut être défini comme un groupe d’individus volontaires qui tirent des bénéfices mutuels et exclusifs du partage du service rendu par l’appartenance au club, comme les membres d’un club de tennis. La théorie des clubs repose sur deux prémisses : premièrement, le risque de congestion exige la limitation de la taille du groupe pour ne pas détériorer la qualité du service, et deuxièmement le nombre de membres et la provision du service considéré sont des décisions d’allocation interdépendantes (Sandler et Tschirhart 1997). En d’autres termes, augmenter le nombre de membres au-delà d’un certain seuil permet de diminuer le coût de production du service, mais détériore simultanément la qualité du service rendu.
  • [21]
    L’intention d’adopter un comportement anticoncurrentiel visant à augmenter les coûts des rivaux, indépendamment de la réussite d’une telle stratégie peut également être l’objet de démarches judiciaires devant les autorités compétentes. Ainsi, dans la lignée des travaux en law and economics, il conviendrait de considérer et de croiser l’intention et le résultat de la stratégie.

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