1 Les aides de l’Etat aux entreprises privées soulèvent un ensemble de questions qui, outre l’efficacité économique de telles interventions, concernent la pertinence des outils juridiques mis en œuvre et, au-delà, leur compatibilité avec les multiples exigences de l’organisation sociale auxquelles le droit positif doit faire face.
2 Répondant à sa vocation d’analyse des synthèses possibles entre le droit et l’économie, le Centre de recherches interdisciplinaires droit-économie de l’UCL nous conviait, le 17 mai 1979, à une journée d’étude consacrée à ces questions.
3 Après que M. le professeur Jacquemin, directeur du CRIDE, eut esquissé, en guise d’introduction stimulante, les problèmes d’opportunité économique et de correction juridique suscités par les aides de l’Etat, M. le professeur Siaens soumit ces aides à un réquisitoire incisif et provocant. Ne représentant à ses yeux qu’une faible contrepartie des prélèvements fiscaux qui ne cessent de s’accroître et de grever la rentabilité des entreprises, ces aides assurent des réallocations discutables, tant du point de vue de leurs modalités que de leurs résultats. Ainsi, évoquant les bonifications d’intérêts, M. Siaens démontre qu’elles ont exagérément favorisé le recours au capital emprunté, alors que l’inflation et la fiscalité privilégiaient déjà ce facteur de production. Tout en sapant l’autorité de l’Etat, tout en diluant les responsabilités, ces aides aboutissent à préserver des entreprises inadéquates, à alourdir la bureaucratie, à développer des mentalités et pratiques courtisanes.
4 Cette analyse permit à M. Siaens de plaider en faveur d’un allègement du prélèvement fiscal sur les entreprises, d’une réduction sinon d’une suppression des aides, d’une politique distincte, sélective et claire d’initiative publique de production.
5 Sans remettre en cause le principe des aides, Madame Desterbecq-Fobelets, assistante aux Facultés Universitaires Saint-Louis, devait pour sa part analyser les garanties juridiques que les contrôles externes des aides devraient apporter. Constatant la faiblesse actuelle des contrôles parlementaire et juridictionnel, Madame Desterbecq-Fobelets propose certaines réformes tendant à les renforcer. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel, elle estime que l’attribution d’une compétence d’avis à une commission indépendante chargée d’apprécier l’économicité et la régularité des aides financières et fiscales les plus importantes permettrait au juge administratif de contrôler plus étroitement les motifs des décisions relatives aux aides, dans la mesure ou l’Administration serait tenue de motiver ces décisions lorsqu’elle s’écarte de ces avis. En outre, les directives relatives aux aides devraient à ses yeux prendre la forme d’actes réglementaires définissant leurs critères d’octroi et déterminant une échelle de priorité des objectifs poursuivis en la matière. Bien que l’on doive permettre à l’Administration de déroger à ces actes dans des circonstances particulières ou en vertu de considérations d’intérêt général contrôlées par le juge, cette réforme permettrait d’accroître le contrôle juridictionnel mettant en jeu les principes généraux de l’égalité devant la loi, de la liberté du commerce et de l’industrie, de la proportionnalité. Outre ce renforcement du contrôle de légalité, la possibilité de mettre en jeu la responsabilité quasi-délictuelle des organismes publics de crédit contribuerait à sauvegarder la position des tiers intéressés par les aides octroyées à une entreprise (concurrents, créanciers).
6 Après avoir rappelé les objectifs du traité de Rome tendant à créer une zone industrielle et commerciale où s’exerceraient les forces du marché, M. Papallardo, directeur à la direction générale de la concurrence des Communautés européennes, a analysé la position de la Commission à l’égard des aides publiques. Trop dépourvue de pouvoirs constructifs de coordination en matière de politique industrielle, la Commission n’a pu que stigmatiser le principe des aides étatiques, souvent déguisées, qui traduisent une renaissance du protectionnisme. Mais elle a dû adopter des positions adaptées aux circonstances, en s’efforçant de réglementer les aides de restructuration destinées à assurer un assainissement durable d’entreprises en difficulté. Bien que les aides soient un facteur de dérangement communautaire, il apparaît, comme en témoigne le dernier rapport sur la politique de la concurrence, que la Commission doit faire des concessions qui, tout en définissant les limites du tolérable, peuvent compromettre à long terme l’existence de la Communauté.
7 Chargé de cours à l’institut supérieur de commerce Saint-Louis, M. Michaux devait enfin évoquer l’aspect régional des aides publiques en Belgique. Après avoir critiqué les lois des 17 et 18 juillet 1959 qui furent inaptes à réduire les déséquilibres régionaux dans le cadre d’une expansion économique générale, M. Michaux a dégagé les deux mouvements antagonistes qui se développèrent à partir de 1970. D’une part, les lois des 15 juillet et 30 décembre 1970 ont maintenu l’octroi des aides au niveau du pouvoir central, même si la seconde créait de nouveaux instruments d’aide régionale destinés à s’insérer dans la planification nationale. D’autre part, l’article 107 quater et la régionalisation préparatoire impliquaient une tendance à l’autonomie régionale, encore que les organes créés fussent tributaires du pouvoir central. La dernière déclaration gouvernementale, la mise en œuvre de la régionalisation transitoire répondent sans doute à la volonté d’accéder à une “régionalisation décisionnelle”, bien que les exécutifs régionaux ne disposent encore que de pouvoirs restreints. Encore embryonnaire, l’autonomie régionale entraîne de nombreuses incertitudes qui, en matière d’aides publiques, concernent leurs mécanismes d’octroi et de contrôle.
8 Cette journée d’étude qui illustre l’intérêt des recherches du CRIDE devait se terminer par une table ronde animée par M. le professeur Flamme. Evoquant l’ensemble des problèmes abordés, M. Flamme suscita de la part des participants de nombreuses remarques concernant l’efficacité économique de ces interventions, les imperfections juridiques du régime d’octroi des aides et du régime de contrôle et de sanction de leur utilisation, ainsi que les problèmes politiques qui y sont liés.