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Article de revue

Témoignage. Le budget vert, une vue d’ensemble de l’incidence environnementale du budget de l’État

Pages 657 à 667

Notes

Né en 1976, Vincent Marcus est ancien élève de Normale Sup (Ulm, Sciences sociales), diplômé de l’ENSAE, titulaire d’un Master de recherche en analyse et politique économiques de la Paris School of Economics, et administrateur hors classe de l’Insee. Il débute sa carrière à l’Insee en 2003 comme chef de projet statistique pour les enquêtes sur le coût du travail et les salaires, puis en 2007 au département des études économiques pour travailler sur des sujets environnementaux. Il est un des rapporteurs de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure du bien-être et de la soutenabilité. En 2009, il rejoint le ministère de l’écologie comme chef du bureau de la fiscalité et des instruments économiques. De 2013 à 2017, il est chef du bureau des statistiques économiques au ministère de l’agriculture, et conduit plusieurs évaluations en appui à la réforme de la PAC. Depuis 2018, il a rejoint le CGDD comme sous-directeur de l’économie et de l’évaluation. Il a participé notamment au groupe de travail interministériel chargé de l’élaboration du « budget vert ».
Florence Tordjman est titulaire d’une maîtrise d’histoire et d’une licence géographie délivrées par l’Université Paris IV Sorbonne, ainsi qu’un diplôme de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle est également ancienne élève de l’ENA de la promotion Gambetta. Administratrice civile, elle a exercé différentes fonctions au ministère de l’économie des finances et de l’industrie dans les domaines des technologies de l’information, de l’aide publique au développement et des affaires internationales et européennes (à la Direction générale des stratégies industrielles, et à la direction du Trésor) avant de se voir confier la sous-direction des énergies fossiles à la direction générale de l’énergie et des matières premières. Elle rejoint en 2010 le ministère de l’écologie en tant qu’adjointe au directeur de l’énergie à la direction générale de l’énergie et du climat où elle participe notamment aux négociations sur la réalisation des interconnexions énergétiques avec les pays voisins de la France et à plusieurs évaluations internationales des politiques énergétiques de plusieurs membres de l’OCDE pour le compte de l’AIE. Nommée inspectrice générale de l’administration et du développement durable, elle rejoint en janvier 2017 la section transition énergétique, construction et innovations comme membre permanent au sein du Conseil général du développement durable. Elle est nommée présidente de cette section en mars 2020.

1Le projet de loi de finances 2019 a été le premier à intégrer des informations sur les incidences environnementales des finances publiques, selon le terme désormais consacré de « green budgeting » ou « budget vert ». En premier lieu, pouvez-vous rappeler le processus qui a conduit à ce résultat, dans un calendrier finalement assez rapide ?

2Cette évolution tire son origine de l’initiative du « collaboratif de Paris pour les budgets verts », lancée par l’OCDE [1] lors du One Planet Summit de Paris le 12 décembre 2017, dans le contexte de la sortie annoncée des États-Unis de l’accord de Paris. Elle visait à définir des outils innovants pour évaluer la compatibilité et apporter des améliorations pour mettre en cohérence les budgets nationaux avec les objectifs climatiques et environnementaux.

3À l’occasion du vote du projet de loi de finances 2019, la députée Bénédicte Peyrol, faisant suite à un rapport sur la fiscalité environnementale, a déposé un amendement, voté à l’article 206 de la loi no 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, selon lequel le Gouvernement présente, en annexe du projet de loi de finances de l’année, unrapport intitulé « Financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l’environnement et du climat ». Cet amendement correspondait à une attente forte de plus grande transparence de la fiscalité environnementale, en parallèle au mouvement des « Gilets jaunes ».

4Ainsi, alors que la discussion des projets de loi de finances s’appuyait sur plusieurs documents (un document de politique sur le climat, l’annexe budgétaire à la loi de finances sur les dépenses en faveur de l’environnement hors climat, un document sur le financement de la transition énergétique, un état des lieux de la fiscalité environnementale), il est apparu qu’un travail de simplification des documents budgétaires et de transparence pourrait être conduit en cohérence avec cette initiative internationale. Cet objectif faisait d’ailleurs l’objet d’un consensus transpartisan ; du côté des services, l’analyse était plus contrastée et plus incertaine.

5C’est dans ce contexte général que le Gouvernement a confié une mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable et à l’Inspection générale des finances.

6S’agit-il d’un exercice purement français ? Comment s’articule-t-il avec d’autres travaux ?

7La France a été un des précurseurs de l’initiative de l’OCDE. L’Irlande et l’Italie sont les deux autres pays les plus avancés. En parallèle et dans le même contexte, la Commission européenne a conduit, à partir de 2018, des travaux en vue de la définition d’une nouvelle taxonomie verte [2], approuvée en décembre 2019. Cette taxonomie est définie comme « une classification standardisée pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques, représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne selon différents niveaux : activités considérées comme bas carbone et compatibles avec l’accord de Paris, activités qui pourraient contribuer à la transition vers une économie zéro émission nette en 2050, mais qui ne suivent pas encore la trajectoire de la neutralité carbone, activités qui permettent le “verdissement” ou la réduction des émissions d’autres activités ». Son objectif est de pouvoir mettre en avant les secteurs où il est préférable d’investir pour permettre à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

8Pouvez-vous revenir sur la manière dont s’est déroulée concrètement l’initiative OCDE et quel a été le rôle de la France dans ce processus ?

9L’une des principales activités du Collaboratif de Paris pour les budgets verts animé par l’OCDE (Paris Collaborative on Green Budgeting – PCGP) a été d’organiser des ateliers dans lesquels des pays venaient présenter ce qu’ils faisaient pour partager les bonnes pratiques, les expériences, etc. La France n’est pas le seul pays à avoir fait des choses, d’autres pays ont participé régulièrement à ces travaux. De plus, le collaboratif de Paris a pu s’appuyer sur les travaux préexistants menés au sein de l’OCDE sur les questions de gouvernance budgétaire, de politiques environnementales et de politiques fiscales [3]

10La France n’est donc pas le seul pays engagé dans cette initiative, mais il est vrai que la spécificité de la démarche française renvoie à son ampleur puisqu’elle englobe des aspects budgétaires et fiscaux sur un périmètre très large qui est l’ensemble du budget de l’État. Tandis que les autres initiatives sont souvent soit partielles d’une manière ou d’une autre du point de vue des dimensions intégrées.

11 C’est donc dans ce double contexte de collaboration internationale dans le cadre de l’OCDE et de refonte des documents budgétaires relatifs à l’environnement au plan national, que le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale des finances ont rendu, en septembre 2019, un rapport d’études intitulé « Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale » [4]. Quelles sont les principales propositions de la mission interministérielle ?

12De façon générale, la mission a, au travers de nombreux entretiens, constaté l’absence de système de référentiel partagé, ce qui constitue en soi une piste de réflexion qu’il pourrait être utile d’approfondir.

13En conséquence, le premier travail de la mission a consisté à recenser les principaux objectifs environnementaux à prendre en compte, les outils poursuivant des objectifs similaires existants en France ou à l’international et de proposer les choix nécessaires pour définir précisément le périmètre de ce nouveau concept de « budget vert » et pour structurer le futur document. En premier lieu, elle a proposé de répartir les objectifs environnementaux en six grands domaines : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique et prévention des risques naturels ; gestion de la ressource en eau ; économie circulaire, déchets et prévention des risques technologiques ; lutte contre les pollutions ; biodiversité et gestion durable des espaces naturels, agricoles et sylvicoles. Cette structuration est en phase avec la répartition retenue par la taxonomie verte européenne. Les enjeux à l’interface entre santé et environnement ne sont pas identifiés de façon explicite. Le rapport de la mission a décliné son analyse, ses questionnements et ses propositions, domaine par domaine dans des annexes spécifiques. Le domaine « adaptation au changement climatique » s’est révélé être le plus difficile à appréhender et à qualifier.

14Elle a ensuite dû préciser le périmètre des dépenses potentiellement concernées. Côté recettes, la mission a repris à son compte la définition communément admise des taxes environnementales retenues par Eurostat. En revanche, le champ des dépenses à prendre en compte était a priori plus discuté, faute d’un référentiel unique. Trois impératifs étaient fixés à la mission : intégrer l’ensemble des dépenses, y compris les dépenses de fonctionnement ; permettre de rendre compte de la diversité des objectifs environnementaux, alors que la plupart des méthodes sont focalisées sur un seul enjeu ; recenser les dépenses favorables et défavorables, là où les documents existants se focalisaient surtout sur les dépenses favorables.

15La mission a donc conduit une analyse des nombreuses comptabilités existantes, en France et à l’international (AIE, OCDE, FMI), pour pouvoir appréhender les périmètres, les méthodes de recueil des informations, mais aussi les limites de chacune. A priori, les subventions et autres concours de l’État, ainsi que les dépenses fiscales constituent le socle principal des dépenses budgétaires évaluées. La mission a in fine proposé d’inclure l’ensemble des dépenses et des recettes d’un projet de loi de finances concourant, positivement ou négativement et de manière significative à la réalisation d’un des objectifs environnementaux – en ne considérant que les dépenses supérieures à un million d’euros.

16Au regard de la grande diversité des dépenses, des recettes et des objectifs environnementaux, la principale difficulté résidait dans la conception d’une cotation universelle transversale. Le choix cornélien devait ainsi être fait entre une cotation simple et robuste,mais nécessairement imprécise et réductrice, et une cotation plus fine, permettant en particulier de discriminer dans une même dépense les parts favorable et défavorable aux différents enjeux environnementaux.

17Le système de cotation finalement proposé par la mission est le suivant, en pleine conscience de ses limites :

Figure 1

Cotation des dépenses.

Cotation des dépenses.

Cotation des dépenses.

Source : rapport de la mission interministérielle.

18Le choix principal de la mission est celui d’une cotation par axe, sans pondération entre les objectifs environnementaux pour éviter le risque d’une méthode « boîte noire ». Cette cotation ne vaut théoriquement qu’à l’instant où elle a été réalisée. La cotation neutre est là pour qualifier des dépenses qui n’ont pas d’impact (ni favorable, ni défavorable). Pour les cas de dépenses où les impacts étaient très incertains, ou faute d’information disponible, c’est aussi cette cotation qui a été retenue (provisoirement). C’est par exemple le cas pour des dispositifs de type « crédit impôt recherche » et pour les soutiens à l’agriculture non écoconditionnés. Il en est d’ailleurs de même pour le secteur de la santé, en grande partie faute de temps. En revanche, la mission n’a retenu qu’une cotation pour les dépenses défavorables, par défaut d’une méthode plus fine et plus fiable.

19Cette cotation n’est possible que sous réserve de définir la notion d’incidence favorable ou défavorable par rapport à un scénario de référence. Le scénario « sans dépense » est la configuration qui répond a priori à cette définition. Toutefois, l’analyse conduite par la mission a identifié de nombreux cas particuliers nécessitant une autre approche, en s’appuyant le cas échéant sur la documentation budgétaire existante. Par exemple, toutes les infrastructures nécessitent des dépenses d’entretien : la mission les a incluses dans le scénario de référence, quel que soit leur niveau ; en conséquence, la construction de toute nouvelle infrastructure est à apprécier selon la grille de cotation en se référant autant que possible à des analyses de cycle de vie. La mission a apprécié les impacts des différents modes de transports en comparant leur niveau d’émissions à celui du mode routier (pris comme référence). En matière de production d’énergie, la mission a retenu comme référentiel le mix énergétique actuel.

20La mission a ensuite mis en pratique son analyse conceptuelle sur un périmètre large de dépenses, à savoir celles de plusieurs missions budgétaires (agriculture, écologie, recherche, cohésion des territoires) incluant les dépenses budgétaires, les comptes d’affectation spéciale, les budgets annexes, les dépenses fiscales et les budgets des opérateurs. Pour les autres missions, l’information disponible dans les documents budgétaires transversaux existants a été utilisée. En particulier, la Mission économie et finances n’a pas pu être étudiée de façon complète faute de temps. Dans cette mise en pratique, la mission a été également attentive à éviter les doubles comptes, ce qui constitue un enjeu important pour les fonds européens (en particulier les crédits de la politique agricole commune) et pour les transferts aux collectivités. Ainsi, outre l’intérêt d’illustrer les résultats de la méthode par des ordres de grandeur et des montants financiers, cette mise en pratique visait à tester la robustesse de la méthode proposée.

21Quels ont été les choix les plus discutés ?

22De façon générale, les politiques du logement, la rénovation thermique des bâtiments en particulier, sont celles pour lesquelles l’ensemble de ces choix (scénario de référence, incidences) ont été les plus débattus. Déjà, un scénario « sans dépense » n’est pas praticable dans ce domaine. Dans les documents budgétaires, les dispositifs finançant la rénovation énergétique ont été intégrés en retenant une part de 15 % censée représenter la part des travaux de rénovation énergétique dans l’ensemble des travaux de rénovation ; l’évaluation des dépenses de soutien a donc vocation à être cotée en tenant compte de la cible retenue pour la rénovation. Par ailleurs, la construction neuve entraîne pour partie de l’artificialisation des sols. 7 % de ces dépenses étaient initialement considérées comme favorables à l’environnement, ce qui était principalement lié à l’effet positif sur les consommations énergétiques. Ce ratio porte en outre sur des montants très importants (plusieurs milliards par an). Sur ce type d’exemple, la mission a rassemblé dans l’annexe dédiée toutes les données et tous les raisonnements à sa disposition, en laissant néanmoins le soin au Gouvernement de choisir les références à retenir.

23L’autre cas incertain concerne les dépenses importantes engagées par la Société du Grand Paris, dont l’équilibre socio-économique ne serait positif qu’indirectement à long terme par la densification autour des gares, limitant l’artificialisation des sols dans des secteurs périphériques d’Île-de-France. Néanmoins, comme le maître d’ouvrage de l’infrastructure et les personnes responsables du développement urbain sont indépendants l’un de l’autre, le résultat environnemental de ce réseau et des dépenses qui y sont consacrées est apparu incertain à la mission. Sur ce sujet, la mission a préféré là aussi faire état de ses raisonnements, parfois contradictoires, sans proposer une cotation claire, en particulier pour ce qui concerne l’artificialisation. Plus ponctuellement, la subvention à EDF pour la centrale de Fessenheim pouvait, au choix, être considérée comme un transfert financier à une entreprise (Mission économie), alors neutre par défaut, ou comme une dépense favorable à l’environnement.

24La mission a donc, autant que possible, appliqué sa méthode à l’ensemble de la maquette budgétaire qui avait été mise à sa disposition et, en cas de doute, exposé ses hésitations dans les annexes jointes au rapport, en laissant le soin aux ministères concernés de faire les choix restant à faire.

25 Quels résultats donne la méthode proposée ?

26Elle conduit globalement à estimer à 35 milliards d’euros les recettes favorables à l’environnement. Pour ce qui concerne les dépenses, 33 à 36 milliards seraient favorables « au moins une fois » – dont 30 sans être défavorables par ailleurs – et 25 seraient défavorables « au moins une fois » – dont 19 à 21 sans être favorables par ailleurs. Les dépenses défavorables sont en majorité (60 %) des dépenses fiscales – exonérations de taxes sur les carburants.

27Le choix du scénario de référence et la cotation semblent ne pas prendre en compte le niveau d’ambition des objectifs environnementaux et les engagements politiquesvisant à les atteindre. Du coup, n’y a-t-il pas un biais dans l’affichage du résultat ? Ces recettes et ces dépenses sont-elles proportionnées à l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs affichés ?

28Comme évoqué avant, l’objectif de la mission était de définir une méthode et de la décliner autant que possible à un instant donné. Ce n’est donc bien qu’une photo incomplète. L’intérêt est, déjà, de pouvoir disposer d’une méthode de référence et d’en suivre la déclinaison dans le temps. De façon relative, l’application au cours d’années successives d’une même méthode permet au moins d’objectiver une évolution par rapport à un même référentiel – à condition que ce référentiel reste stable.

29En revanche, la mission a bien relevé, à l’intention de ses commanditaires, que la seule analyse du budget de l’État ne permet pas de juger de la compatibilité avec les objectifs environnementaux : en particulier, le « Budget vert » n’analyse pas les effets des instruments de politique publique extrabudgétaires, comme la réglementation (ex. : niveau de performance thermique des bâtiments neufs, obligation de rénovation des « passoires »…), ou les mécanismes de garanties, qui peuvent contribuer aussi à la transition énergétique. Par ailleurs, l’atteinte des objectifs implique une multitude d’acteurs publics et privés. Cette limite de l’exercice vaut tout particulièrement pour le choix du scénario de référence. Dans le même esprit, la cotation des dépenses n’emporte pas non plus de jugement sur leur efficience. C’est en outre une photo « ici et maintenant », qui devra être revue régulièrement avec l’évolution des technologies et en tenant compte des approfondissements et améliorations de la méthode, dans les domaines dans lesquels elle est pour l’instant peu discriminante. Pour la mission, l’évaluation des incidences devrait être mieux dotée de méthodes et de données pour fournir des indicateurs pertinents, peu nombreux aujourd’hui. Cela étant, l’affinement souhaitable de la méthode n’est pas nécessairement compatible avec la fonction d’un référentiel stable.

30Avez-vous pris en compte la dimension sociale dans votre analyse ?

31Ce n’était pas le rôle de la mission : elle s’est intéressée aux effets directs environnementaux. Eu égard aux difficultés méthodologiques auxquelles nous avons essayé d’apporter des réponses, la prise en compte des effets redistributifs des dépenses fiscales était hors de portée. Par ailleurs, dans les missions analysées, il y avait peu de dépenses sociales.

32 Quelles pistes d’amélioration prioritaires avez-vous identifiées pour le Gouvernement ?

33Pour nous, la priorité serait de pouvoir consolider l’appréciation des incidences des différentes dépenses inscrites au budget sur la base de leur effet constaté. C’est un progrès nécessaire pour définir et, dans certains cas, pour affiner les cotations à retenir. Il nous a manqué un certain nombre d’indicateurs pour étayer les scénarios de référence. Il nous semble également important d’expliquer la méthode à l’ensemble des parties prenantes, afin de la partager avec d’autres approches (lien avec la taxonomie verte, notamment), à l’heure où la finance verte prend une place de plus en plus importante. Ce partage serait également important avec les principaux organismes d’évaluation, comme le Conseil économique, social et environnemental et le Haut Comité pour le climat.

34Quel accueil a été réservé au rapport remis par la mission et comment l’administration s’est-elle mobilisée à la réception du rapport de mission ?

35L’ensemble des ministères a perçu l’utilité de donner suite aux propositions. Le rapport de mission est sorti fin septembre 2019. Dans l’ensemble, il a été spontanément bien accueilli par les différentes parties prenantes. À la réception du rapport de la mission, le ministère des finances et le ministre du budget se sont emparés du sujet. Une impulsion très forte a été donnée par ce dernier, ce qui a conduit à une mobilisation de ses services. Un groupe de travail inter-administrations a été constitué, dans lequel il y avait le CGDD et les trois autres grandes directions : Trésor, Budget et Législation fiscale. Le projet de loi de finances 2020 a notamment repris ces propositions dans une annexe unique, qui est désormais intégrée dans la structure des futures lois de finances.

36Comment analysez-vous la manière dont le rapport a commencé à être approprié à l’occasion du débat sur le PLF 2020 ? Avez-vous noté des tendances dans l’usage fait des différentes analyses et propositions, que ce soit dans un sens ou dans un autre ?

37Au moment de la loi, la mission a fait deux choses en l’une. Elle a proposé une méthode et elle a commencé à la mettre en œuvre, en produisant un certain nombre de chiffres et de résultats. Cette démarche, qui montrait l’existence d’une méthodologie, a suscité beaucoup d’attentes de la part de nombreux acteurs, qu’il s’agisse de parlementaires, du CESE, du HCC ou d’ONG, pour que la démarche soit poursuivie en vue de l’année suivante, de façon à disposer d’une analyse complète du budget de l’État. On peut également signaler l’avis du Comité pour l’économie verte.

38L’impact le plus tangible sur le projet de loi de finances 2020 c’est finalement un nouvel article en loi de finances qui entérine la suppression des documents budgétaires tels qu’ils existaient avant et inscrits dans la loi à la suite des engagements du gouvernement. Est inscrit dans la loi le principe d’avoir une analyse de l’impact environnemental du budget, green budgeting ou budget vert.

39Par la suite, il y a donc eu un travail pour tenter de répondre aux questions soulevées par le rapport, comment les choses se sont-elles passées ?

40Dès la fin novembre, en réponse à la demande du ministre du budget, un groupe de travail multi-administrations a été mis sur pied dans le but de préparer et produire la nouvelle remise budgétaire pour le PLF 2021 ; cela a permis d’aboutir à une première versionen avril-mai. Il y a eu une itération avec les ministères sur les propositions de classification d’impacts de leurs programmes et leurs dépenses fiscales. Entre-temps est arrivée la crise sanitaire, ce qui fait que cet exercice a été rattrapé par la question du plan de relance qui n’était pas prévue en novembre 2019. Il a donc fallu examiner ce plan à la lumière du budget vert. Le cadre méthodologique défini par la mission a été repris, le gros du travail conceptuel étant fait. Le groupe de travail a bien fonctionné, même si bien sûr il y a eu des sujets de discussions. On peut citer par exemple la question du logement neuf sur lequel on n’était pas forcément tous d’accord. Il y a d’autres dispositifs où là aussi il y avait des points de vue un peu différents : sur les biocarburants, ou sur la prime à la conversion.

41En sortie de crise sanitaire, la question de la compatibilité verte, des aides aux compagnies et au transport aériens a été posée. Comment s’est-elle traduite dans la réflexion ?

42La consigne « budget vert » est que tout ce qui soutient le transport aérien et qui est plus émissif que la route (considérée comme le mode de référence) est considéré comme négatif pour le climat. En ce qui concerne les énergies fossiles, les choses étaient assez claires dans les recommandations méthodologiques de la mission : le périmètre qui est retenu correspond aux dépenses fiscales stricto sensu, au sens où elles sont établies par la direction législative et fiscale dans les annexes budgétaires qui les définissent. Or les exonérations sur le kérosène dont bénéficie le secteur aérien du point de vue juridico-fiscal ne sont pas considérées comme une dépense fiscale et donc ne sont pas dans le périmètre « dépenses défavorables » retenu dans le budget vert. Dans le total des dépenses fiscales défavorables dans les annexes qui ont été publiées cette année, vous allez trouver beaucoup moins que dans le rapport de la mission. Il y a aussi un certain nombre de sujets qui n’ont pas été traités cette année et qui ont été repoussés aux années à venir, dont la question de la politique agricole commune et plus globalement la question des transferts de prélèvement pour l’Union européenne.

43Dans cette version consolidée, l’idée est également de disposer d’éléments pour apprécierla performance des politiques publiques dans l’atteinte des grands objectifs : comment les choses ont-elles évolué sur ce point, en particulier en termes d’évaluation de l’adéquation entre les instruments mis en place et la trajectoire de la France vis-à-vis des grands objectifs ?

44C’est une bonne question, qui a encore été peu abordée. Si vous reprenez le cahier des charges de l’annexe et donc de l’article de la loi de finances qui le définit, cette question est clairement évoquée. Ce que le Parlement demande, ce n’est pas simplement de savoir combien il y a de dépenses « vertes » et de dépenses qui ne sont pas vertes : c’est également de savoir si on est alignés sur les objectifs.

45Le rapport qui a été remis cette année ne répond pas vraiment à cette question-là. On répond partiellement au cahier des charges, en mobilisant le travail que fait I4CE [5], à la demande du ministère. Le panorama des financements climat qui documente l’écart entre les besoins et le réalisé est partiel à de nombreux égards. D’abord, il ne porte pas sur tous les aspects environnementaux, mais seulement sur l’aspect climatique. Jusqu’à récemment, le travail d’I4CE ne permettait pas de distinguer explicitement un objectif dedépense publique versus un objectif de dépenses privées pour atteindre un objectif. Ce travail là est encore assez largement devant nous.

46Vous avez évoqué le fait que dans le processus toutes ces réflexions se sont tenues en mai 2020. Comment le Plan de relance s’est-il articulé avec ces réflexions ? Est-ce qu’il y a eu une interaction et de quelle nature entre ces réflexions sur la « gestion budgétaire courante » et sur tous les exercices rectificatifs qui peuvent exister et plus particulièrement sous la forme d’un Plan de relance ?

47Ce qui a été traité, ce ne sont pas les lois de finances rectificatives, mais le plan de relance. Ce ne sont pas les lois de finances rectificatives qui ont eu lieu au premier semestre ou à l’été. Dans le rapport lui-même, la mission relance au sens du PLF 2021 a été traitée. A aussi été regardé l’objet plus politique et pas strictement budgétaire du plan de relance. C’est un bon exemple, et peut-être le premier exemple d’effet de cette approche : il y a eu clairement la volonté politique de faire passer le plan de relance à travers les grilles dugreen budgeting, pour pouvoir affirmer de manière crédible et garantir que ce qui était dit « vert » au sens du Plan de relance l’était bien au sens du green budgeting.

48Cela a eu deux vertus. La première, relative à la partie verte stricto sensu, notamment la partie crédits sur la rénovation des bâtiments publics, a forcé à clarifier entre ministères le fait que les 7 ou 10 milliards en faveur de la rénovation des bâtiments publics allaient bien être de la rénovation énergétique « pure et dure » à 100 %, et pas de la rénovation globale comprenant une part de rénovation énergétique. Sans quoi on n’aurait pas pu qualifier de « verts » l’intégralité des 10 milliards.

49Symétriquement sur la partie hors « vert » du Plan de relance, il y avait une volonté de pouvoir dire qu’il n’y avait pas de dépenses défavorables à l’environnement. Il n’y en avait pas beaucoup, mais il y en avait quelques-unes en matière routière et le fait de se livrer à l’exercice du budgeting a consisté à purger finalement certains projets ou certaines lignes qui allaient être classées défavorables au sens du budget vert.

50Outre les opérateurs économiques déjà évoqués, il manque la part faite par les ménages, par des entreprises et la part faite par les collectivités locales. Cette partie-là a été peu analysée jusqu’ici. Un certain nombre de grandes collectivités territoriales ont fait part de leur intérêt pour la méthodologie entreprise par l’État, dans la perspective d’analyser de la même façon leurs propres dépenses. C’est l’un des axes de développement pertinents. I4CE réalise un travail de co-construction d’un cadre d’évaluation climat du budget en collaboration avec cinq métropoles et villes, l’Ademe, l’Association des maires de France, Climate KIC et France Urbaine. Un volet complémentaire de ce cadre propose de premiers éléments pour analyser le budget au prisme des processus d’adaptation au changement climatique engagés par la collectivité [6].

51 On peut imaginer que le relais le plus immédiat et le plus efficace à une démarche de ce type sera peut-être effectivement les acteurs financiers et bancaires. Est-ce qu’il y a eu des démarches particulières et des relais particuliers pris par ce monde de la banque etde tous les investisseurs financiers ? Dans ce secteur-là, quels ont été, à votre connaissance, l’écho et les suites données ?

52Durant l’élaboration du rapport, la mission a rencontré un certain nombre de grands groupes bancaires qui avaient travaillé avec le gouvernement au moment de l’établissement de l’OAT (obligation souveraine) verte. Ce travail de green budgeting crée de fait un réservoir de contrepartie pour les missions d’OAT verte. Le Trésor l’a bien vu parce qu’actuellement les dépenses qui servent de contrepartie à l’OAT verte sont d’un ordre de grandeur beaucoup plus petit que les 30 ou 40 milliards de dépenses favorables. Comme par ailleurs c’est un produit financier qui a très bien marché, il y a une appétence forte et cela ouvre un potentiel de développement dans ce sens. Effectivement, les perspectives d’avoir à travers nos classifications, de nouvelles contreparties pour de nouvelles émissions obligataires de la part de l’État, c’était ce qui les intéressait. C’est un vrai intérêt y compris pour l’État français. Globalement, le monde de la finance et du financement privé est beaucoup plus intéressé par la taxonomie européenne qui est en cours de discussion.

53Même s’il est trop tôt pour faire une analyse de la discussion budgétaire du PLF 2021, pouvez-vous nous dire comment vous percevez la façon dont les parlementaires s’emparentde ce nouvel instrument ?

54Il y a un effet Plan de relance qui fait que les parlementaires ne s’en sont peut-être pas énormément saisis sur le moment. Mais il faut aller au bout du processus, et que chacun puisse prendre connaissance progressivement de ces documents, qui sont volumineux. Cela peut conduire à réfléchir à un peu plus long terme. Ce qui va être intéressant, c’est de suivre la démarche dans le temps et idéalement d’avoir une profondeur historique.


Date de mise en ligne : 10/11/2021

https://doi.org/10.3917/rfap.179.0143

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