Couverture de RFAP_178

Article de revue

Olivier QUÉRÉ, L’Atelier de l’État. Des cadres intermédiaires en formation, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica ».

Pages 502 à 503

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1La figure, toute balzacienne, des cadres intermédiaires de l’administration avait plus été jusque-là un objet pour les historiens que pour les sociologues. La thèse d’Olivier Quéré publiée sous le titre L’atelier de l’État, des cadres intermédiaires en formation, avait comblé ce manque. Elle ouvre un programme de recherche sur ce que son auteur appellera plus tard le milieu de l’État, qui se situe entre les positions les plus élevées de l’administration (lesquelles avaient longtemps focalisé l’attention) et les positions d’exécution (que Michel Crozier avait prises pour objet dans ses tout premiers travaux et qui sont devenues importantes depuis 1990 avec les recherches sur le travail des agents au contact du public).

2L’angle d’analyse porte ici sur les attachés d’administration à travers leurs écoles, les IRA. La première partie présente les débats qui ont accompagné la naissance puis les réformes successives de ces écoles. Un fil rouge traverse toute cette histoire : l’impossibilité d’accomplir le projet initial de constitution d’un groupe unique de fonctionnaires. Ceux-ci sont toujours répartis entre trois univers de l’administration centrale, des services déconcentrés et du scolaire.

3La seconde partie porte sur le contenu de l’enseignement. En première analyse il semble que se rejouent les mêmes discussions que dans les écoles des corps dirigeants de l’État : technique ou management ? Une analyse plus fine montre que, pour ces cadres intermédiaires, se pose la double exigence d’assurer une fonction d’encadrement et de respecter leur place dans la hiérarchie. Cela repose la question de la technique : ce sont bien ces cadres qui doivent assurer le minimum de compétence juridique pour éviter de grosses bourdes (on évoque la validation d’emprunts toxiques) quand leurs supérieurs hiérarchiques sont bien au-dessus de ces préoccupations. Cela transforme également la question managériale. Le management qui est enseigné dans les IRA colle directement aux questions les plus délicates de la gestion des ressources humaines dans l’administration. Dans un chapitre parmi les plus intéressants de l’ouvrage, l’auteur rapporte ainsi des cas de gestion soumis aux étudiants. Ainsi, que dire à un fonctionnaire passionné de cyclisme, qui installe son vélo et les coupes de ses compétitions dans son bureau et qui s’octroie ses mercredis après-midi, à un professeur brillant de l’université qui se décharge en douce de la moitié de ses cours à un de ses étudiants ATER ou, plus largement, à l’ensemble des cadres d’une préfecture qui déserte les bureaux après 16 h 30 ? L’analyse fine montre alors que l’on apprend à ces futurs cadres de premier niveau à concilier accommodement et fermeté pour « lisser les aspérités ». Car cette mise en ordre que l’on attend d’eux ne doit pas provoquer de désordres susceptibles de remonter au niveau supérieur.

4La troisième partie est consacrée à la socialisation des élèves des IRA. Le dernier chapitre présente un mécanisme du concours et des petites tensions entre les élèves autour de ce classement dans l’espace clos de l’école (les personnes interrogées évoquent Santa Barbara ou Loft story). Il semble se jouer la même chose qu’à l’Ena avec un petit décalage de prestige : la botte, ce sont les postes d’administration centrale et être affecté dans un collège doit être vécu comme se retrouver en sous-préfecture. L’avant-dernier chapitre présente cependant une vision assez nuancée de cette socialisation. Elle est plus marquée par la lecture de Bernard Lahire et de son attention aux petits déplacements dans la socialisation que par celle de l’auteur de la Noblesse d’État. On apprend ainsi que les deux tiers des élèves du concours externe ont un parent dans la fonction publique, que les élèves du concours externe doivent gérer le « dépit » de n’avoir pas été reçu à un concours plus prestigieux alors que ceux du concours interne doivent endosser le rôle de la responsabilité hiérarchique que leur a donné cette promotion. La plupart n’ont pas changé de région pour venir dans cette école (sauf les parisiens qui vont à l’IRA de Lille) et une partie privilégiera un poste près de son domicile. La petitesse de ces pas n’interdit pas un mécanisme de socialisation convergent pour amener ces cadres intermédiaires à s’en tenir à la position qui leur sera dévolue dans la hiérarchie.

5Lorsque l’attention des chercheurs s’est déplacée des hauts fonctionnaires aux agents de guichet, cela a correspondu à deux déplacements. L’un sur la population étudiée (des nobles aux exécutants) et l’autre sur l’objet d’attention (de la question de la position à celle de l’activité). La thèse d’Olivier Quéré a engagé un de ces mouvements : il a regardé les élèves des IRA comme des élèves de l’Ena. Certaines analyses sur les aspects les plus pratiques de l’enseignement esquissent cependant le second mouvement : analyser le travail de ces cadres intermédiaires comme on a pu le faire pour des agents d’exécution. Cela sera poursuivi dans les travaux ultérieurs de l’auteur sur les cadres intermédiaires de la fonction publique.


Date de mise en ligne : 08/07/2021

https://doi.org/10.3917/rfap.178.0246

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