Notes
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[1]
Ce texte reprend le contenu d’une communication faite le 23 octobre 2003 au 10e Congrès biennal de droit administratif de Brescia en Italie.
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[2]
Si l’objectif de la procédure non respectée est par exemple de faire participer un certain cercle de personnes et que le juge relève que ce cercle de personnes a participé malgré la méconnaissance de la règle de procédure, il constatera que le vice n’a pas affecté la finalité donnée à cette disposition.
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[3]
Par exemple, s’il faut consulter un certain organisme, mais que celui-ci refuse de donner son avis.
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[4]
Par exemple, un trouble spécialement grave dans la société, des grèves insurrectionnelles, etc. De telles circonstances exceptionnelles permettent à l’administration de se dispenser de certaines règles de procédure.
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[5]
Quand l’administration est-elle en situation de compétence liée ? Deux hypothèses sont possibles : une conception restrictive de la compétence liée limite cette notion aux cas où la loi impose une décision bien précise à l’administration sans que celle-ci ne doive ou ne puisse rien apprécier dans la situation en cause; dans une conception plus large, on reste en situation de compétence liée même quand il y a une appréciation qui doit être effectuée par l’administration, mais que, dans le cas particulier, cette appréciation ne peut aboutir qu’à une seule décision, celle que l’administration a prise.
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[6]
Conseil d’État, section 3, février 1999 Montaignac, AJDA, 1999, p. 567. Il y a compétence liée même si, dans le cas particulier, une seule appréciation des faits est légalement correcte.
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[7]
C’est également le cas des contentieux spéciaux, par exemple dans les litiges relatifs aux installations classées pour la protection de l’environnement; le juge peut, non seulement vérifier la légalité de la décision de l’administration, mais corriger certaines des vices de la procédure antérieure et délivrer ensuite lui-même une autorisation de fonctionnement d’une telle installation. Si l’on a omis de consulter un organisme dont l’avis est prévu par la loi, le juge va lui-même organiser la consultation de cet organisme puis délivrer l’autorisation.
-
[8]
Article L. 600-1 du code l’urbanisme.
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[9]
Article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
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[10]
CE, section 3, déc. 2003, Préfet de la Seine-Maritime c/ M. El Bahi, n° 240267, AJDA, 2004, p. 202.
-
[11]
C’est-à-dire des arguments de fait qui ont été avancés par l’administration, la « qualification » qu’elle a donné des faits, l’« appréciation » qu’elle a porté sur les faits.
-
[12]
CE, 23 juillet 1976, Ministre du travail c/ caisse primaire d’assurance maladie du Jura, AJDA, 1976, p. 416.
-
[13]
CE, section 6, février 2004, Mme Hallal, n° 240,560, AJDA, 2004, p. 436.
-
[14]
CE, assemblée, 11 mai 2004, Association AC, n° 255,886, AJDA, 2004, p. 1190.
-
[15]
En raison de l’annulation d’un important projet de stade à Zürich due à un vice de procédure, une partie de la classe politique suisse propose de remettre en cause le droit de recours des associations.
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[16]
La terminologie juridique allemande parle de Heilung (guérison) de l’acte.
-
[17]
On a vu qu’actuellement ce caractère non substantiel n’est reconnu que pour des formalités d’importance secondaire et que l’absence d’effet sur la décision n’est prise en compte qu’en cas de compétence liée.
-
[18]
Comme cela a été le cas en Allemagne par une loi du 11 novembre 1996 modifiant les articles 45 et 46 de la loi sur la procédure administrative et les articles 87,94 et 114 du code de justice administrative.
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[19]
On prendra une illustration tirée d’une procédure allemande affectant un pont sur le Rhin : la construction de ce pont avait été suspendue par le tribunal administratif au motif que l’étude d’impact avait omis de considérer ses effets sur les oiseaux. Une étude complémentaire établissant que le pont n’avait pas d’effet significatif sur les oiseaux a été produite devant la cour administrative d’appel qui, sur cette base, a levé la suspension.
-
[20]
Article L. 911-1 et s. du code de justice administrative.
-
[21]
Article L. 511-1 et s. du code de justice administrative.
-
[22]
Saisie d’un recours contre la mise en œuvre d’un système de gestion automatisée de procédures pénales et prenant en compte le fait que ces procédures étaient nécessaires au bon fonctionnement du service public, le juge a laissé à l’administration l’alternative entre prendre les mesures propres à rétablir la légalité du procédé en question ou abroger les textes illégaux. CE Assemblée 29 juin 2001; Assemblée 27 juillet 2001, Titran, AJDA, 2001, p. 1946.
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[23]
CE, 25 mars 2002, Caisse d’assurance accident agricole du Bas-Rhin, RFDA, 2002, p. 665.
-
[24]
Article L. 551-1 et s. du code de la justice administrative.
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[25]
On conçoit que pour les praticiens du contentieux administratif, le fait de ne plus pouvoir faire tomber une décision pour un vice de forme rendra le recours contentieux moins attractif.
-
[26]
À cette fin, le juge devra veiller à donner dans la procédure une possibilité de se faire entendre appropriée à tous les intérêts en présence. Son rôle sera d’assurer le meilleur équilibre possible entre ces différents intérêts. Dans cet exercice, il ne lui reviendra, de manière plus systématique que dans le recours en annulation actuel, de déterminer si le contenu de cet acte est valable dans son contenu matériel et non seulement si les conditions dans lesquelles l’acte est intervenu sont régulières. Il lui sera ainsi possible véritablement de « vider le litige ».
-
[27]
Dans la majorité des cas, l’administration ne peut purger un acte de l’illégalité qui l’affecte qu’en réitérant le même acte en même temps qu’elle abroge l’acte vicié, mais sans effet rétroactif et à condition de reprendre l’ensemble de la procédure. De plus, dans le cas où l’acte intervenu avait créé des droits, des conditions supplémentaires notamment de délais, sont applicables. L’ensemble de cette question est étroitement lié avec la problématique des conditions de retrait ou d’abrogation d’actes administratifs illégaux laquelle a fait l’objet d’importantes modifications dans la période récente (voir en particulier l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État du 26 octobre 2001, Ternon, AJDA, 2001, p. 1034).
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[28]
Par exemple, un avis, une pièce manquante au dossier, un élément qui devait être pris en considération ne l’a pas été, une étude qui devait être faite a été omise. Ces éléments manquants ont été produits après l’intervention de la décision mais ils ne modifient le sens de celle-ci.
1Une bonne gestion administrative implique de maîtriser les procédures afin de tenir compte de toutes les exigences légales : consultations, auditions, publicité, motivation, etc. dans des opérations de plus en plus complexes : attributions de marchés publics, déclaration d’utilité publique, procédures disciplinaires, etc. Mais même l’administrateur le plus perspicace ou le plus prudent n’est pas en mesure d’éviter que des défectuosités viennent affecter certaines décisions.
2Il y a quelques années, Guy Braibant a pu dire que l’on était passé d’une administration de droit à une administration de procédure. La complexité de l’intervention de l’administration, la nécessité de tenir compte d’intérêts divergents, les difficultés qui sont liées à la collecte des informations complexes, mais aussi l’évolution rapide des règles de fond, ce qu’on appelle l’inflation normative, tout ceci fait qu’assez souvent les actes administratifs, qu’il s’agisse d’actes réglementaires, de décisions de planification, de mesures relatives à des infrastructures ou des décisions individuelles classiques, sont entachées de certains vices.
3Que faut-il faire avec ces actes si, malgré tout, ils paraissent justifiés quant au fond ou du moins s’ils sont susceptibles d’être corrigés ou régularisés ? Faut-il, pour l’autorité administrative concernée ou pour le juge administratif, purement et simplement annuler ces actes administratifs parce qu’ils sont illégaux, ou peut-on essayer de les « sauver » ? Peut-on, dans certains cas, en quelque sorte « fermer les yeux » sur leur irrégularité parce que finalement il s’agit de « bonnes décisions », ou du moins de décisions qui pourraient être opportunément reprises sous réserve de certains aménagements ? Cette question se présente dans tous les systèmes de droits complexes, en France comme dans les autres pays ayant des systèmes juridiques développés. Elle ne se pose pas que pour les seuls vices de procédure et de forme : il y a aussi des vices de fond qui peuvent poser des problèmes de régularisation, tels que, par exemple, les vices concernant les motifs de l’acte.
4La réponse qui s’impose désormais, est qu’un complément est nécessaire à un droit administratif de plus en plus complexe et de plus en plus exigeant, à savoir la possibilité de « réparer » dans des conditions aussi efficaces que possibles un acte partiellement défectueux mais ayant un contenu valable.
5L’approche de cette question est restée en France longtemps traditionnelle : le juge administratif constate l’illégalité et annule les actes irréguliers. C’est l’hypothèse normale que l’on va présenter dans un premier temps. Il existe cependant un certain nombre de correctifs, c’est-à-dire diverses hypothèses dans lesquelles on ne va pas tenir compte de l’existence de certains vices que l’on examinera dans un second temps ; ces hypothèses ont été élargies par des jurisprudences récentes très remarquées. Enfin, dans un troisième temps, il y a lieu de réfléchir à l’évolution possible et aux possibilités d’aménagements futurs du système français de droit administratif et de régulation de l’action administrative au regard du problème des vices susceptibles d’être régularisés.
L’ANNULATION, SANCTION HABITUELLE DES ACTES ENTACHÉS D’ILLÉGALITÉ
6La position de principe du droit administratif français est de considérer que tous les vices juridiques d’un acte entraînent l’illégalité de cet acte et donc, en cas de contestation, son annulation par le juge. Ce principe est logique : quel serait le sens d’une règle qui pourrait ne pas être respectée ? La sanction par l’annulation n’est-elle pas nécessaire pour garantir le respect de la règle ? Au-delà de ces considérations générales, il existe pour l’application de ce principe plusieurs fondements qui sont particulièrement importants dans le droit administratif français. Il faut les rappeler pour saisir la force du principe et pour en apprécier la pertinence.
La nécessité d’une sanction de la méconnaissance des règles administratives
7Il y aurait quelque chose d’inconséquent dans le fait d’exiger pour l’édiction d’un acte administratif un certain nombre de conditions puis de considérer que cet acte est valide malgré le non-respect de certaines de ces conditions.
8Si cette méconnaissance n’est pas sanctionnée, ne faudrait-il pas en conclure que la règle n’est pas nécessaire et qu’elle pourrait tout aussi bien être supprimée ? De plus, l’administration ne serait-elle pas tentée de ne pas respecter scrupuleusement les règles dont le respect ne serait pas sanctionné.
9Tout aménagement de la sanction risque donc de conduire l’administration à se faire juge de l’opportunité de respecter la règle dans chaque cas particulier. Ainsi, si l’on acceptait de ne pas sanctionner l’irrégularité d’une étude d’impact, dans certains cas, cela pourrait être une incitation indirecte pour les services concernés à ne pas mettre en œuvre de manière stricte une telle étude puisque son absence n’aura pas de conséquence.
L’importance des règles de procédure dans le système administratif français
10L’autre élément qui joue dans le sens d’une faible propension à régulariser des actes administratifs tient à l’importance attribuée aux règles de procédure et de forme. Ces règles ont, dans la conception du droit administratif français, pour fonction de garantir les droits des personnes concernées directement par l’acte, et pour objectif d’assurer une bonne décision administrative, donc d’obliger l’administration à faire un travail de qualité. De plus, ces règles ont souvent pour objectif d’assurer l’information et la participation du public. Par conséquent, la méconnaissance de ces règles et procédures comprend non seulement la qualité de la décision mais son acceptation par le public. Une régularisation qui interviendrait ultérieurement, par exemple dans le cadre d’une procédure devant le juge, ne pourrait pas assurer l’information générale du public que l’on veut obtenir afin qu’il puisse participer à la décision administrative. Ainsi, un bon nombre de règles de procédure ne peuvent être corrigées dans le cadre d’un recours administratif ou juridictionnel parce que l’objectif de ces règles est plus vaste que les débats qui se déroulent dans le cadre de tels recours.
Les caractéristiques du contrôle juridictionnel de l’administration en France
11Une des raisons qui expliquent pourquoi le droit administratif français adopte la position simple et carrée selon laquelle l’illégalité entraîne l’annulation, tient en premier lieu aux caractéristiques de la principale voie de recours dans le contentieux administratif français : le recours pour excès de pouvoir. Son objet est d’amener le juge à statuer sur la légalité de l’acte administratif de manière abstraite et objective. Il ne s’agit pas pour le juge de statuer sur les droits ou les fautes des parties, mais de dire si, au regard des arguments soulevés par le requérant, la décision qui lui est soumise est illégale. De plus, dans le cadre de ce recours, tout vice est susceptible d’être pris en considération : même une irrégularité qui n’affecte pas le requérant dans ses intérêts ou dans ses droits propres peut être invoquée par lui pour obtenir l’annulation de l’acte. Enfin, cette annulation ne concerne pas le seul requérant, elle est prise erga omnes, c’est-à-dire qu’elle vaut à l’égard de tout le monde, donc également à l’égard des tiers. Pour toutes ces raisons, le juge statue de manière objective : il prend l’acte comme un fait objectif et constate, le cas échéant, l’illégalité de cet acte. Dans ces conditions, il serait problématique que des arrangements entre les parties ou même une intervention du juge puisse par une « régularisation » affecter les droits des tiers non parties au procès.
12Il faut encore ajouter que, dans l’histoire du recours pour excès de pouvoir, les vices de compétence et de procédure ont longtemps joué le rôle principal et font de ce fait toujours encore l’objet d’une attention particulière de la part du juge administratif, ce qui se traduit par le fait qu’il les examine en premier. Assez souvent encore, s’il constate un vice de forme ou de procédure, le juge va annuler l’acte sans même discuter son contenu. Ce n’est pas un secret qu’une annulation pour vice de forme ou de procédure demande souvent moins d’efforts que l’examen de la requête au fond. Pour des juridictions surchargées de manière structurelle, cet aspect n’est pas indifférent.
La préoccupation du juge de ne pas faire acte d’administrateur
13Un quatrième élément est très important dans cette discussion : la volonté du juge administratif français de ne pas empiéter sur les pouvoirs de l’administration, de ne pas faire « acte d’administrateur ». Si le juge administratif intervenait dans la régularisation des actes administratifs, corrigeant lui-même des actes administratifs, il serait en quelque sorte administrateur, empièterait sur le domaine de l’administration. Or cela, on ne le veut pas. C’est un argument qui peut paraître bizarre parce que l’on sait que le juge administratif français est très proche de l’administration, qu’il participe à certains égards à l’action administrative puisque, par exemple, il la conseille et donne des avis à l’administration. Mais, c’est peut-être parce qu’il n’est pas à tous égards séparé de l’administration que le juge administratif français est préoccupé par le souci de marquer sa différence avec l’administration.
Les effets du principe de non-rétroactivité des actes administratifs et du respect des droits acquis
14Par ailleurs, s’agissant de l’absence de pouvoir de régularisation appartenant à l’administration, il faut mentionner les conséquences tirées du principe de non-rétroactivité lequel est garanti de manière stricte en droit administratif français : l’administration ne saurait régulariser ses actes car, sinon, elle agirait de manière rétroactive. Elle ne peut donc que prendre pour l’avenir un nouvel acte légal qui se substitue à l’acte vicié, et encore, à condition que ce dernier n’ait pas créé des droits acquis, puisque même des actes illégaux peuvent créer de tels droits. Or, le droit administratif français a une conception relativement large des actes susceptibles de créer des droits. Une fois le délai de recours écoulé, ces actes ne peuvent en principe plus être retirés par l’administration, même en vue de leur régularisation.
Le faible rôle du recours administratif préalable dans l’administration française
15Enfin, dernier élément qui explique que la régularisation des vices de procédure et des autres irrégularités est peu développée : le droit administratif français ne connaît pas de règle générale de recours administratif préalable obligatoire avant que l’on saisisse le juge administratif. Un bon nombre de vices seraient régularisés dans le cas d’un recours préalable obligatoire devant un supérieur hiérarchique par exemple, investi du pouvoir de reconsidérer l’acte dans sons intégralité. En France, on peut, en règle générale, saisir directement le juge administratif et celui-ci est donc souvent confronté à des actes comportant des vices que l’administration aurait probablement cherché à corriger si elle avait été saisie d’un recours administratif. De plus, lorsque la loi n’a pas institué de recours administratif obligatoire, la décision par laquelle l’administration vise à régulariser un acte antérieur et ne se substitue pas à l’acte initial.
16On est ainsi conduit à constater le rôle très important des vices de procédure et de forme dans le système administratif français alors même que l’on affirme que celui-ci est dépourvu de formalisme excessif. En réalité beaucoup d’annulations interviennent alors même que les objectifs poursuivis par l’administration étaient justifiés en droit et auraient pu être atteints légalement.
LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE L’ANNULATION DES PROCÉDURES OU ACTES ADMINISTRATIFS ENTACHÉS D’UNE IRRÉGULARITÉ
17Il existe quand même certains aménagements, certaines exceptions pour lesquelles des irrégularités n’entraînent pas l’annulation de l’acte. Ces cas particuliers ne correspondent cependant pas à une régularisation de l’acte par le juge. L’acte reste entaché d’une irrégularité mais cette irrégularité n’aura pas pour conséquence l’annulation juridictionnelle de l’acte. L’irrégularité subsiste mais elle n’affectera pas la décision du juge. Cette situation est illustrée par un certain nombre d’hypothèses. On distinguera entre les exceptions traditionnelles et celles qui ont fait l’objet très récemment d’évolutions récentes.
Les exceptions traditionnelles
- Dans une première série d’hypothèses, certains vices de forme ou de procédure
ne sont pas pris en considération par le juge et l’administration dispose elle-même d’une
marge de manœuvre dans l’application de ces règles.
-
La jurisprudence a décidé qu’un certain nombre de règles de procédure
n’avaient pas de caractère substantiel et que, par conséquent, leur non-respect n’entraîne
pas l’irrégularité de la décision.
Pour le juge administratif français, la très grande majorité des règles de forme ou de procédure prévues par une loi ou un décret sont considérées comme ayant un caractère substantiel. Ce correctif joue assez rarement et ne concerne que des vices mineurs qui n’affectent pas les droits et intérêts des personnes concernées. - Dans certains cas, malgré l’existence d’un vice de forme ou de procédure de caractère substantiel, le juge considère cette irrégularité comme restant sans incidence si l’objectif de la règle de forme ou de procédure a été correctement atteint [2].
- Les formalités impossibles [3] et les circonstances exceptionnelles [4] permettent également d’échapper à une annulation. Ces règles correspondent cependant en pratique à des cas assez peu nombreux.
-
La jurisprudence a décidé qu’un certain nombre de règles de procédure
n’avaient pas de caractère substantiel et que, par conséquent, leur non-respect n’entraîne
pas l’irrégularité de la décision.
-
Une deuxième série d’hypothèses recouvre les cas dans lesquels l’autorité
investie du pouvoir de décision est en situation de compétence liée. En droit français
comme dans beaucoup de systèmes juridiques cette notion joue un rôle très important
pour l’ensemble des vices qui peuvent affecter un acte. Elle concerne les cas où des
irrégularités restent nécessairement sans effet sur le contenu de cet acte parce que ce
contenu est prédéterminé; l’administration ne dispose d’aucune marge d’appréciation,
une seule décision étant légalement possible [5].
Il faut noter que pour l’application de la théorie des moyens inopérants, le juge administratif français a adopté la conception la plus étroite de la notion de compétence liée : il y a compétence liée quand l’administration doit, en vertu de la loi, se borner à constater un état de fait pour en tirer des conséquences de droit. Dès que l’administration doit porter une appréciation sur la situation de fait, les moyens ne sont plus inopérants, une irrégularité éventuelle entraîne l’illégalité de la décision [6]. - La troisième série d’hypothèses recouvre les recours de « pleine juridiction » qui ont pour objet de statuer sur les droits subjectifs du requérant. Dans ce cadre, le juge administratif dispose de pouvoirs étendus dans le contrôle de la situation de fait et dans la réformation de certains actes.
19Si un requérant demande une indemnisation en raison de l’illégalité d’une décision qui l’a affecté, le juge examine si la décision était justifiée et non si elle était légale. Si un refus de permis de construire est entaché d’un vice de procédure ou d’un vice de motivation, mais est justifié quant au fond, le juge, dans le cadre d’un recours en indemnisation, prend seulement en considération le point de savoir si le permis était dû ou pas [7].
20L’ensemble des hypothèses de régularisation que l’on vient d’examiner sont relativement nombreuses. Mais, au total, celles-ci ne représentent pas un nombre statistiquement important de cas pratiques. Le système français traditionnel de gestion des procédures et actes administratifs apparaît dans ces conditions comme insatisfaisant au regard des possibilités d’éviter l’annulation d’actes irréguliers mais justifiés. Il est vrai cependant que des évolutions récentes ont essayé d’ouvrir de nouvelles perspectives de solutions permettant d’échapper à l’annulation systématique des décisions irrégulières
Les évolutions récentes
21Depuis déjà un certain temps, le législateur a cherché à aménager les conséquences de certaines illégalités. Plus récemment, c’est la jurisprudence administrative, qui paraissait jusqu’à présent très réticente à l’égard de ce genre d’initiatives, qui s’est engagée dans la même direction.
1°) Les aménagements législatifs
22Le législateur s’est inquiété des conséquences très lourdes de certaines illégalités pour en limiter les conséquences dans deux domaines : l’urbanisme et la fiscalité. Deux lois ont essayé d’atténuer les conséquences des vices de procédure.
23Une loi du 9 février 1994 sur l’urbanisme [8] a prévu que les vices de procédure qui affectent les plans d’urbanisme doivent être invoqués dans un délai de six mois. Au-delà de ce délai, ces vices de procédure ne peuvent plus être invoqués par voie incidente (c’est-à-dire par voie d’« exception d’illégalité ») dans le cadre de recours dirigés contre des permis de construire pris sur le fondement de ces plans d’urbanisme.
24Une autre hypothèse concerne le droit fiscal où une loi du 29 décembre 1990 [9] a prévu que si des vices non substantiels sont survenus dans la procédure de contrôle fiscal, le juge peut maintenir l’imposition.
25Il faut dire cependant que ces deux dispositions législatives n’ont eu guère d’impact pratique tant en raison du caractère restrictif de leur formulation que des réticences des juges à leur donner un effet important. Mais les mentalités sont en train d’évoluer. Les solutions qu’elles proposent pourraient être développées dans le cadre d’une législation générale sur la régularisation des actes administratifs.
2°) Les innovations jurisprudentielles récentes
26Celles-ci concernent d’une part l’élargissement des possibilités de procéder à des substitutions de motifs, d’autre part la modulation de la rétroactivité des annulations. a) Le juge administratif français admet que l’administration peut invoquer une nouvelle « base légale », c’est-à-dire en pratique modifier ses motifs de droit si elle s’est trompée initialement, mais à des conditions relativement strictes, supposant qu’il y ait vraiment une équivalence entre l’ancienne base légale et la nouvelle. La jurisprudence récente manifeste cependant la volonté de rendre plus facile la substitution de base légale en acceptant que le juge puisse y procéder d’office [10].
27Par ailleurs, la substitution des motifs de fait [11], n’était admise jusqu’à très récemment que dans des cas très limités [12]. Dans la période récente cependant, les possibilités de régularisation d’un acte par une substitution de motifs ont été substantiellement élargies. Désormais, l’administration peut faire valoir un motif autre que celui qu’elle a invoqué initialement. Le juge peut accepter cette substitution, après avoir donné l’occasion au requérant de présenter ses observations sur ce nouvel élément. Il doit avoir vérifié que ce nouveau motif ne prive le requérant d’aucune garantie procédurale et s’être convaincu que l’administration aurait pris la même décision sur la base de cet autre motif [13].
28b) L’innovation jurisprudentielle la plus remarquable de la période récente concerne la modulation des effets dans le temps d’une annulation pour excès de pouvoir. Désormais, le juge accepte de prendre en compte les effets d’une annulation d’un acte au regard de l’intérêt général. Certes, l’acte est annulé du fait de son irrégularité. Mais les effets de cette irrégularité peuvent ne jouer que pour l’avenir. Elles n’ont plus d’effet rétroactif nécessaire : si les conséquences de l’effet rétroactif sont disproportionnées, le juge peut limiter dans le temps les effets de l’annulation [14].
29Il y a là des formules qui permettraient de sortir d’une situation du « tout ou rien » : ou bien un acte est complètement annulé, ou bien on rejette le recours. Mais pour aller plus loin il faudrait que l’on révise assez profondément la conception que l’on se fait de la légalité administrative et de la mission attribuée au juge administratif.
PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION FUTURE
30Alors que, pendant longtemps, la jurisprudence et la doctrine s’étaient montrées peu attentives à la question de la régularisation des actes administratifs, il existe aujourd’hui des signes montrant que ce sujet pourrait rencontrer une plus grande sensibilité. Ceci est lié à la conjonction de plusieurs évolutions.
31D’une part, on prend de plus en plus conscience de ce que, dans le souci de favoriser la participation et de recueillir tous les éléments pertinents pour une décision, on a rendu les procédures administratives de plus en plus lourdes et complexes, au point que rares sont les procédures relatives à des décisions de quelque importance qu’il soit encore possible d’accomplir sans qu’elles soient entachées de quelque vice. Pour réagir à cette situation il faut prévoir des mécanismes pragmatiques de correction des vices survenus dans une procédure.
32D’autre part, la position du juge administratif a fait l’objet d’une réévaluation très profonde dans la période récente, en ce qui concerne les implications du principe de séparation des fonctions administratives et juridictionnelles : le juge administratif s’est vu reconnaître le pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration; il a étendu son contrôle sur le contenu des actes pris par l’administration. Par conséquent, les obstacles qui existaient à l’exercice d’un rôle beaucoup plus actif pour le juge administratif en matière de régularisation des actes ont, pour une grande partie, disparus.
33Enfin, une autre préoccupation justifie le développement de techniques de régularisation : la sécurité juridique. Ce thème (sous ses différentes formes : confiance légitime, etc.) a fait l’objet ces dernières années d’une attention de plus en plus grande et peut même être considéré comme exprimant un nouveau principe juridique fondamental. Or, lorsqu’un acte est annulé, il en résulte la remise en cause des situations juridiques créées par cet acte. Les droits des tiers peuvent être remis en cause alors que les titulaires de ces droits pensaient pouvoir se fonder sur la légalité apparente de l’acte. Des mesures prises en application de l’acte annulé peuvent elles aussi être remises en cause. La situation peut devenir inextricable sur le plan juridique. Pour éviter de telles complications il est souhaitable de disposer de procédures organisées de rétablissement de la légalité et de correction des actes et procédures.
34Ces considérations sont encore insuffisamment prises en compte par les possibilités actuelles de correction. Il faut chercher à développer des instruments nouveaux pour mieux prendre en compte le besoin de régularisation.
La nécessité d’aller au-delà des possibilités de correction actuelles
35Malgré la diversité des possibilités sus-évoquées de corriger des actes administratifs irréguliers, il est, dans l’état actuel du droit, très souvent inévitable d’annuler des décisions bien qu’il existe une disproportion marquée entre l’importance de l’irrégularité qui les affecte et la gravité des conséquences de l’annulation du point de vue de l’intérêt général.
36En particulier, il est fréquent que des vices de procédures ou de forme entraînent l’annulation de décisions parfaitement justifiables au fond avec des conséquences très préjudiciables pour les projets concernés. Par exemple, d’importants investissements peuvent être bloqués en raison d’un problème essentiellement formel. De telles situations sont défavorables tant du point de vue de l’efficacité administrative que de celui de l’acceptation du contrôle juridictionnel : quand un tribunal bloque par une annulation un projet important et attendu, provoquant des surcoûts considérables, en raison d’un vice juridique d’importance secondaire, la population a de la peine à admettre l’utilité de ce type de contrôle [15]. Il est donc dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’administration comme de l’acceptation du contrôle de légalité par la population et les responsables politiques que les tribunaux ne soient pas condamnés au tout ou rien : annuler l’ensemble de l’opération contestée ou « fermer les yeux » sur les irrégularités commises.
37L’objectif du principe de légalité doit être que les irrégularités soient corrigées et non que l’action administrative soit bloquée au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le respect du droit. Sans doute, les opposants à un projet trouvent-ils très utile de le faire échouer dans son intégralité en raison d’un vice partiel. Mais ce type de procédé ne correspond plus que rarement au contexte de sociétés développées qui misent sur la participation et le consensus. De plus, la complexité de la prise de décision, d’une part, les progrès du contrôle de légalité, d’autre part, sont tels qu’aucune décision n’est à l’abri d’une annulation : il suffit de chercher suffisamment longtemps dans un faisceau d’exigences juridiques de plus en plus touffues et donc fréquemment obscures pour y trouver un vice quelconque. Le principe même du contrôle de la légalité de l’action administrative risque donc d’être miné par ses propres développements s’il n’est pas en mesure de développer à titre de contre-poids des modalités nouvelles de sanctions, qui offrent les possibilités diversifiées de rétablir la légalité en permettant, si l’acte contesté ne mérite pas une annulation totale, de le réparer [16] afin d’éliminer les aspects contestables.
38Sans doute ces préoccupations pourraient être mieux prises en compte, sans bouleversements, par des évolutions jurisprudentielles de portée limitée. Les tribunaux pourraient par exemple admettre que, contrairement au droit actuel, un vice qui, dans le cas concret, n’a pas eu effectivement de conséquence sur le contenu final de la décision doit être considérée comme non substantiel [17] et n’entraîne pas l’annulation de la décision concernée. Une telle évolution, qui pourrait être aussi provoquée par une modification législative [18] permettrait d’éviter de nombreuses annulations pour des irrégularités non décisives [19].
39Cependant, afin de traiter de manière plus complète ce type de difficulté, il paraît souhaitable de chercher des modalités plus globales pour régler cette question de régularisation de décisions et procédures administratives.
Les moyens d’améliorer la correction des procédures et décisions administratives
1°) L’attribution au juge administratif d’une mission de diriger la correction des procédures et actes administratifs irréguliers
40Une solution réside dans l’inclusion dans l’office du juge administratif d’une fonction de régularisation des procédures et décisions administratives.
41Cette hypothèse était exclue tant que l’interdiction d’adresser des injonctions à l’administration enfermait le juge administratif dans une logique binaire de l’annulation ou du rejet. Avec les potentialités qui ont été réalisées par la loi du 8 février 1995 [20] instituant un pouvoir d’injonction en vue de l’exécution des jugements, confortée par la loi du 30 juin 2000 [21], attribuant des pouvoirs élargis d’intervention dans le cadre de procédures d’urgence, cette barrière a désormais été en grande partie abattue. La jurisprudence a développé de nouvelles formes d’intervention du juge administratif qui peuvent notamment servir à la régularisation des procédures et décisions administratives. Le juge peut désormais, par l’indication des conséquences qui s’attachent à une annulation, indiquer à l’administration quelles mesures elle doit prendre pour rétablir la légalité. Il peut ainsi diriger les régularisations à effectuer et indiquer quels sont les actes à modifier ou ceux restant valables.
42Désormais, le juge administratif peut, par exemple, prononcer une annulation conditionnelle en prévoyant pour l’administration la possibilité de corriger sa décision dans un certain délai afin de la rendre légale [22].
43Dans d’autres cas, le juge a réparé lui-même l’acte vicié et l’a purgé de l’irrégularité qu’il contenait en substituant à une disposition viciée la disposition légale [23].
44On peut rattacher à la même logique de correction, mais à un stade préventif, la procédure du référé pré-contractuel [24], issue de deux lois des 29 janvier et 29 décembre 1993 relatives à la passation des marchés. C’est une procédure d’urgence qui permet de soumettre au juge administratif une opération d’attribution de marché public avant même que le marché ne soit attribué, pour faire constater que la procédure n’a pas été respectée et pour demander au juge d’ordonner à l’administration de régulariser cette procédure. Il s’agit là d’une innovation tout à fait intéressante puisque le juge intervient avant même la décision administrative pour ordonner à l’administration de régulariser la procédure.
45La procédure juridictionnelle peut servir de prolongement et correctif de la procédure administrative. Traditionnellement le recours juridictionnel était considéré comme un moyen de mettre en cause l’action administrative en obtenant l’annulation d’un acte administratif. L’intervention du juge était donc considérée comme négative pour l’administration et les deux pouvoirs administratif et juridictionnel étaient perçus comme antagonistes, avec la conséquence que la règle selon laquelle le deuxième ne devait pas empiéter sur le premier était interprétée de manière extensive.
46Aujourd’hui, dans le cadre des nouvelles procédures sus-évoquées et de façon plus générale dans la perspective de la reconnaissance au juge d’une mission de régularisation des procédures et décisions administratives, la procédure juridictionnelle devient un moyen pour l’administration de corriger ces actes viciés, de rétablir la stabilité juridique et d’éviter de régler elle-même les situations complexes résultant de l’annulation de ces actes. La procédure juridictionnelle devient pour l’administration une aide au lieu d’être une menace.
47Certes, un certain nombre de précautions doivent être prises pour éviter que l’indépendance du juge administratif soit suspectée [25] ou que son rôle correcteur soit utilisé de manière abusive par l’administration [26].
48Cette solution a aussi l’avantage de clarifier immédiatement et définitivement la situation de droit en faisant prendre une position juridictionnelle définitive sur la validité de la procédure de régularisation et, par voie de conséquence, sur la décision contestée.
49Enfin, en confiant la mission de régularisation au juge on bénéficie des meilleures garanties afin que cette régularisation intervienne de manière neutre et équitable, dans le respect de l’ensemble des intérêts publics et privés en présence.
50On peut cependant hésiter à confier au juge un rôle trop lourd en matière de régularisation. Compte tenu de l’encombrement des tribunaux et des délais des procédures juridictionnelles, il serait raisonnable qu’une part importante des mesures de régularisation soient prises en charge par l’administration elle-même.
2°) L’attribution à l’administration elle-même d’un pouvoir de régularisation
51Comme on l’a vu, dans un certain nombre de cas, l’administration peut se prévaloir du caractère non substantiel d’un vice ou dispose de la faculté de réparer l’acte vicié. Cette faculté est cependant assez limitée [27].
52Il serait concevable de donner à l’administration des pouvoirs nettement plus larges de correction de ses décisions sous réserve de respecter un certain nombre de conditions. Ces pouvoirs et conditions de régularisation pourraient être dégagés progressivement par la jurisprudence, mais il serait plus expédient de les définir dans une loi spécifique sur la correction des décisions et procédures administratives. Une telle loi pourrait comporter les dispositions suivantes.
53a) Quelles sont les irrégularités susceptibles d’être couvertes ?
- Une formalité a été omise mais n’a pas eu d’effet sur le contenu de la décision.
- Un élément nécessaire à la régularité de la décision fait défaut mais est apporté a posteriori sans que cela affecte le contenu de la décision [28].
- Une enquête publique est viciée mais des éléments de cette enquête sont réutilisables dans le cadre d’une nouvelle enquête accélérée et simplifiée de régularisation.
55b) Quelles seraient les conditions de la régularisation ?
- L’administration doit justifier que le vice est intervenu de bonne foi, sans volonté de méconnaître délibérément les règles applicables.
- L’administration doit mettre en œuvre une procédure contradictoire dans le cadre de laquelle elle communique les éléments nouveaux, selon la nature de la décision, aux personnes intéressées ou au public et recueille les avis éventuels.
- L’administration doit, par un acte formel et motivé, justifier qu’elle a examiné effectivement les éléments produits a posteriori et expliquer pourquoi ils n’ont pas d’influence sur le sens de la décision.
- Elle doit établir que la régularisation est conforme à une balance satisfaisante des intérêts publics et privés en présence.
57En cas de doute sur le bien fondé de la régularisation, l’administration pourrait saisir elle-même le juge administratif pour qu’il statue sur le caractère valable de la mesure de régularisation ou sur la nécessité de prendre d’autres mesures. Évidemment, la saisine du juge serait également ouverte aux tiers intéressés.
58Des mesures plus détaillées pourraient être déterminées par la loi en ce qui concerne des procédures spécifiques (telles que les enquêtes publiques) ou la possibilité d’instituer des autorités de recours administratifs pour diriger les opérations de régularisation.
59L’analyse de l’action administrative conduit à relativiser l’opposition entre d’un coté une « autorité administrative » investie de prérogatives dont elle est prête à abuser et de l’autre un usager qui pour se défendre doit pouvoir obtenir l’annulation des décisions prises à son encontre. La réalité correspond bien plus souvent à une situation, non pas binaire mais triangulaire, voire multipolaire, dans laquelle sont en jeu une pluralité d’intérêts publics et privés. Les décisions de l’administration contribuent à l’arbitrage entre ces divers intérêts. Il est donc rare qu’une décision administrative soit simplement favorable ou défavorable. Elle crée des avantages pour les uns et des inconvénients pour les autres. Lorsqu’une personne dont les intérêts sont altérés par une décision administrative en obtient l’annulation, par exemple le voisin qui obtient l’annulation d’un permis de construire, cela affecte moins l’administration elle-même que le bénéficiaire de cette décision. Si celle-ci est annulée non parce qu’elle est injustifiée mais seulement parce qu’elle est affectée d’un vice qui ne met pas en cause son bien-fondé, cette situation est particulièrement peu satisfaisant pour le tiers concerné qui va être la principale victime du faux pas de l’administration.
60C’est donc la prise de conscience de la complexité des décisions administratives qui conduit aujourd’hui la plupart des systèmes modernes de droit et de gestion administrative à rechercher des solutions permettant de traiter de manière modulée et nuancée les vices affectant les procédures et décisions administratives de sorte à éviter des annulations systématiques ou à relativiser celles-ci. Cela réduira la portée de certains recours. Si l’erreur invoquée n’affecte pas la validité intrinsèque de la décision, au lieu de faire tomber une opération dans son intégralité, on ne pourra que provoquer sa correction. Les opposants à la mesure regretteront cette perte d’efficacité des contestations mais les bénéficiaires de la mesures s’en féliciteront.
61Des évolutions récentes ont montré que cette problématique, longtemps méconnue, entre désormais en France dans une phase de discussion soutenue entre juristes, gestionnaires de l’administration et politiques. Divers ajustements sont encore souhaitables en ce qui concerne la sanction des vices affectant les procédures et décisions administratives afin de diversifier les possibilités de correction. De tels ajustements impliquent de revoir en profondeur l’organisation de notre procédure administrative non contentieuse et de redéfinir les responsabilités du juge administratif. Des évolutions parallèles sont en cours dans les pays voisins. Dans le travail d’analyse et de maturation qui reste à réaliser, le droit comparé et les expériences faites dans les pays voisins, notamment en Italie et en Allemagne, constituent une précieuse source d’information et d’inspiration.
Notes
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[1]
Ce texte reprend le contenu d’une communication faite le 23 octobre 2003 au 10e Congrès biennal de droit administratif de Brescia en Italie.
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[2]
Si l’objectif de la procédure non respectée est par exemple de faire participer un certain cercle de personnes et que le juge relève que ce cercle de personnes a participé malgré la méconnaissance de la règle de procédure, il constatera que le vice n’a pas affecté la finalité donnée à cette disposition.
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[3]
Par exemple, s’il faut consulter un certain organisme, mais que celui-ci refuse de donner son avis.
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[4]
Par exemple, un trouble spécialement grave dans la société, des grèves insurrectionnelles, etc. De telles circonstances exceptionnelles permettent à l’administration de se dispenser de certaines règles de procédure.
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[5]
Quand l’administration est-elle en situation de compétence liée ? Deux hypothèses sont possibles : une conception restrictive de la compétence liée limite cette notion aux cas où la loi impose une décision bien précise à l’administration sans que celle-ci ne doive ou ne puisse rien apprécier dans la situation en cause; dans une conception plus large, on reste en situation de compétence liée même quand il y a une appréciation qui doit être effectuée par l’administration, mais que, dans le cas particulier, cette appréciation ne peut aboutir qu’à une seule décision, celle que l’administration a prise.
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[6]
Conseil d’État, section 3, février 1999 Montaignac, AJDA, 1999, p. 567. Il y a compétence liée même si, dans le cas particulier, une seule appréciation des faits est légalement correcte.
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[7]
C’est également le cas des contentieux spéciaux, par exemple dans les litiges relatifs aux installations classées pour la protection de l’environnement; le juge peut, non seulement vérifier la légalité de la décision de l’administration, mais corriger certaines des vices de la procédure antérieure et délivrer ensuite lui-même une autorisation de fonctionnement d’une telle installation. Si l’on a omis de consulter un organisme dont l’avis est prévu par la loi, le juge va lui-même organiser la consultation de cet organisme puis délivrer l’autorisation.
-
[8]
Article L. 600-1 du code l’urbanisme.
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[9]
Article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
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[10]
CE, section 3, déc. 2003, Préfet de la Seine-Maritime c/ M. El Bahi, n° 240267, AJDA, 2004, p. 202.
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[11]
C’est-à-dire des arguments de fait qui ont été avancés par l’administration, la « qualification » qu’elle a donné des faits, l’« appréciation » qu’elle a porté sur les faits.
-
[12]
CE, 23 juillet 1976, Ministre du travail c/ caisse primaire d’assurance maladie du Jura, AJDA, 1976, p. 416.
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[13]
CE, section 6, février 2004, Mme Hallal, n° 240,560, AJDA, 2004, p. 436.
-
[14]
CE, assemblée, 11 mai 2004, Association AC, n° 255,886, AJDA, 2004, p. 1190.
-
[15]
En raison de l’annulation d’un important projet de stade à Zürich due à un vice de procédure, une partie de la classe politique suisse propose de remettre en cause le droit de recours des associations.
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[16]
La terminologie juridique allemande parle de Heilung (guérison) de l’acte.
-
[17]
On a vu qu’actuellement ce caractère non substantiel n’est reconnu que pour des formalités d’importance secondaire et que l’absence d’effet sur la décision n’est prise en compte qu’en cas de compétence liée.
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[18]
Comme cela a été le cas en Allemagne par une loi du 11 novembre 1996 modifiant les articles 45 et 46 de la loi sur la procédure administrative et les articles 87,94 et 114 du code de justice administrative.
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[19]
On prendra une illustration tirée d’une procédure allemande affectant un pont sur le Rhin : la construction de ce pont avait été suspendue par le tribunal administratif au motif que l’étude d’impact avait omis de considérer ses effets sur les oiseaux. Une étude complémentaire établissant que le pont n’avait pas d’effet significatif sur les oiseaux a été produite devant la cour administrative d’appel qui, sur cette base, a levé la suspension.
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[20]
Article L. 911-1 et s. du code de justice administrative.
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[21]
Article L. 511-1 et s. du code de justice administrative.
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[22]
Saisie d’un recours contre la mise en œuvre d’un système de gestion automatisée de procédures pénales et prenant en compte le fait que ces procédures étaient nécessaires au bon fonctionnement du service public, le juge a laissé à l’administration l’alternative entre prendre les mesures propres à rétablir la légalité du procédé en question ou abroger les textes illégaux. CE Assemblée 29 juin 2001; Assemblée 27 juillet 2001, Titran, AJDA, 2001, p. 1946.
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[23]
CE, 25 mars 2002, Caisse d’assurance accident agricole du Bas-Rhin, RFDA, 2002, p. 665.
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[24]
Article L. 551-1 et s. du code de la justice administrative.
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[25]
On conçoit que pour les praticiens du contentieux administratif, le fait de ne plus pouvoir faire tomber une décision pour un vice de forme rendra le recours contentieux moins attractif.
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[26]
À cette fin, le juge devra veiller à donner dans la procédure une possibilité de se faire entendre appropriée à tous les intérêts en présence. Son rôle sera d’assurer le meilleur équilibre possible entre ces différents intérêts. Dans cet exercice, il ne lui reviendra, de manière plus systématique que dans le recours en annulation actuel, de déterminer si le contenu de cet acte est valable dans son contenu matériel et non seulement si les conditions dans lesquelles l’acte est intervenu sont régulières. Il lui sera ainsi possible véritablement de « vider le litige ».
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[27]
Dans la majorité des cas, l’administration ne peut purger un acte de l’illégalité qui l’affecte qu’en réitérant le même acte en même temps qu’elle abroge l’acte vicié, mais sans effet rétroactif et à condition de reprendre l’ensemble de la procédure. De plus, dans le cas où l’acte intervenu avait créé des droits, des conditions supplémentaires notamment de délais, sont applicables. L’ensemble de cette question est étroitement lié avec la problématique des conditions de retrait ou d’abrogation d’actes administratifs illégaux laquelle a fait l’objet d’importantes modifications dans la période récente (voir en particulier l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État du 26 octobre 2001, Ternon, AJDA, 2001, p. 1034).
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[28]
Par exemple, un avis, une pièce manquante au dossier, un élément qui devait être pris en considération ne l’a pas été, une étude qui devait être faite a été omise. Ces éléments manquants ont été produits après l’intervention de la décision mais ils ne modifient le sens de celle-ci.