Couverture de RSC_1104

Article de revue

Droit étranger

Pages 951 à 961

Notes

  • [1]
    Les lecteurs qui souhaiteraient obtenir plus d'informations peuvent contacter l'auteur à l'adresse suivante : nmp21@cam.ac.uk
  • [2]
    www.cps.gov.uk/legal/a_to_c/bribery_act_2010/
  • [3]
    CEDH, 27 nov. 2008, n° 36391/02, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; GAPP, 7e éd. 2011, n° 27.
  • [4]
    Les ramifications en Écosse sortent du périmètre de cette chronique, mais ceux qui seraient intéressés peuvent lire l'article de Pamela R. Ferguson, Repercussions of the Cadder Case : the ECHR's fair trial provisions and Scottish criminal procedure, Criminal Law Review, [2010] 743-757.
  • [5]
    R (on the application of Noone) (FC) (Appellant) v The Governor of HMP Drake Hall and another (Respondents), [2010] UKSC 30. On appeal from 2008 EWCA Civ 1097.
  • [6]
    V. Buxton, Criminal Law Review [2009] 233.
  • [7]
    Pour ces applications jurisprudentielles, V. Padfield [2009] 9 Archbold News 6.
  • [8]
    V. Unjust Deserts: imprisonment for public protection, 2010, disponible à l'adresse internet suivante : www.prisonreformtrust.org.uk/uploads/documents/unjustdesertsfinal.pdf
  • [9]
    Disponible sur : www.judiciary.gov.uk/docs/judgments_guidance/sentencing-remarks-thomas-lj-innospec.pdf
  • [10]
    Le site internet du Sentencing Council constitue une bonne source d'informations pour toute personne intéressée par la détermination de la peine en droit anglais : V. www.sentencingcouncil.org.uk

Actualités du droit de l'Angleterre et du Pays de Galles en 2010 [1]

A - Législation

1 L'année 2010 a été celle du changement de gouvernement au Royaume-Uni, et celle d'un léger répit dans le déluge de lois qui nous inonde si régulièrement. Le nouveau gouvernement est un étrange hybride, une coalition, ce qui est inhabituel au Royaume-Uni. Les Conservateurs et les Libéraux Démocrates forment un tandem plutôt curieux en matière de politique criminelle. Toutefois, avant les élections, deux lois (Acts of Parliament) importantes ont été promulguées.

2 La première est le Bribery Act 2010 (qui est seulement entrée en vigueur le 1er juillet 2011). Cette loi abroge les lois anglaises, surannées et très critiquées, relatives à la corruption, et les remplace par un nouveau « code » anti-corruption. Ce « code » est composé de quatre infractions. Deux infractions générales de corruption passive et active (payer ou recevoir le produit de la corruption), une infraction de corruption de fonctionnaires étrangers et une autre qui incrimine l'absence ou la faiblesse de la prévention de la corruption dans les organisations et structures commerciales. Cette dernière infraction, applicable aux entreprises, est en rupture très significative avec l'ancienne loi relative à la corruption et fait reposer sur les structures commerciales une obligation de s'assurer que leurs procédures anti-corruption sont efficaces.

3 Les deux infractions générales ne sont pas très différentes en substance des prévisions de l'ancienne loi, quoiqu'elles introduisent le concept central d'« exercice irrégulier » (improper performance). Elles se présentent ainsi :

4 - payer des pots-de-vin : est considéré comme une infraction le fait d'offrir à une personne un avantage, financier ou d'une autre nature, avec l'intention de pousser cette personne à exercer « une fonction ou une activité déterminante » (relevant function or activity) de manière irrégulière, ou de récompenser cette personne pour avoir ainsi agi ;

5 - recevoir des pots-de-vin : est considéré comme une infraction le fait de recevoir un avantage, financier ou d'une autre nature, en ayant conscience du résultat : « la fonction ou l'activité déterminante » devra être exercée de manière irrégulière.

6 « La fonction ou activité déterminante » (relevant function or activity) inclut toute fonction de nature publique et toute activité en relation avec le secteur des affaires. On attend en principe de la personne exerçant l'activité en question qu'elle l'exerce de bonne foi ou de manière impartiale, ou encore dans un contexte de confiance. « L'exercice irrégulier » sera jugé selon qu'il rompt ou non avec ce que l'on peut attendre au Royaume-Uni d'une personne raisonnable dans l'exercice du type de fonction ou d'activité concernée. Toutefois, la fonction ou l'activité n'a pas besoin d'être liée de quelque manière avec le Royaume-Uni.

7 Ensuite est prévue l'infraction de corruption d'un fonctionnaire étranger. Cette infraction est réputée commise lorsqu'une personne offre ou donne un avantage, financier ou d'une autre nature, à un fonctionnaire étranger, avec l'intention d'influencer ce fonctionnaire étranger, afin d'obtenir ou de conserver des affaires, alors que le fonctionnaire étranger n'a jamais été ni autorisé ni obligé par une loi écrite à être influencé de la sorte. Il s'agit à certains égards d'un contrôle plus restreint que celui des infractions générales, en particulier à cause de l'élément commercial, mais à d'autres égards d'un contrôle élargi, en raison du concept plus large « d'intention d'influencer » (au lieu de celui « d'intention d'inciter à l'exercice irrégulier d'une fonction ou d'une activité » dans les infractions générales).

8 L'infraction la plus controversée est la nouvelle infraction qui ne peut être commise que par des structures commerciales (les sociétés et associations). L'infraction sera réputée commise lorsque :

9 - une personne en lien avec la structure commerciale concernée (ce qui inclut non seulement les employés, mais aussi des agents et des tiers extérieurs), corrompt une autre personne (autrement dit, commet l'une des infractions prévues par la loi), dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage commercial ;

10 - et lorsque la structure ne peut prouver qu'elle avait mis en place les procédures adéquates pour prévenir la pratique des pots-de-vin.

11 Cette infraction a pour objectif de bouleverser les règles de responsabilité des personnes morales, applicables aux entreprises, en relation avec la corruption. Sous l'empire de l'ancienne loi (et sous l'empire des nouvelles infractions générales), une entreprise ne pouvait voir sa responsabilité engagée que si des instances dirigeantes étaient impliquées. Avec cette infraction pénale visant la personne morale, l'entreprise peut être considérée comme coupable même si aucune personne travaillant dans le cadre de l'entreprise n'était au courant du pot-de-vin. L'unique moyen de défense de l'entreprise se limite à prouver qu'il y avait des procédures adéquates pour prévenir la corruption. Cela crée pour les structures commerciales une obligation de s'assurer que leurs procédures anti-corruption sont suffisamment robustes pour dissuader tout employé, agent ou tiers jouant un rôle dans cette structure, de commettre une infraction de corruption. La loi exigeait du gouvernement qu'il fournisse des indications sur la nature de ces « procédures anti-corruption adéquates ». Une guidance a été publiée le 30 mars 2011 [2]. Un ancien agent administratif de la magistrates'court, qui a admis avoir accepté un pot-de-vin d'un montant de 500 £ pour « se débarrasser » d'une inculpation pour excès de vitesse, a été la première personne à être poursuivie et condamnée sur le fondement du Bribery Act 2010, en octobre 2011.

12 L'autre loi importante est le Crime and Security Act 2010. Cependant, ses principales dispositions, relatives à la conservation de l'ADN et des empreintes digitales, ne sont pas entrées en vigueur à la suite des élections. À la place, le nouveau gouvernement de coalition a déposé un nouveau projet de loi, Protection of Freedoms Bill, avec des règles beaucoup plus strictes de conservation de l'ADN de personnes innocentes et des empreintes digitales. Quelques dispositions de la loi de 2010 sont quand même entrées en vigueur le 7 mars 2010, et notamment celles permettant de faire des recherches dans les bases de données biométriques, pour comparer ces données à des échantillons et empreintes digitales légalement récoltés. Nous devrons sans aucun doute revenir sur ce problème épineux l'année prochaine, et cela sera le bon moment aussi de discuter du titanesque projet de loi relatif à l'aide juridictionnelle, au prononcé des peines et à la répression des délinquants (Legal Aid, Sentencing and Punishment of Offenders Bill 2011).

B - Jurisprudence

13 Quatre décisions de la Cour suprême méritent d'être mentionnées. Commençons par l'Écosse. Bien que cette chronique ne concerne a priori que les décisions relatives au droit de l'Angleterre et du Pays de Galles, cela paraît inapproprié d'ignorer la décision de la Cour suprême Cadder v/ HM Advocate [2010] UKSC 43. La Cour suprême a jugé que, conformément à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'affaire Sladuz c/ Turquie en 2008 [3], la loi écossaise - en ce qu'elle permettait aux juridictions de se fonder sur des aveux faits par un accusé qui n'avait pas eu accès à un avocat lors de son interrogatoire en tant que gardé à vue dans des locaux de police - violait les droits de l'accusé et était contraire aux articles 6§3 (c) et 6§1 combinés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme [4].

14 Deuxièmement, la décision R. v/ Chaytor (and others) [2010] UKSC 52 a eu une certaine importance en matière constitutionnelle, et a vraiment su capter l'attention du public. La question était la suivante : est-ce que les membres du Parlement peuvent être poursuivis devant les juridictions de droit commun en cas de fausses déclarations de leurs notes de frais ? La Cour suprême, à l'unanimité (neuf juges, en raison de l'importance politique de la décision), a répondu par l'affirmative à cette question. Les membres du Parlement avaient avancé que les juridictions pénales de droit commun n'étaient pas compétentes pour juger ces affaires en raison de la protection offerte par leur immunité parlementaire. La Cour suprême a décidé à l'unanimité que les notes de frais ne sont pas protégées par l'immunité parlementaire au sens de l'article 9 du Bill of Rights 1689, et ne sont pas non plus de la compétence exclusive du Parlement. La Cour suprême a clairement distingué la question de savoir si les notes de frais relevaient de l'immunité parlementaire, de la question du caractère mensonger de ses notes (David Chaytor, Jim Devine, et Elliot Morley, trois membres du Parlement, ont consécutivement été reconnus coupables de falsification de leur comptabilité, en application de la section 17(1)(b) du Theft Act 1968, car ils réclamaient le remboursement de frais inexistants et ont été condamnés à de courtes peines d'emprisonnement).

15 La troisième décision, R. v/ Rollins [2010] UKSC 39, portait sur une remise en cause du pouvoir de l'Autorité des services financiers (Financial Services Authority (FSA)) de poursuivre des infractions pénales. La Cour suprême a décidé que les pouvoirs du FSA n'étaient pas limités aux infractions listées dans le Financial Services and Markets Act 2000 s. 401 et s. 402. Par conséquent, le FSA peut poursuivre les infractions de blanchiment d'argent, ce qui va à l'encontre des dispositions du Proceeds of Crime Act 2002 s. 327 et s. 328. Cette décision est intéressante dans la perspective des développements récents relatifs au procureur (Public prosecutor, Crown Prosecution Service, ou CPS) dans la justice pénale anglaise. Le CPS n'a été créé qu'en 1985 (et a commencé à fonctionner le 1er avril 1986) ; il a depuis une histoire instable, bien que peu à peu il « prenne de l'âge ». Le CPS a fusionné en 2010 avec l'institution qui poursuit les fraudes fiscales, le Custom and Revenue Prosecution Office. Cette fusion, motivée par le besoin de faire des économies et par la recherche d'une meilleure efficacité, aurait dû permettre d'économiser 8 millions de livres de fonds publics, mais a soulevé des questions à la fois délicates et intéressantes. Les enquêteurs et procureurs des douanes et des recettes fiscales (Custom and Revenu Office) ont des compétences spéciales, par exemple le pouvoir de transiger avec les personnes faisant l'objet d'enquête et suspectées d'être en infraction avec la réglementation fiscale, ou encore le pouvoir de contraindre les suspects à répondre lors des interrogatoires. Or ces compétences spéciales ne sauraient être étendues à tous les procureurs. Devrait-il y avoir une disparité entre l'étendue des compétences de certains procureurs par rapport aux autres ? Les dossiers fiscaux devraient-ils être rendus accessibles à tout procureur dirigeant des poursuites pénales ? En même temps, le FSA (Financial Service Authority), le régulateur des marchés financiers au Royaume-Uni, continue à effectuer ses propres poursuites (à la suite de cette décision, Monsieur Rollins a été condamné sur le fondement de cinq chefs d'accusation pour délits d'initiés et quatre chefs d'accusation pour transfert et recel de produits d'infractions et condamné à un total de vingt-sept mois d'emprisonnement. Curieusement, la cour d'appel, Court of Appeal [2011] EWCA Crim 1825, a jugé que cette condamnation était manifestement excessive dans la mesure où l'auteur avait exprimé des regrets sincères, avait dû faire face à des conséquences financières désastreuses et enfin parce que sa punition avait été amplifiée par les délais d'examen de l'affaire par le tribunal. Il ne fut condamné en définitive qu'à dix-huit mois d'emprisonnement).

16 Enfin, le cas de la pauvre Madame Noone [5]. Cinq juges de la Cour suprême ont clairement exprimé leur (compréhensible) indignation. Pourquoi ? L'affaire portait sur la complexité des règles qui rendent pratiquement impossible le calcul de la date de libération d'un prisonnier. Par exemple, Lord Judge :

17 « Il est scandaleux qu'il faille consacrer autant d'efforts, de temps et de deniers publics, afin de se frayer un chemin au travers du bourbier législatif, et pour ce qui devrait être, aussi bien pour le prisonnier lui-même que pour les autorités de la prison, responsables de son incarcération, la question la plus simple et la plus certaine : la date de libération du prisonnier (§ 87). »

18 L'affaire paraissait simple. Madame Noone avait été condamnée le 23 mai 2007 à vingt-deux mois d'emprisonnement pour vol, à quatre mois d'emprisonnement pour trois autres infractions de vol, simultanées entre elles, mais consécutives à la condamnation de vingt-deux mois, et à un mois d'emprisonnement pour outrage, consécutif à toutes les autres infractions. Quatre jours après sa condamnation, on lui avait annoncé qu'elle pouvait prétendre à un Home Detention Curfew (HDC) (assignation à domicile assortie d'un couvre-feu avec un bracelet électronique), dès le 15 janvier 2008, avec une date de libération conditionnelle fixée au 28 mai 2008, et l'expiration de sa libération conditionnelle le 13 juillet 2009. Mais le 18 juillet 2007, on lui notifia sèchement, qu'à la suite de l'application d'une circulaire du National Offender Management Service (NOMS), elle ne pourrait prétendre à un HDC qu'à partir du 20 avril 2008, et que la date d'expiration de sa libération conditionnelle était avancée au 10 février 2009.

19 Elle contesta cette notification, mais la cour d'appel avait estimé que, bien que le Secretary of State n'eût pas de compétence pour émettre de telles directives de politique pénale, la directive du Secretary of State reflétait quand même la position du droit positif ! Le juge avait donc un pouvoir discrétionnaire, reconnu à la section 154 du Powers of Criminal Courts (Sentencing) Act 2000 (dans sa version amendée), pour déterminer comment et dans quel ordre des condamnations successives devaient être exécutées. Toutefois en l'absence de toute directive expresse, il fallait en déduire que les condamnations devaient être exécutées dans l'ordre de leur prononcé. Cette décision (logique dans une certaine mesure) aurait pu mener à des situations absurdes et injustes, reposant sur une détermination souvent hasardeuse par le juge de l'ordre d'exécution des condamnations. Comme Lord Brown le souligna devant la Cour suprême :

20 « Supposons que le juge prononce une peine de dix-huit mois suivis de six mois : le prisonnier devient éligible à l'aménagement de sa peine en HDC quarante-cinq jours avant la date de sa libération d'office. Mais supposons que la peine imposée soit de six mois suivie d'une peine de dix-huit mois (soit des peines prononcées dans l'ordre inverse) : l'éligibilité à un aménagement de la peine en HDC intervient cent trente-cinq jours avant la même date de libération d'office. Ou supposons que la peine prononcée soit de deux ans pour l'infraction la plus grave, et de six mois pour une infraction moins importante mais simultanée : encore une fois, l'éligibilité à un aménagement de la peine en HDC est de cent trente-cinq jours. Ou supposons encore que le prisonnier, pendant qu'il est encore en train d'exécuter une peine privative de liberté de dix-huit mois (avec l'espoir d'un aménagement en HDC après neuf mois, 135 jours avant sa libération d'office), soit condamné à une peine supplémentaire d'un mois d'emprisonnement. Il pourrait dès lors perdre tout espoir d'aménagement de sa peine en HDC, car cette possibilité n'est pas prévue pour les peines de moins de trois mois. Ces exemples peuvent aisément être multipliés, mais ce qu'ils expriment semble évident : cela n'a jamais été l'intention du Parlement de faire dépendre l'éligibilité à l'aménagement de la peine en HDC (et corrélativement, la période de libération conditionnelle) des caprices des pratiques du prononcé de la peine. » (§ 43).

21 Dans le cas de Madame Noone, cela signifiait qu'elle ne pouvait prétendre à un HDC pour sa première peine de vingt-deux mois, car elle aurait dû pour cela attendre de commencer à exécuter sa deuxième peine au moins de moitié. Le cœur du problème était le très problématique Criminal Justice Act 2003 (Commencement n°8 and Transitional and Saving Provisions) Order 2005, qui a fait entrer en vigueur le 4 avril 2005 les dispositions du Criminal Justice Act 2003 relatives aux peines de plus de douze mois. Au même moment, les sections 32 à 51 du Criminal Justice Act 1991 étaient abrogées. Lord Phillips et Lord Mance en donnent autant que possible de larges explications. Lord Saville ajoute :

22 « Pour toutes les raisons données par Lord Phillips et Lord Mance, je ne doute pas que d'une manière ou d'une autre, la législation doit être interprétée de façon à ce qu'elle n'ait pas des conséquences irrationnelles et indéfendables, et que le Parlement n'aurait pas pu souhaiter » (§ 41).

23 Et Lord Brown estime que :

24 « Les deux jugements selon moi offrent des approches très éloquentes de la mise en œuvre des dispositions législatives et la conclusion alternative à laquelle la cour d'appel est arrivée est si absurde que n'importe quelle alternative cohérente et logique suffira » (§ 47).

25 Le résultat final fut que la Cour suprême décida que la période d'emprisonnement pertinente doit être un cumul de toutes les périodes d'emprisonnement. La période requise pour pouvoir ordonner un HDC doit être calculée de la même manière. La loi était si extraordinairement complexe qu'il a fallu une affaire simple et banale pour que la Cour suprême puisse résoudre le problème d'une manière simple. Il était, comme l'a dit Lord Brown, intolérable que l'ordre dans lequel des peines sont prononcées puisse changer la durée de la peine et son application. Sauf si cela est très clair aussi bien pour le condamné que pour le juge au moment du prononcé de la peine. Lord Phillips introduit la décision ainsi :

26 « L'Enfer est pavé de bonnes intentions. Dans cette affaire les bonnes intentions étaient d'introduire une réinsertion obligatoire pour les personnes exécutant de très courtes peines, en couplant le temps passé en prison avec une période de libération conditionnelle. Ce système était connu sous le nom de “custody plus”. L'Enfer est une fidèle description du problème d'interprétation des lois qui s'est posé pour le cas des dispositions transitoires entrées en vigueur alors que l'application “custody plus” avait dû être repoussée parce que les moyens de sa mise en œuvre n'existaient pas » (§ 1).

27 Quelles sont les affaires de la cour d'appel (Court of Appeal, Criminal Division) que l'on pourrait évoquer ? Commençons avec une affaire intéressante sur un point délicat de droit pénal de fond et qui soulève de nombreuses difficultés pratiques : la responsabilité pénale du complice de meurtre. La décision Gnango [2010] EWCA Crim 1691 concernait un jeune homme de dix-sept ans condamné pour meurtre, tentative de meurtre et possession d'arme à feu dans l'intention de porter atteinte à la vie d'autrui. Il avait échangé des coups de feu avec un membre d'un gang rival dans un lieu public, et son adversaire avait abattu une victime innocente. Son adversaire n'avait pas été arrêté. L'appel de sa condamnation pour meurtre tournait autour de la question de savoir si l'appelant pouvait être considéré comme coupable de meurtre alors que le coup de feu fatal n'avait pas été tiré par lui, mais envers lui. Au procès, le juge a rejeté l'argumentation de la juridiction de première instance (Crown Court), selon laquelle le défendeur avait provoqué et incité la fusillade, en y étant présent, et l'avait encouragée : il avait pu provoquer de nouveaux coups de feu, mais ne les avait pas encouragés. Mais le juge admit que l'accusation de meurtre pouvait être jugée par un jury sur la base de « l'entreprise criminelle commune » (joint enterprise), qui consistait, en l'espèce, à avoir déclenché une bagarre : si le meurtre est survenu à cause de l'un des participants de cette « entreprise commune », et l'a été avec le degré d'intention requis, alors tous les autres participants peuvent aussi être considérés comme coupables s'ils ont bien sûr mesuré la portée de leurs actes.

28 La cour d'appel admet l'appel. Thomas LJ rend une décision « à laquelle nous avons tous contribué » (une nouvelle approche dans la rédaction des jugements et décisions en Angleterre et au Pays de Galles...). Il identifie trois formes d'entreprise criminelle commune (joint enterprise) :

29 - lorsque deux personnes commettent un seul crime, lorsqu'ils sont des coauteurs (joint principals) : par exemple le cas où trois voleurs affrontent des hommes assurant la sécurité d'un convoi de fonds ;

30 - lorsque X aide et incite Y à commettre un unique crime : par exemple en lui fournissant l'arme nécessaire pour commettre un vol ;

31 - lorsque X et Y participent de concert au crime A et que, dans le cadre de la commission de ce dernier, X commet un crime B, et que Y pouvait envisager l'éventuelle commission du crime B.

32 La cour considère qu'il est utile d'utiliser les expressions d'entreprise criminelle commune (common or joint enterprise) dans chacune de ces situations. La condamnation a été annulée parce que la Crown Court s'était fondée sur le troisième cas de figure, bien qu'il n'y ait pas eu de but commun à provoquer cette bagarre. La preuve que l'appelant et le meurtrier étaient coupables de bagarre n'est pas suffisante en soi. Il n'y a pas de but commun entre tirer et se faire tirer dessus (V. § 59). Le juge de première instance avait imposé un Imprisonment for Public Protection avec une période de sûreté de douze ans minimum pour la tentative de meurtre. En annulant la condamnation pour meurtre (pour laquelle le juge de première instance avait imposé une peine de prison à vie avec une période de sûreté de vingt ans), la cour d'appel éleva la période de sûreté de la condamnation pour tentative de meurtre à quinze ans. Le problème de l'entreprise criminelle commune va perdurer et votre commentateur souhaiterait sa disparition pure et simple... L'entreprise criminelle commune telle que prévue dans le premier cas de figure, et que la cour préfère en l'espèce, peut être mieux décrite comme un simple cas de coaction [6]. La loi sur « l'aide et l'incitation » (aiding and abetting) fonctionne plus simplement sans recours aux confusions de l'entreprise criminelle commune.

33 Il y a eu, comme toujours, de nombreux appels relatifs au prononcé des peines, ce qui a fourni d'importantes indications pour les juges du prononcé de la peine. Une étrange affaire de meurtre a permis une rarissime exploration du concept de pitié (mercy) dans le cadre du prononcé de la peine. Dans l'affaire Inglis [2010] EWCA Crim 2637, le fils d'une femme avait subi une blessure catastrophique à la tête, en tombant de l'arrière d'une ambulance en juillet 2007. En mai 2008, elle plaida coupable pour tentative du meurtre de son fils en septembre 2007. En novembre 2008, elle lui rendit visite à l'hôpital, en violation des conditions de sa libération sous caution, et lui injecta de l'héroïne. Il mourut. Lors du procès pour meurtre, elle maintint que ses agissements consistaient en un acte de pitié, mettant un terme à la souffrance de son fils, et conformément à son rôle de mère. Mais le juge de première instance refusa de laisser la défense de provocation entre les mains du jury. La cour d'appel rejeta l'appel de sa condamnation. Loin de manquer ou de perdre le contrôle d'elle-même (un ingrédient essentiel de la défense de provocation), la plaignante avait le plein usage de ses facultés. L'appel de sa condamnation n'était pas valable.

34 En revanche l'appel relatif à la peine prononcée fut autorisé dans la mesure où la période de sûreté de sa condamnation à la prison à perpétuité a été réduite de neuf à cinq ans. En raison d'une disposition (Schedule 21) du Criminal Justice Act 2003, qui prévoit expressément des circonstances atténuantes (mitigation) pour cette infraction, la croyance subjective de l'accusée dans le fait qu'elle agissait par pitié a conduit la cour d'appel à décider que les circonstances aggravantes légales n'étaient pas applicables :

35 « Dans cette affaire particulière, l'absence de remords ne supprime pas la circonstance atténuante que cette femme souffrait déjà et continuerait à souffrir de la tragique perte de son fils, en ce qu'elle considère que l'accident de juillet 2007 en est la cause. La circonstance atténuante que représente ce deuil ne devrait pas être déconsidérée à cause de l'absence de remords... De notre point de vue sa responsabilité intellectuelle pour ses actes, motivés par une obsession compulsive, a été amoindrie sinon totalement abolie, entrant dans le cadre du moyen de défense de responsabilité atténuée (the defence of diminished responsibility), et certainement au point de réduire en partie sa culpabilité... Et il n'y a pas de doute sur la sincérité de sa croyance dans le fait que ses actes ayant préparé et conduit au décès de son fils Thomas, étaient des actes de pitié, ou encore que son chagrin consécutif à la perte de son fils n'est pas atténué par sa responsabilité dans ce décès. Ce sont des considérations très importantes, bien loin des cas ordinaires de meurtre. » (Lord Chief Justice, § 58-59).

36 De nombreux appels continuent encore d'être formés contre les condamnations à la peine controversée d'emprisonnement pour la protection du public (Imprisonment for Public Protection, IPP). Ainsi dans la décision Delucca [2010] EWCA Crim 710, la cour d'appel a décidé qu'une juridiction qui prononce une peine d'emprisonnement pour la protection du public ou IPP, pourrait - en prenant auparavant en compte d'autres infractions non spécifiées - prononcer une période de sûreté, sur le fondement de la notion de peine à durée déterminée, qui pourrait être plus élevée que le maximum légal prévu pour l'infraction pour laquelle la peine avait été prononcée. Et dans Costello [2010] EWCA Crim 371 la cour a décidé que lorsqu'un délinquant commet une nouvelle infraction pendant sa libération conditionnelle et a été réincarcéré, un juge n'est pas autorisé à prononcer une peine plus lourde pour la nouvelle infraction parce qu'il veut s'assurer que le délinquant purge sa peine avec un temps additionnel en raison de la nouvelle infraction, en plus de la peine non encore exécutée pour l'infraction originelle. Dans ces deux affaires, les juges de la cour d'appel expriment haut et fort leurs critiques sur l'état du droit positif en matière de prononcé de la peine. Et tout cela n'est qu'un début, surtout lorsqu'on se tourne vers la montagne d'applications jurisprudentielles [7]. Jacobson et Hough concluent leur étude empirique de la peine d'IPP, qui inclut des entretiens avec des juges, des avocats et des agents pénitentiaires, en affirmant qu'il y a un besoin urgent de revoir la peine d'IPP [8].

37 S'agissant maintenant de procédure pénale, la décision DPP v/ Alexander [2010] EWHC 2266 (Admin) a mis en lumière l'importance des décisions prises par le Crown Prosecution Service (CPS) qui exerce l'opportunité des poursuites. Dans l'affaire Alexander, la Haute Cour devait se prononcer sur un problème de plus en plus courant : quel effet un avertissement policier ou conditionnel doit-il avoir sur des poursuites ultérieures concernant un délit différent mais se fondant sur le même incident ? Dans le cas d'espèce, la victime était montée dans le véhicule d'Alexander de son plein gré puis, à la suite d'une dispute, ce dernier avait démarré et l'avait maintenue à bord contre sa volonté sur trois kilomètres. Le compagnon de la victime avait poursuivi la voiture jusqu'à ce qu'une collision ait lieu entre les deux véhicules, sans que quiconque ne soit blessé. De façon quelque peu surprenante, la police donna à Alexander un avertissement formel pour détention illégale, et ce, sans renvoyer le cas au CPS. Le CPS décida ensuite de poursuivre Alexander pour le délit bien différent (et bien moins grave) de conduite imprudente. Les juges du fond suspendirent l'instance pour détournement de procédure et le procureur fit appel de cette décision devant la Haute Cour. La Haute Cour considéra à l'unanimité que le détournement de procédure est applicable à des poursuites initiées après un avertissement concernant le même incident, de la même façon qu'il est applicable à des poursuites initiées après une condamnation concernant le même incident. La Cour fut néanmoins, chose rare, partagée quant à la solution : par une décision à la majorité, elle considéra que les poursuites en cause ne constituaient pas un détournement de procédure.

38 La décision de la cour d'appel dans Dougall [2010] EWCA Crim 1048 apporte des précisions quant à la loi relative aux réductions de peine pouvant être octroyées lorsque l'accusé a collaboré avec le procureur (en conformité avec s. 73 of the Serious and Organised Crime and Police Act (SOCPA) 2005). D était un employé de DPI, une entreprise fabriquant du matériel orthopédique destiné à l'exportation. Le marché grec était corrompu (les individus chargés de l'approvisionnement en matériel médical acceptaient de l'argent et d'autres cadeaux en échange de l'attribution des contrats à certains fournisseurs) et l'entreprise DPI était impliquée dans ce réseau de corruption. Lorsque le Serious Fraud Office (SFO) et la police ouvrirent une enquête sur l'entreprise, D offrit de coopérer dans l'instruction et la mise en cause d'autres personnes. Il fournit des réponses détaillées lors des auditions ainsi que des aveux complets. Il s'engagea à collaborer par la suite avec le SFO ou toute autorité judiciaire étrangère qui l'exigerait de lui et il signa un plea agreement dans ce sens, en conformité avec s. 73 of the SOPA 2005. Selon l'accord, le directeur du SFO proposait, pour récompenser la collaboration de D, que la juridiction de jugement n'impose qu'une condamnation avec sursis. Cependant, après avoir plaidé coupable pour conspiration de corruption (conspiracy to corrupt), D fut condamné à 12 mois d'emprisonnement sans sursis.

39 La cour d'appel déclara le recours de D recevable, considérant que la condamnation aurait dû être prononcée avec sursis. Dans un contexte de corruption systématique, endémique et continue, des indéniables circonstances atténuantes existaient en faveur de D. S'agissant de l'accord conclu en conformité avec s. 73 of SOCPA 2005, la cour, présidée par Lord Chief Justice, nota que :

40 « Devant cette juridiction, est contraire aux principes tout plea agreement ou bargain entre le procureur et la défense dans lequel ils décideraient de la peine ou présenteraient un compromis d'ensemble que la cour n'aurait qu'à valider. Ceci est valable pour les affaires de ce type comme pour les autres. » (§ 19).

41 « Certes le procureur doit participer à la procédure permettant à la juridiction de jugement d'avoir connaissance des différentes questions soulevées par les preuves présentées et pouvant influer sur la responsabilité de l'accusé (y compris, bien entendu, sous la forme de circonstances atténuantes), et d'être informée de toute collaboration apportée aux enquêteurs par l'accusé. Mais cette procédure ne permet en aucun cas un accord au sujet de la peine. En effet, où que l'on cherche dans notre système de justice pénale il est impossible de trouver des accords entre le procureur et la défense au sujet de la peine à imposer à l'accusé » (§ 23).

42 « Dans les affaires de fraude et de corruption la faculté de prononcer la peine est détenue exclusivement par la juridiction de jugement (et en appel par la division criminelle de la cour d'appel). En aucun cas il peut en être autrement » (§ 25).

43 Considérant l'argument avancé par le Serious Fraud Office, selon lequel ce qui importe le plus pour un délinquant en « col blanc » n'est pas la réduction de la durée d'emprisonnement mais la possibilité d'éviter une peine d'emprisonnement ferme, le Lord Chief Justice estima que :

44 « Cet argument suggère qu'à moins de prononcer des condamnations avec sursis, toute coopération de la part d'accusés dans la procédure SOCPA serait en pratique anéantie. Il en découlerait que, si dans une affaire toutes les conditions d'un plaider-coupable sont remplies, qu'il y a eu une coopération totale de l'accusé en conformité avec un accord SOCPA, et qu'une condamnation à une peine de 12 mois d'emprisonnement est adéquate, la peine doit alors être prononcée avec sursis. Nous ne sommes pas d'accord avec un tel raisonnement. Aucune condamnation ne peut être déduite de façon plus ou moins automatique. Une condamnation avec sursis ne doit être prononcée que si elle est justifiée par l'existence d'éléments particuliers concernant la participation de l'accusé dans la commission du délit, y compris des circonstances atténuantes. Il s'agit d'une question de fait » (§ 34).

45 S'agissant du cas d'espèce, le sursis pouvait être justifié :

46 « lorsque la condamnation adéquate pour un délinquant est une peine de 12 mois d'emprisonnement ou moins, tenant compte de la gravité du délit, des circonstances atténuantes, du choix de plaider-coupable et de l'entière coopération avec les autorités enquêtant sur un crime grave impliquant des actes de fraude et de corruption, et en prenant en considération les engagements pris par l'accusé en conformité avec un accord SOCPA, alors l'argument selon lequel la condamnation doit être accompagnée d'un sursis est particulièrement solide. Ce sera normalement la solution retenue. Ceci nous semble correspondre au mieux aux réalités concrètes afin d'offrir une réponse pragmatique au problème » (§ 36).

47 Le Lord Chief Justice rejette donc l'idée selon laquelle les plea agreements lieraient le juge. Les juges décident des condamnations. Cette conclusion pouvait peut-être déjà s'imposer simplement en se fondant sur les affaires précédentes P [2007] EWCA Crim 2290 ; Innospec Ltd [9] . La difficulté quant au prononcé de la peine perdure : comment le juge décide-t-il si une condamnation avec sursis est appropriée ? D était plutôt un petit joueur dans une grande affaire de corruption. Mais la grande corruption est un grand problème. Les petits joueurs dans des crimes de violence ou de trafic de drogue de grande ampleur écopent souvent de peines d'emprisonnement significatives. La corruption serait-elle moins « pire » que le trafic de drogue ? Cette décision n'apporte que peu d'éclaircissements quant à la façon dont les juges doivent évaluer le dommage et la culpabilité dans les affaires de corruption.

48 La décision de la cour d'appel dans Budimir, Rainbird; Interfact Ltd V Liverpool City Council [2010] EWCA Crim 1486 est intéressante dans la mesure où la cour a imaginé une solution pragmatique pour résoudre le problème suivant : le gouvernement n'ayant pas rempli son obligation de notifier à la Commission européenne la loi de 1984 sur les enregistrements vidéo transposant la Directive 83/189, la loi de 1984 et tous ses règlements d'application ne pouvaient pas être opposés aux particuliers. Le gouvernement annonça en 2009 que les délits visés par la loi de 1984 auraient dû être notifiés. Le gouvernement s'est alors dûment acquitté de ses obligations : la loi de 1984 fut abrogée et remplacée par la loi de 2010 sur les enregistrements vidéo rédigée dans les mêmes termes et les règlements d'application furent également refondus. Dans le cas d'espèce, les requérants cherchèrent à faire annuler leurs condamnations fondées sur la loi de 1984. Rejetant les recours, le juge Lord se dit « complètement sceptique » quant au fait que ces condamnations aient donné lieu à une injustice flagrante :

49 (1) La finalité de la loi de 1984 était de protéger le public contre la diffusion de la pornographie, soit en l'interdisant complètement soit en ne permettant sa distribution qu'aux personnes de 18 ans ou plus, et ce, seulement dans des établissements identifiés.

50 La procédure de classification et l'interdiction correspondante de la distribution des vidéos non classifiées furent mises en place dans le but d'assurer que de telles marchandises soient correctement régulées et contrôlées. Il ne s'agissait donc pas de simples infractions règlementaires. La conduite incriminée peut produire des dommages durables notamment pour les enfants et les adolescents. L'intérêt général est en jeu.

51 (2) Il est clair que les requérants ont délibérément accompli, dans le cadre de leurs activités commerciales, les actes visés par l'interdiction légale, en en retirant des profits importants. La loi de 1984 rendait parfaitement clair le fait que leur conduite était délictuelle. Elle reste délictuelle au regard de la loi de 2010 sur les enregistrements vidéo qui a repris les dispositions de la loi de 1984 en des termes identiques.

52 (3) Étant donné que rien ne distingue les condamnations des requérants de celles d'autres individus condamnés sur le fondement de la loi de 1984 entre 1985 et 2009, le raisonnement des requérants consiste à soutenir que toutes les condamnations pour de tels délits durant cette période doivent être annulées, nonobstant le fait que dans tous les cas les individus condamnés avaient violé les dispositions d'une première loi promulguée de façon régulière.

53 (4) À part l'argument relatif à la législation de l'Union européenne et la possible application de la Convention, il est impossible de discerner, dans ces circonstances, le moindre élément permettant de soutenir que les requérants ont souffert d'une injustice quelconque.

54 La Cour rechercha donc de façon détaillée, dans la législation de l'Union européenne et en droit interne, quelles étaient les conséquences du défaut de notification. La décision de la Cour de justice de l'UE dans l'affaire C-234/04 Kapferer [2006] ECRI 2585 : « établit comme principe général que le droit communautaire n'impose pas à une juridiction nationale de réexaminer une décision judiciaire passée en force de chose jugée et de l'annuler, même s'il devient alors impossible de remédier à la violation d'une disposition de droit communautaire » (§ 44). Non seulement le principe Kapferer était applicable aux requêtes, mais de plus ce principe est lui-même soumis aux exigences impératives des principes d'équivalence et d'effectivité. L'application des règles de procédure internes ne viole pas le principe d'effectivité.

55 « Il ne peut être soutenu dans les présentes affaires que le comportement du ministère a eu pour effet de priver les requérants de toute possibilité de faire valoir leurs droits devant les tribunaux nationaux. L'argument ne peut être soutenu par les requérants qui ignoraient le fait que le ministère n'avait lui-même pas conscience de ne pas être en conformité avec la directive et donc n'avait pas l'obligation d'informer les requérants » (§ 70).

56 Il n'y avait pas non plus violation de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme n'impose pas aux États parties l'obligation d'annuler toutes les conséquences d'une législation nationale qui est par la suite considérée comme incompatible avec la Convention. Au contraire, la Cour reconnaît que le principe de sécurité juridique dispense d'une telle obligation.

57 Enfin, nous signalons les affaires jointes Henderson ; Oyediran ; Butler [2010] EWCA Crim 1269 dans lesquelles la cour d'appel a donné d'importantes précisions sur l'utilisation des expertises comme preuves. Les requérants ont fait appel de leurs condamnations dans des procès distincts pour homicide, lésions corporelles graves et actes de cruauté et meurtre. Les trois requérants ont été condamnés pour des faits liés au syndrome du bébé secoué. Ils voulaient soumettre de nouvelles expertises médicales comme éléments de preuve en appel. La cour d'appel rejeta l'appel de H (nourrice) mais admis celui de B (le père d'un bébé ayant survécu), et annula sa condamnation. Enfin, l'appel de O (le père d'un bébé n'ayant pas survécu) fut rejeté, la cour considérant que la qualité de l'expertise ne suffisait pas pour remettre en cause la sûreté du verdict et la demande d'admission de nouvelles preuves fut rejetée.

58 Moses LJ annonça la décision de la cour. Si une condamnation se fonde uniquement sur des expertises, alors cette condamnation ne peut être considérée comme fondée que si la solution procède d'un raisonnement logique. Lord Bingham CJ a noté dans l'affaire Pendleton [2002] 1 Cr App R 441 [17] que le procès devant jury ne signifie pas procès devant jury en première instance puis procès devant des juges de la cour d'appel en seconde instance. Or cette observation est applicable à toutes les affaires y compris celles dans lesquelles les expertises jouent un rôle central. Dans ces affaires, justice ne peut être rendue que si les éléments de preuves font l'objet d'une préparation et d'un contrôle adéquats dès le début de la phase d'enquête et tout au long du procès (§ 201). Le jury ne peut prendre en compte des expertises contradictoires que si les preuves ont été organisées et contrôlées avant de lui être présentées. L'identification des véritables questions médicales était essentielle pour le juge qui devait décider de l'admissibilité des expertises soumises par les parties. Les tribunaux devraient avoir connaissance du Rapport « Mort soudaine dans la petite enfance : Le rapport rendu par un groupe de travail organisé par le Collège royal des pathologistes et le Collège royal de pédiatrie et de santé infantile » sous la présidence de la baronne Kennedy QC (2004). La cour recommanda que le juge de fond établisse une liste récapitulative avant de se prononcer sur l'admissibilité des expertises, en incluant des points comme le fait que l'expert exerçait ou non en tant que praticien clinique lorsqu'il a rendu son expertise. En général, la cour devra réunir les experts afin de préparer leurs déclarations sur les questions donnant lieu à accord ou désaccord.

59 Une solution procédant d'un raisonnement logique dépend également de la construction et de la qualité des instructions données par le juge dans son récapitulatif au jury (un aspect-clé du procès anglais où il n'est pas requis du jury qu'il donne les motivations de sa décision) :

60 « Nous indiquons l'importance de deux points du récapitulatif concernant de tels cas. Premièrement, il ne faut pas négliger la possibilité d'une cause inconnue. Dans les cas où cette possibilité est vraisemblable, elle doit être rappelée au jury. Il doit être indiqué aux jurés qu'à moins que les preuves ne les conduisent à exclure toute possibilité d'une cause inconnue ils ne peuvent pas prononcer une condamnation. Dans les cas où ceci est pertinent, il doit être rappelé au jury que la science médicale progresse et que ce qui était précédemment considéré comme inconnu peut par la suite être connu et identifié [...] Deuxièmement, le jury a besoin d'instructions pour savoir comment prendre en compte des expertises contradictoires [...] Dans les affaires où les expertises sont déterminantes, il est inadéquat d'indiquer au jury de prendre en compte les expertises comme dans n'importe quelle autre affaire pénale. Il est déjà très difficile pour les juges aux affaires familiales, malgré leur expérience, d'expliquer leurs motivations pour accepter ou rejeter des expertises contradictoires. Nous estimons que, dans des affaires exigeant un niveau de preuve plus élevé, on ne devrait pas laisser les jurés dans la perplexité quant à la formation d'une impression générale. La conclusion ne peut pas se fonder sur une simple impression [...] Si la question se pose, il devrait être demandé au jury d'évaluer si l'expert a, au cours de son expertise, endossé le rôle d'un avocat influencé par la partie dont il défend la cause. Si la question se pose, il devrait être demandé au jury d'évaluer si le témoin est sorti de son champ d'expertise. Le jury doit examiner les fondements de l'avis. Le témoin peut-il fonder son avis sur une source reconnue, ayant fait l'objet d'un examen par des pairs ? L'expérience clinique du témoin est-elle récente et équivalence à celle des experts qu'il cherche à contredire ? [...] Une impression générale ne peut jamais remplacer une analyse rationnelle. Il n'est pas requis des jurés qu'ils fournissent les motivations de leurs conclusions. Néanmoins, le juge doit les guider en identifiant les raisons qui permettent d'accepter ou de rejeter des expertises contradictoires sur lesquelles se fondent les parties » (§ 217 à 220).

61 Le plus étonnant dans ces affaires était le nombre d'experts appelés à la barre, sans même parler de ceux attendus en appel. Dans l'affaire Butler, le procureur a présenté quinze experts médicaux et la défense trois. La Cour a raison d'insister sur la nécessité du contrôle judiciaire et de la compréhension des enjeux.

C - Autres évolutions

62 Le Sentencing Guidelines Council (Conseil des directives en matière de fixation des peines) qui a joué un rôle important dans l'élaboration de lignes directrices (et non des lignes de tram !) a été remplacé depuis avril 2010 par le nouveau Sentencing Council qui dispose d'un rôle et de pouvoirs plus importants que l'organe précédent. Il a pour attributions de contrôler l'application et les effets de ses lignes directrices (guidelines), de promouvoir la connaissance de ses lignes directrices et de préparer ce que le conseil nomme « des évaluations d'impact des lignes directrices en matière de fixation de la peine sur les ressources correctionnelles » ainsi que des propositions de réformes [10].


Date de mise en ligne : 01/04/2019

https://doi.org/10.3917/rsc.1104.0951

Notes

  • [1]
    Les lecteurs qui souhaiteraient obtenir plus d'informations peuvent contacter l'auteur à l'adresse suivante : nmp21@cam.ac.uk
  • [2]
    www.cps.gov.uk/legal/a_to_c/bribery_act_2010/
  • [3]
    CEDH, 27 nov. 2008, n° 36391/02, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; GAPP, 7e éd. 2011, n° 27.
  • [4]
    Les ramifications en Écosse sortent du périmètre de cette chronique, mais ceux qui seraient intéressés peuvent lire l'article de Pamela R. Ferguson, Repercussions of the Cadder Case : the ECHR's fair trial provisions and Scottish criminal procedure, Criminal Law Review, [2010] 743-757.
  • [5]
    R (on the application of Noone) (FC) (Appellant) v The Governor of HMP Drake Hall and another (Respondents), [2010] UKSC 30. On appeal from 2008 EWCA Civ 1097.
  • [6]
    V. Buxton, Criminal Law Review [2009] 233.
  • [7]
    Pour ces applications jurisprudentielles, V. Padfield [2009] 9 Archbold News 6.
  • [8]
    V. Unjust Deserts: imprisonment for public protection, 2010, disponible à l'adresse internet suivante : www.prisonreformtrust.org.uk/uploads/documents/unjustdesertsfinal.pdf
  • [9]
    Disponible sur : www.judiciary.gov.uk/docs/judgments_guidance/sentencing-remarks-thomas-lj-innospec.pdf
  • [10]
    Le site internet du Sentencing Council constitue une bonne source d'informations pour toute personne intéressée par la détermination de la peine en droit anglais : V. www.sentencingcouncil.org.uk

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