Couverture de CIVIT_042

Article de revue

L’apport des parties à la qualité de l’instruction

Pages 49 à 62

Notes

  • [1]
    CE, Ass., 30 décembre 2014, Bonnemaison, n° 381245, Rec., p. 443, concl. R. KELLER ; AJDA, 2015, p. 769, chron. J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE ; RFDA, 2015, p. 67, concl. R. KELLER ; D., 2015, p. 81, obs. F. VIALLA ; Dr. adm., 2015, p. 29, note G. EVEILLARD.
  • [2]
    CE, 18 novembre 2015, M. C., n° 388891 ; CAA Nancy, 24 octobre 2017, Mme A., n° 16NC00073.
  • [3]
    H. BERTHÉLÉMY, Traité élémentaire de droit administratif, 7e éd., Paris, LGDJ, 1913, p. 981.
  • [4]
    J. APPLETON, Traité élémentaire de contentieux administratif : compétence, juridiction, recours, Paris, Dalloz, 1927, p. 323.
  • [5]
    On se souviendra que l’instruction prend fin, au Conseil d’État, à l’issue de l’audience (CJA, art. R. 613-5).
  • [6]
    CE, Sect., 19 novembre 1993, Mlle Brutus, n° 100288, Rec., p. 321.
  • [7]
    Cons. const., déc. n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, Rec. Cons. const., p. 110 ; RFDA, 1990, p. 143, note B. GENEVOIS ; RFDC, 1990, p. 122, note L. PHILIP.
  • [8]
    CEDH, 18 février 1997, Nideröst Huber c. Suisse, aff. n° 18990/91, Rec., p. 101.
  • [9]
    D. CHAUVAUX, concl. Sur CE, 29 juillet 1998, Esclatine, Rec., p. 320.
  • [10]
    CE, Sect., 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352247, Rec., p. 167 ; AJDA, 2013, p. 1276, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU.
  • [11]
    CJA, art. R. 732-1 et R. 733-1.
  • [12]
    J.-M. SAUVÉ, « La justice prédictive », intervention à l’occasion du colloque organisé pour le bicentenaire de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation le 12 février 2018.
  • [13]
    CE, 14 juillet 1819, Aubry c. de Villeneuve.
  • [14]
    CJA, art. L. 741-2.
  • [15]
    E. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, tome 1, Paris, Berger-Levrault, 1887, p. 289.
  • [16]
    CE, 8 décembre 2000, Szmaja, n° 183836, Rec., T., p. 1153.
  • [17]
    S. DELIANCOURT, « Jusqu’où peut aller le juge dans la bienveillance à l’égard d’une partie ? », AJDA, 2011, pp. 58 et s.
  • [18]
    J. RAYMOND, « De la confection d’une alidade contentieuse », JCP adm., 26 avril 2010, 2145.
  • [19]
    CE, 13 mars 2013, Sté La Grande Charrière, n° 344603, Rec., T., pp. 785-786.
  • [20]
    CJA, art. R. 411-1.
  • [21]
    CE, 19 novembre 2014, Chambre de commerce et d’industrie de Rennes, n° 361270, Rec., T., pp. 490 et 780.
  • [22]
    CJA, art. R. 222-1-7°.
  • [23]
    M. REVERT, « Les moyens inopérants sont-ils vraiment tous inoffensifs ? », AJDA, 2011, pp. 771 et s.
  • [24]
    CE, 14 mars 2001, Consorts Bureau et a., n° 204073, Rec., T., p. 1138.
  • [25]
    CE, 2 juin 2010, Fondation de France, n° 318014, Rec., p. 176 ; AJDA, 2010, p. 1828, note D. BAILLEUL.
  • [26]
    Notamment, A. CIAUDO et A. FRANK, « Pour l’utilisation de l’estoppel dans le procès administratif », AJDA, 2010, pp. 479 et s.
  • [27]
    CJA, art. R. 612-6.
  • [28]
    CJA, art. R. 611-8-1.
  • [29]
    L. M. de CORMENIN, Droit administratif, tome 1, Paris, Pagnerre et Thorel, 1840, p. 87.
  • [30]
    H. BERTHÉLÉMY, Traité élémentaire de droit administratif, op. cit., p. 982.
  • [31]
    J. APPLETON, Traité élémentaire de contentieux administratif : compétence, juridiction, recours, op cit., p. 323.
  • [32]
    M. GUYOMAR et B. SEILLER, Contentieux administratif, 4e éd., Paris, Dalloz, 2017, pp. 384 et s. ; M. DEGUERGUE, « Les principes directeurs du procès administratif » in P. GONOD, F. MELLERAY et P. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, tome II, Paris, Dalloz, 2011, pp. 576 et s.
  • [33]
    X. DOMINO et A. BRETONNEAU, chron. sous CE, Sect., 19 avril 2013, Chambre de commerce et d’industrie d’Angoulème, AJDA, 2013, p. 1276 ; Jean-Marc SAUVÉ, « Le nouveau procès administratif », discours aux Troisièmes États généraux du droit administratif, 27 septembre 2013.
  • [34]
    Sur cette question, notamment, A. MEYNAUD-ZEROUAL, L’office des parties dans le procès administratif, Thèse dactyl., Paris II, 2017, pp. 528 et s.
  • [35]
    CE, Ass., 13 juillet 2016, M. Czabaj c. Ministre de l’Economie et des Finances, n° 387763, Rec. ; AJDA, 2016, p. 1629, chron. L. DUTHEILLET de LAMOTHE et G. ODINET ; RGD, 2016, notes Ph. COSSALTER et P. CAILLE.
  • [36]
    CE, Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n° 414583, Rec. ; AJDA, 2018, p. 1206, chron. S. ROUSSEL et C. NICOLAS ; RFDA, 2018, p. 649, concl. A. BRETONNEAU.
  • [37]
    Cass. civ. 1re, 7 juin 2005, Bull. civ. I, n° 241 ; D., 2005, p. 2470, note M. A. BOURSIER ; RTDciv, 2006, p. 151, obs. R. PERROT ; Dr. et proc., 2006, p. 35, note N. FRICERO.
  • [38]
    CJA, art. R. 831-1.
  • [39]
    S. GUINCHARD, Droit processuel, 9e éd., coll. Précis, Paris, Dalloz, 2017, p. 1309.
  • [40]
    Pour le Conseil d’État : CJA, art. R. 834-1. Pour les juridictions spécialisées, notamment : CJF, art. L.315-3 (cour de discipline budgétaire et financière), art. L. 243-2 (chambres régionales des comptes) et art. R. 143-1 (Cour des comptes) ; CESEDA, art. R. 733-6 (Cour nationale du droit d’asile) ; CSP, art. 4126-53 (chambres disciplinaires des professions médicales).
  • [41]
    CE, Sect., 16 mai 2012, Serval, n° 331346, Rec., p. 225 ; AJDA, 2012, p. 1397, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU ; RFDA, 2012, p. 730, concl. C. ROGER-LACAN.
  • [42]
    CE, 22 juin 1934, Guien, n° 19027, Rec., p. 726.
  • [43]
    CE, 4 mai 1835, Gilbert Lefort, Rec., p. 327 ; CE, 21 juillet 1972, Poujol, n° 80722, Rec., p. 593.
  • [44]
    CE, 23 février 1949, Bertereau, n° 86406, Rec., p. 90.
  • [45]
    CE, 25 juin 1958, Sté des automobiles Berliet, n° 6991, Rec., p. 386, concl. A. BERNARD.
  • [46]
    CE, Sect., 5 décembre 1975, Murawa, n° 93814, Rec., p. 634.
  • [47]
    CE, Sect., 5 avril 1996, Treiber, n° 093234, Rec., p. 122.
  • [48]
    CE, 27 octobre 2004, Frédéric X., n° 360995.
  • [49]
    A. PLANTEY, « La preuve devant le juge administratif », JCP G, 1986, I, 3245.
  • [50]
    A. MEYNAUD-ZEROUAL, L’office des parties dans le procès administratif, op. cit., pp. 633 et s.
  • [51]
    M. WALINE, note sous CE, 11 mai 1973, Sanglier, RDP, 1973, p. 1747.
  • [52]
    R. CHAPUS, Contentieux administratif, 13ème éd., Paris, Montchrestien, 2008, p. 811.
  • [53]
    CJA, art. R. 621-1 et s.
  • [54]
    CJA, art. 622-1.
  • [55]
    CJA, art. R. 623-1 et s.
  • [56]
    CJA, art. R. 626-1.
  • [57]
    CJA, art. R. 624-1.
  • [58]
    CJA, art. R. 625-2 et R. 625-3.
  • [59]
    CE, Ass., 30 octobre 2009, Perreux, n° 298348, Rec., p. 407, concl. M. GUYOMAR ; AJDA, 2009, p. 2391, chron. S.-J. LIÉBER et D. BOTTEGHI ; RFDA, 2009, p. 1276, chron. T. RAMBAUD et A. ROBLOT-TROISIER, et 2010, p. 126, note M. CANEDO-PARIS ; D., 2010, p. 553, note G. CALVES.
  • [60]
    CE, 26 novembre 2012, Cordière, n° 354108, Rec., p. 394 ; AJDA, 2012, p. 2373, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU.
  • [61]
    CE, Sect., 1er octobre 2014, Erden, n° 349560, Rec., p. 288 ; AJDA, 2014, p. 2185, chron. J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE.
  • [62]
    X. DOMINO et A. BRETONNEAU, « Miscellanées contentieuses », chron. sous CE, 26 novembre 2012, Cordière, préc.
  • [63]
    N. CARPENTIER-DAUBRESSE, « Pouvoir ou devoir d’instruction du juge administratif ? », AJDA, 2014, p. 1143.
  • [64]
    M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 2e éd., Paris, Larose et Forcel, 1893, p. 723.

1Pas plus qu’ils ne consacrent d’importance à la « qualité de la justice administrative », ni le code de justice administrative ni la jurisprudence administrative ne se sont sérieusement emparés de la question de la « qualité de l’instruction ». Cette question, certes, n’est pas totalement ignorée. En effet, dans sa décision Bonnemaison du 30 décembre 2014, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État a admis que le juge, dans le cadre du contentieux disciplinaire, puisse « surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal lorsque cela lui paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice » [1]. En les distinguant formellement, ce considérant de principe qui, au demeurant, n’a été repris depuis qu’à deux occasions [2], évince cette idée qui, par intuition, aurait consisté à fondre la notion de qualité de l’instruction dans celle de bonne administration de la justice. Et tout se passe finalement comme si les caractères généraux bien connus de la procédure administrative juridictionnelle, l’inquisitoire et le contradictoire en l’occurrence, suffisaient à garantir la qualité de l’instruction.

2C’est en tous cas l’appréhension du contentieux administratif qui paraît s’être dégagée, de longue date, en doctrine. Pour Berthélémy, par exemple, la procédure civile souffrait du travail des avoués auxquels les parties étaient tenues de recourir :

3

« chacun des avoués ne représentant que son client, ne cherche pas à faire la lumière sur le litige, mais seulement à établir la supériorité de sa cause sur la cause adverse. Il emploie à cette fin toutes les ressources de la procédure, qui sont, de la sorte, non des garanties de clarté et de simplicité, mais des armes de combat » [3].

4Cette référence aux « armes de combat » était partagée par Appleton, lequel n’hésitait pas, pour sa part, à présenter la procédure inquisitoire, organisée en contentieux administratif, comme « très supérieure » à la procédure accusatoire consacrée en procédure civile, en ce que celle-ci conférait au juge un rôle central quand celle-là souffrait du rôle jugé néfaste des avoués, qui étaient « personnellement intéressés à la multiplication des actes » [4].

5Les caractères généraux de la procédure administrative juridictionnelle constitueraient donc bien le point d’ancrage de la qualité de l’instruction sans qu’il ne soit besoin d’en consacrer davantage la notion, laquelle n’apporterait sans doute, aux yeux du Conseil d’État, que trop peu. En dépit de ce qu’elle n’a reçu qu’une consécration marginale par la jurisprudence (ce qui suffit néanmoins à affirmer son existence), la notion de « qualité de l’instruction », en procédure administrative comme ailleurs, n’en est pas moins cruciale. Déjà convient-il de rappeler que la qualité de l’instruction en conditionne la célérité, avec en toile de fond l’enjeu, si important et si connu, de la durée raisonnable de jugement des affaires. Les manœuvres dilatoires et les lenteurs de l’une ou l’autre des parties – sinon les deux – attentent de ce point de vue à la qualité de l’instruction.

6Mais l’enjeu est encore celui du fond. En effet, comme on le sait parfaitement, l’instruction est la période qui autorise la présentation des moyens en demande comme en défense, et où le juge peut encore ordonner des mesures d’instruction. A ce titre, et bien qu’il ne faille pas trop hâtivement négliger ces échéances ultérieures que sont l’audience publique [5] et le délibéré, l’instruction constitue la période clé, celle durant laquelle l’essentiel se joue. En d’autres termes, l’instruction conditionne l’issue du litige, et c’est d’ailleurs en ce sens que le juge de la pleine juridiction n’a, parfois, pas d’autre choix que de rouvrir l’instruction lorsque survient un changement de circonstances de fait ou de droit [6]. La qualité de l’instruction concourt donc, mécaniquement mais résolument, à la qualité de la décision juridictionnelle.

7Le procès administratif est avant toute chose l’affaire des parties. Et ceci justifie que l’instruction, aux termes de l’article L. 5 du code de justice administrative, soit contradictoire. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement, le Conseil constitutionnel concevant la contradiction comme le moyen de garantir les droits de la défense [7] et la Cour européenne des droits de l’homme y voyant un « principe fondamental du procès équitable » [8]. Ce principe commande que les parties soient informées et puissent discuter de l’ensemble des éléments sur lesquels le juge peut se fonder pour statuer, sans toutefois aller jusqu’à concerner « l’acte même de juger » [9], ce qui distrait du champ de la contradiction le rapport du rapporteur autant que les conclusions du rapporteur public [10] même si, depuis 2009, il est loisible aux parties de répondre au rapporteur public lors de l’audience [11]. La portée de cette exigence procédurale doit être bien comprise : ce sont les parties qui nourrissent l’instruction, le juge, dans son office, se contentant de mettre en œuvre ses pouvoirs inquisitoriaux toutes les fois où l’instruction se révèle insuffisante. C’est dire l’influence que les parties exercent sur la qualité de l’instruction.

8A bien y regarder, cette influence se manifeste au moins à deux égards. D’une part, la qualité de l’instruction dépend de la qualité de l’argumentation déployée par les parties qui déterminent le degré d’intelligibilité de l’instruction (I). D’autre part, nonobstant les pouvoirs d’instruction dévolus au juge administratif, la manifestation de la vérité dépend grandement de ce comment les parties appréhendent le procès et, suivant qu’elles adoptent une posture constructive ou non au cours de l’instruction, en renforcent ou en altèrent la sincérité (II).

I – L’influence exercée par les parties sur l’intelligibilité de l’instruction

9La meilleure argumentation d’une partie est celle qui, suffisamment convaincante, est de nature à infléchir le positionnement de la partie adverse et la conduire, suivant les cas, à accepter ce qui est demandé, à se désister, ou à transiger. L’argumentation vise encore, pour peu que le contentieux subsiste, à convaincre le juge. Il y a sans doute beaucoup à dire sur la justice prédictive et, d’ailleurs, sans doute moins à redouter qu’on se plait à prétendre aujourd’hui. Reste que, comme le rappelait le Président Jean-Marc Sauvé,

« le développement des algorithmes prédictifs ne doit pas aboutir à ce que l’intelligence artificielle se substitue, à terme, à l’analyse juridique et au raisonnement personnel du juge. […] L’intelligence artificielle et l’intelligence humaine doivent se combiner et se renforcer mutuellement, la première ne pouvant prétendre remplacer l’autre » [12].
C’est bien à une intelligence humaine que les parties s’adressent au cours de l’instruction, et elles doivent, à ce titre, s’employer à se faire comprendre de cette intelligence, ce à quoi la forme (A) et la pertinence (B) de l’argumentation contribuent utilement.

A – La forme des écritures, vecteur d’une correcte appréhension de l’argumentation

10Appréhender la forme de l’argumentation, c’est d’abord exalter les vertus du beau en adossant le propos sur l’intersubjectivité qui sous-tend tout procès, lequel demeure une affaire humaine. De bonnes écritures sont d’abord de belles écritures. Et, sans être rigoureusement déterminantes, les qualités formelles des écritures en renforcent le crédit.

11De belles écritures, ce sont des écritures qui ne versent pas dans l’invective. On sait le juge administratif foncièrement soucieux du principe de légalité. On n’ira certes pas jusqu’à soutenir qu’il est rétif à toute considération d’équité, mais il reste peu enclin à statuer sur la base de faits dont il peut concevoir, en son for intérieur, qu’ils constituent les motifs sur lesquels la décision litigieuse repose, si la preuve en ce sens ne lui est pas apportée. La posture ne pouvant, dans ces conditions, tenir lieu d’argumentation, il est inutile de hausser le ton et feindre, avec plus ou moins de conviction, l’indignation dans l’espoir d’influer sur l’issue du litige. Il est, à plus forte raison, inutile de basculer dans la discourtoisie. Au demeurant, suivant en cela un principe déjà très ancien [13], le juge peut prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, sans préjudice d’une éventuelle condamnation à des dommages-intérêts [14].

12De belles écritures, ce sont encore des écritures qui placent leur auteur dans les meilleures conditions pour se faire comprendre du juge. Cette rigueur – le Président Laferrière la réclamait déjà en son temps [15] – est à l’évidence appréciée des magistrats. Elle commande ainsi de ne plus parler de mémoire ampliatif mais de mémoire complémentaire, et de se conformer ainsi à la terminologie consacrée par le code de justice administrative. Elle commande de ne plus parler de « frais irrépétibles » – puisque, précisément, ils ne le sont plus depuis la loi du 31 décembre 1987 – mais de « frais exposés et non compris dans les dépens ». On ne doit d’ailleurs plus conclure à la condamnation de la partie adverse au paiement de ces frais mais on doit préférer demander que ces frais soient mis à la charge de la partie adverse.

13On ne saurait déceler ici la marque d’un formalisme abêtissant auquel les parties seraient soumises à l’excès. Car, précisément, la jurisprudence révèle que le juge administratif, s’il reste évidemment sensible aux qualité formelles des écritures, n’impose pas un corpus de contraintes excessives. C’est ainsi que les considérations de fait et de droit peuvent s’entremêler sans encourir le risque d’être écartées [16]. C’est ainsi encore que le juge manifeste une forme certaine de bienveillance à l’égard du requérant [17], surtout lorsque celui-ci n’est pas représenté par un avocat [18]. Le Conseil d’État pousse même cette bienveillance jusqu’à imposer aux juridictions du fond d’interpréter la requête afin de délimiter justement l’objet du litige [19].

14Mais, ici comme ailleurs, la bienveillance du juge ne saurait excéder certaines limites. Déjà faut-il rappeler que, en raison de la prohibition de principe de l’ultra petita, le juge est lié par les conclusions des parties. Il en résulte qu’une requête ne contenant aucune conclusion ne lie pas le contentieux [20]. Il en résulte également, et toujours par exemple, que la demande d’annulation partielle dirigée contre un acte indivisible [21] encoure l’irrecevabilité. Il importe donc aux parties, non seulement de saisir efficacement le juge, mais encore d’apporter le soin nécessaire à la présentation de leurs conclusions.

15La même observation doit être faite à propos des moyens, dont l’importance de leur correcte formulation se manifeste au moins doublement. En premier lieu, une motivation passablement maladroite peut conduire le juge à rejeter la requête sans instruction préalable, en présence de moyens de légalité externe qu’il considère manifestement infondés, de moyens irrecevables, de moyens inopérants ou de moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou qui ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé [22]. En second lieu, une motivation maladroite peut conduire le juge à écarter un moyen, grevant ainsi les chances de succès de la requête. Dès lors, à supposer même qu’elle ait passé le filtre du tri, les chances que la requête a de prospérer pourront dépendre, en partie, de la formulation des moyens qu’elle contient. Certains seront tout simplement, et abruptement, voués au rejet parce que le juge les considèrera inopérants. L’état de la jurisprudence est certes discutable et discuté [23], mais le risque d’inopérance qui découlerait d’une formulation inadéquate du moyen demeure redoutable en ce qu’il n’impose pas au juge, avant de la constater, de livrer son interprétation du caractère inopérant du moyen à la contradiction [24]. Une rédaction maladroite peut également conduire, non plus à l’inopérance d’un moyen mais à son rejet au fond.

16Suivant la jurisprudence du Conseil d’État, en effet,

17

« il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d’écarter de lui-même, quelle que soit l’argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l’argumentation qu’il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétention » [25].

18C’est dire si la qualité des écritures est le vecteur d’une correcte appréhension, par le juge, de l’argumentation. Mais elle crée encore les conditions d’une procédure contradictoire satisfaisante.

B – La pertinence des écritures, vecteur d’un correct déroulement de la contradiction

19L’intelligibilité de l’instruction dépend également de la pertinence de l’argumentation, celle-ci devant exposer tout ce qui est utile et rien que ce qui est utile. Certains pourront regretter que l’estoppel n’ait pas, pour l’heure, été consacré en contentieux administratif [26]. Il y aurait sans doute quelque bienfait pour le procès administratif à contraindre les parties à davantage de cohérence. Mais comme le droit positif y invite, il ne s’agit pas de s’y attarder. Tout au plus admettra-t-on ici que la cohérence des écritures des parties concourrait, par elle-même, à un meilleur déroulement de la contradiction.

20Tout ce qui est utile… Cela suppose que chaque partie au procès administratif produise à l’instance. Or, comme on le sait, tel n’est pas toujours le cas. Sans doute le code de justice administrative règle-t-il la difficulté en disposant que, dans pareille hypothèse, la partie défaillante sera réputée avoir acquiescé aux faits exposés [27]. Reste que le silence gardé par le défendeur nuit à la qualité de l’instruction. Tout ce qui est utile, cela suppose encore que l’ensemble des éléments de fait et de droit soient livrés à la contradiction le plus rapidement possible. L’enjeu n’est pas seulement celui de la célérité de l’instruction. C’est également une question d’intelligibilité. Or, certains requérants ont assurément trop cru qu’une « stratégie » contentieuse augmenterait leur chance de succès. En échelonnant leur production, ceux-là escomptent peut-être provoquer ce qu’ils espèrent être le « coup de théâtre » et susciter ainsi, sinon un effet psychologique, à tout le moins une lecture favorable pour eux du dossier. C’est oublier que l’instruction est rarement continue et que le rapporteur examine le dossier lorsque celui-ci est déjà bien étayé et qu’il reste, en tout état de cause, insensible à ce genre de manœuvre.

21Rien que ce qui est utile… De même que la nature a horreur du vide, le contentieux, pour sa part, a horreur de l’inutile. Le juge administratif est ainsi naturellement soucieux de ne pas prescrire des mesures d’instruction inutiles, dont la seule finalité serait dilatoire ou frustratoire. La qualité de l’instruction n’y gagnerait rien. La qualité de l’instruction ne gagne pas davantage en présence de parties dont la tentation, comme cela arrive, est de faire feu de tout bois, préférant en dire trop de peur de ne pas en dire assez. L’inconvénient d’une telle démarche est de favoriser les vaines discussions sur des points accessoires, voire étrangers au litige. Il est de créer des abcès dans des instructions déjà lourdes, au risque de perdre de vue l’essentiel. Typiquement, par exemple, les requérants ont trop souvent tendance à arguer du détournement de pouvoir alors que, comme on le sait, c’est un positionnement statistiquement peu opportun qui ne fait que distraire les protagonistes du procès de ce qui mérite d’être discuté. Il est vrai qu’une solution a été trouvée, qui offre au juge la possibilité de demander aux parties la production de mémoires récapitulatifs [28]. Cette solution proposée par le pouvoir réglementaire n’est cependant pas la réponse à toutes les difficultés : d’une part, encore faut-il que le juge mette en œuvre un tel pouvoir, d’autre part, rien ne s’oppose à ce que la partie concernée maintienne l’ensemble de ses moyens.

22De ce qui précède, il résulte clairement que les parties sont susceptibles de contribuer à l’intelligibilité de l’instruction comme de lui nuire, sans bien évidemment que cela puisse aller jusqu’à détourner le juge de son office. Mais les parties contribuent également à la sincérité de l’instruction.

II – L’influence exercée par les parties sur la sincérité de l’instruction

23Cormenin pourfendait déjà en son temps le « demandeur récalcitrant, haineux et de mauvaise foi » [29]. Ils ont toujours existé et existeront probablement toujours. Certains peuvent bien être utiles parfois à la juridiction administrative, comme en attestent certains grands arrêts rendus à l’occasion de contentieux portés devant elle par de tels requérants. Reste que ces derniers ne concourent pas plus fréquemment que les autres à la qualité de l’instruction. Il serait cependant injuste de jeter l’anathème sur les seuls « mauvais » demandeurs. Les administrations défenderesses ne sont pas toujours plus dévouées à cette qualité de l’instruction, pourtant si souhaitable, n’ayant pas davantage le souci de permettre le triomphe de la vérité. C’est l’évidence, il est illusoire d’attendre des parties qu’elles soient chacune, et en toutes circonstances, de bonne foi au cours de l’instance.

24De la bonne foi à la loyauté, il n’y a qu’un pas. L’idée de loyauté des parties dans le procès administratif n’a d’ailleurs jamais été radicalement ignorée par la doctrine. Pour Berthélémy, par exemple, le caractère écrit de la procédure administrative juridictionnelle était une garantie : « c’est la certitude qu’il n’y aura pas de surprise, que tout sera clairement et loyalement invoqué » [30]. Pour Appleton, encore, les règles de procédure avaient été « créées pour assurer la clarté et la loyauté du débat » [31]. Cette référence doctrinale à la loyauté dans le procès administratif restait malgré tout très ponctuelle. La doctrine contemporaine, en revanche, s’en est largement emparée, allant même pour une part d’entre elle jusqu’à considérer proche sa consécration en tant que principe directeur du procès administratif [32], confortée en cela par les prises de position de certains membres du Palais-Royal [33]. Pour l’heure cependant, si un principe de loyauté émerge en contentieux administratif, il est cantonné aux rapports que le juge entretient avec les parties [34].

25Il convient sans doute de se méfier de ces notions dont le droit ne tire que trop peu d’avantages et qui, parfois, sont même susceptibles d’instrumentalisation à des fins contraires à celles qu’on leur assignait initialement. Peu nombreux étaient à cet égard ceux qui avaient imaginé que le principe de sécurité juridique deviendrait un jour le fondement d’une réduction de l’accès au juge, que l’on songe, par exemple, à la jurisprudence suivant laquelle un acte ne peut en principe être attaqué au-delà d’une année [35] ou à celle réduisant de manière toute aussi drastique que critiquable l’exception d’illégalité [36]. Il faut donc se garder d’un excès d’enthousiasme à l’idée d’une consécration du principe de loyauté dans le procès administratif. Mais toute aussi regrettable serait l’occultation de l’importance que la loyauté des débats revêt pour la sincérité de l’instruction. L’appréhension de la question de la loyauté des parties ne peut pas être réduite par le prisme de la célérité, même si cette question est évidemment importante. La loyauté des parties conditionne également la manière avec laquelle le litige sera réglé par le juge.

26On évincera volontairement ici, puisque tel n’est pas le propos, la question de savoir si la loyauté doit être érigée en principe par le juge administratif et on se bornera à admettre que, si, pour l’heure, le code de justice administrative ne connaît pas d’équivalent à l’article 763 du code de procédure civile, lequel confie au juge « la mission de veiller au déroulement loyal de la procédure », il n’en demeure pas moins que la loyauté des parties constitue un complément du caractère inquisitoire de la procédure (B). Et si la jurisprudence administrative ne connaît pas d’équivalent à la jurisprudence judiciaire suivant laquelle le juge est « tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats » [37], on ne saurait pour autant réfuter plus longtemps l’idée que la loyauté des parties intervient au soutien du caractère contradictoire de la procédure (A).

A – La loyauté des parties, au soutien du caractère contradictoire de la procédure

27La contradiction est l’un des paramètres d’une instruction de qualité. En atteste au demeurant le mécanisme de l’opposition consacré par le code de justice administrative, lequel dispose que, devant le Conseil d’État et à l’exception des décisions rendues contradictoirement avec une partie ayant eu le même intérêt qu’elle, il est loisible à la partie défaillante de former opposition [38].

28Par-delà, une instruction de qualité est une instruction exempte de toutes manœuvres dont la seule vocation serait, à terme, de duper le juge. La rigueur des juges chargés de l’instruction et de la révision, la collégialité de la formation de jugement, l’examen de l’affaire par le rapporteur public, l’aménagement de la contradiction sont autant de sécurités garantissant, la plupart du temps en tous cas sans doute, l’inutilité de telles manœuvres. Rien ne s’oppose cependant, et malgré tout, à leur succès. Déjà doit-on rappeler que la formation de jugement n’est pas nécessairement collégiale, et que toute décision juridictionnelle n’est pas invariablement précédée de conclusions du rapporteur public. La rétention d’une présomption de rigueur du rapporteur et du réviseur ne pose pas de difficulté mais, d’une part, il ne saurait s’agir que d’une présomption simple, d’autre part, la rigueur ne saurait être perçue comme un rempart insurmontable à toute forme d’erreur. Reste alors la contradiction… C’est bien, et au premier chef, à chaque partie de combattre les arguments de fait et de droit exposés par la ou les parties adverse(s).

29Mais la contradiction ne saurait pas davantage, par elle-même, tout régler. On ne peut ignorer que le mensonge ou, forme à peine moins blâmable du mensonge, l’omission volontaire de certains faits, sont susceptibles de donner satisfaction à la partie qui en est à l’origine parce que son adversaire sera dans l’impossibilité d’apporter la preuve de ce qu’il sait, qu’il devine ou, plus simplement encore, de ce qu’il ignore.

30Ce serait pure candeur que de dénier aux parties le droit de présenter les faits sous un jour qui leur est favorable et c’est donc avec la plus grande prudence qu’il convient d’appréhender cette idée que « le procès n’est pas un combat comme les autres [et que] tous les coups ne sont pas permis » [39]. Certes, le mensonge de l’avocat se concilie mal avec les règles déontologiques auquel il est soumis, mais encore faut-il que la partie se soit constituée avocat. Certes encore, les textes [40] et la jurisprudence [41] ouvrent, respectivement pour les décisions rendues par le Conseil d’Etat et par les juridictions administratives spécialisées, le recours en révision quand la décision a été rendue sur pièce fausse ou quand une pièce décisive a été retenue par l’adversaire, pour peu que la partie qui exerce ce recours n’ait pas eu connaissance de cette pièce au cours de l’instance initiale [42] ni que, en en ayant eu connaissance, elle en ait demandé la communication [43] en temps utile [44]. Par delà, la circonstance que la partie qui a succombé connaissait par ailleurs l’ensemble des éléments contenus dans la pièce retenue fait obstacle à l’admission du recours en révision [45]. Sans doute l’élément intentionnel importe-t-il peu ici et il n’est pas nécessaire, à ce titre, que la rétention ait été opérée afin de l’emporter au contentieux. Reste que l’obligation pèse sur l’administration de produire spontanément toute pièce nécessaire au jugement de l’affaire, à peine de justifier le recours en révision [46], peu importe ici que l’administration ait été dans l’impossibilité de produire une pièce qu’elle aurait dû détenir [47], ou encore qu’une disposition législative ou réglementaire lui ait fait l’obligation de conserver [48]. Malgré tout, et là encore, les textes ne constituent qu’une réponse imparfaite aux manœuvres critiquables des parties, étant entendu que la découverte ultérieure du fait n’est pas une fatalité et que la réformation de la décision juridictionnelle entreprise n’interviendra, le cas échéant, qu’à une date bien trop tardive.

31C’est donc à une conclusion sans doute moins juridique, mais toute aussi évidente, qui s’impose : le principe du contradictoire implique la loyauté des parties [49]. Toute la difficulté réside dans ce que le choix des armes constitue « une limite à la loyauté des débats » [50]. On connait le fameux mot : « quand l’administration perd ses dossiers, elle perd ses procès » [51]. On n’est jamais allé jusqu’à imaginer une formule suivant laquelle, quand l’administration ne verse pas spontanément à l’instruction l’ensemble des éléments qu’elle détient, elle perd ses procès… C’est conceptuellement dommage, c’est sans doute pratiquement raisonnable… On mesure dès lors toute l’importance du caractère inquisitorial de la procédure administrative juridictionnelle, auquel la loyauté des parties constitue d’ailleurs un utile complément.

B – La loyauté des parties, en complément du caractère inquisitorial de la procédure

32Le juge ne doit statuer « qu’en aussi bonne connaissance de cause que possible » [52] et cela suppose qu’il soit, au moment de clore l’instruction, parfaitement éclairé. Puisque, comme il a été dit, le caractère contradictoire des débats est impuissant, seul, à le placer dans cette situation, le caractère inquisitorial de la procédure s’avère nécessaire. Le code de justice administrative comme la jurisprudence rendent théoriquement possible – mais théoriquement seulement – son épanouissement.

33Le code de justice administrative octroie au juge, quoiqu’il n’y ait là rien de spécifique au contentieux administratif, le pouvoir de mettre en œuvre des mesures d’instruction. C’est ainsi que le juge peut se forger sa conviction à la faveur notamment de l’expertise [53], de la visite des lieux [54], de l’enquête [55], de la vérification de documents administratifs [56], de la vérification d’écritures [57], des amicii curiae[58]. Ces différentes mesures d’investigation susceptibles d’être ordonnées sont indéniablement précieuses. Mais, et on le regrettera, s’il serait excessif de prétendre que le juge n’y a jamais recours, il serait tout aussi vain de soutenir que le juge met en œuvre ses pouvoirs dans des proportions suffisantes.

34La jurisprudence administrative, elle aussi, confère au juge des pouvoirs de nature à assurer sa meilleure connaissance des faits. Le perfectionnement des règles classiques de la charge de la preuve est connu et, comme on le sait, au moins dans le contentieux de l’excès de pouvoir, la charge de la preuve s’est transformée en charge de l’allégation. Le Conseil d’Etat considère, en effet, que « de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction » [59], qu’il

35

« revient au juge de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur » [60].

36Et, plus largement,

37

« il appartient au juge administratif, dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d’ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime nécessaires à la solution du litige [afin] de vérifier les allégations des requérants et d’établir sa conviction » [61].

38Le caractère inquisitorial de la procédure administrative juridictionnelle distrait-il de la question de la qualité de l’instruction celle du comportement des parties ? On ne saurait l’affirmer. En effet, comme les chroniqueurs à l’AJDA ont pu le rappeler, la mise en œuvre des pouvoirs généraux d’instruction des requêtes « n’a rien de systématique » et « c’est au juge, en conscience, et en fonction de la qualité du débat contradictoire qui se déroule spontanément devant lui, d’apprécier la nécessité d’une intervention de sa part » [62]. Autrement dit, trois cas de figure se distinguent. Si le demandeur ne parvient pas à faire naître un doute chez le juge, ce dernier restera passif. Si le demandeur expose des éléments de nature à éveiller l’intérêt du juge et que le défendeur ne parvient pas à le convaincre de l’inanité de ces assertions, sa propension à ordonner des mesures d’instruction sera accrue. Si le défendeur parvient à démontrer sa bonne foi et sa propension à éclairer utilement le juge, celui-ci renoncera spontanément – mais à des degrés variables suivant sa « culture » [63] – à ses velléités inquisitoriales. Voilà donc affirmé, en tout état de cause, l’apport des parties à la qualité de l’instruction…

39Le doyen Hauriou l’affirmait, dans des termes finalement immuables : « les parties ou leurs représentants stimuleront le juge, le juge surveillera les parties » [64]. Le procès administratif est donc moins la chose du juge que le préjugé séculaire le laisse classiquement entendre. Nul besoin ici de juridiciser un quelconque principe de loyauté – ce serait inverser la cause et l’effet – pour parvenir à ce constat simple : par la qualité de leurs écritures, par la qualité de leur comportement, les parties concourent à la qualité de l’instruction. Essentiellement d’ordre éthique, cette considération ne peut être qu’imparfaitement saisie par le droit. Elle n’en reste pas moins fondamentale pour le contentieux administratif.


Date de mise en ligne : 23/07/2019

https://doi.org/10.3917/civit.042.0049

Notes

  • [1]
    CE, Ass., 30 décembre 2014, Bonnemaison, n° 381245, Rec., p. 443, concl. R. KELLER ; AJDA, 2015, p. 769, chron. J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE ; RFDA, 2015, p. 67, concl. R. KELLER ; D., 2015, p. 81, obs. F. VIALLA ; Dr. adm., 2015, p. 29, note G. EVEILLARD.
  • [2]
    CE, 18 novembre 2015, M. C., n° 388891 ; CAA Nancy, 24 octobre 2017, Mme A., n° 16NC00073.
  • [3]
    H. BERTHÉLÉMY, Traité élémentaire de droit administratif, 7e éd., Paris, LGDJ, 1913, p. 981.
  • [4]
    J. APPLETON, Traité élémentaire de contentieux administratif : compétence, juridiction, recours, Paris, Dalloz, 1927, p. 323.
  • [5]
    On se souviendra que l’instruction prend fin, au Conseil d’État, à l’issue de l’audience (CJA, art. R. 613-5).
  • [6]
    CE, Sect., 19 novembre 1993, Mlle Brutus, n° 100288, Rec., p. 321.
  • [7]
    Cons. const., déc. n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, Rec. Cons. const., p. 110 ; RFDA, 1990, p. 143, note B. GENEVOIS ; RFDC, 1990, p. 122, note L. PHILIP.
  • [8]
    CEDH, 18 février 1997, Nideröst Huber c. Suisse, aff. n° 18990/91, Rec., p. 101.
  • [9]
    D. CHAUVAUX, concl. Sur CE, 29 juillet 1998, Esclatine, Rec., p. 320.
  • [10]
    CE, Sect., 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352247, Rec., p. 167 ; AJDA, 2013, p. 1276, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU.
  • [11]
    CJA, art. R. 732-1 et R. 733-1.
  • [12]
    J.-M. SAUVÉ, « La justice prédictive », intervention à l’occasion du colloque organisé pour le bicentenaire de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation le 12 février 2018.
  • [13]
    CE, 14 juillet 1819, Aubry c. de Villeneuve.
  • [14]
    CJA, art. L. 741-2.
  • [15]
    E. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, tome 1, Paris, Berger-Levrault, 1887, p. 289.
  • [16]
    CE, 8 décembre 2000, Szmaja, n° 183836, Rec., T., p. 1153.
  • [17]
    S. DELIANCOURT, « Jusqu’où peut aller le juge dans la bienveillance à l’égard d’une partie ? », AJDA, 2011, pp. 58 et s.
  • [18]
    J. RAYMOND, « De la confection d’une alidade contentieuse », JCP adm., 26 avril 2010, 2145.
  • [19]
    CE, 13 mars 2013, Sté La Grande Charrière, n° 344603, Rec., T., pp. 785-786.
  • [20]
    CJA, art. R. 411-1.
  • [21]
    CE, 19 novembre 2014, Chambre de commerce et d’industrie de Rennes, n° 361270, Rec., T., pp. 490 et 780.
  • [22]
    CJA, art. R. 222-1-7°.
  • [23]
    M. REVERT, « Les moyens inopérants sont-ils vraiment tous inoffensifs ? », AJDA, 2011, pp. 771 et s.
  • [24]
    CE, 14 mars 2001, Consorts Bureau et a., n° 204073, Rec., T., p. 1138.
  • [25]
    CE, 2 juin 2010, Fondation de France, n° 318014, Rec., p. 176 ; AJDA, 2010, p. 1828, note D. BAILLEUL.
  • [26]
    Notamment, A. CIAUDO et A. FRANK, « Pour l’utilisation de l’estoppel dans le procès administratif », AJDA, 2010, pp. 479 et s.
  • [27]
    CJA, art. R. 612-6.
  • [28]
    CJA, art. R. 611-8-1.
  • [29]
    L. M. de CORMENIN, Droit administratif, tome 1, Paris, Pagnerre et Thorel, 1840, p. 87.
  • [30]
    H. BERTHÉLÉMY, Traité élémentaire de droit administratif, op. cit., p. 982.
  • [31]
    J. APPLETON, Traité élémentaire de contentieux administratif : compétence, juridiction, recours, op cit., p. 323.
  • [32]
    M. GUYOMAR et B. SEILLER, Contentieux administratif, 4e éd., Paris, Dalloz, 2017, pp. 384 et s. ; M. DEGUERGUE, « Les principes directeurs du procès administratif » in P. GONOD, F. MELLERAY et P. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, tome II, Paris, Dalloz, 2011, pp. 576 et s.
  • [33]
    X. DOMINO et A. BRETONNEAU, chron. sous CE, Sect., 19 avril 2013, Chambre de commerce et d’industrie d’Angoulème, AJDA, 2013, p. 1276 ; Jean-Marc SAUVÉ, « Le nouveau procès administratif », discours aux Troisièmes États généraux du droit administratif, 27 septembre 2013.
  • [34]
    Sur cette question, notamment, A. MEYNAUD-ZEROUAL, L’office des parties dans le procès administratif, Thèse dactyl., Paris II, 2017, pp. 528 et s.
  • [35]
    CE, Ass., 13 juillet 2016, M. Czabaj c. Ministre de l’Economie et des Finances, n° 387763, Rec. ; AJDA, 2016, p. 1629, chron. L. DUTHEILLET de LAMOTHE et G. ODINET ; RGD, 2016, notes Ph. COSSALTER et P. CAILLE.
  • [36]
    CE, Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n° 414583, Rec. ; AJDA, 2018, p. 1206, chron. S. ROUSSEL et C. NICOLAS ; RFDA, 2018, p. 649, concl. A. BRETONNEAU.
  • [37]
    Cass. civ. 1re, 7 juin 2005, Bull. civ. I, n° 241 ; D., 2005, p. 2470, note M. A. BOURSIER ; RTDciv, 2006, p. 151, obs. R. PERROT ; Dr. et proc., 2006, p. 35, note N. FRICERO.
  • [38]
    CJA, art. R. 831-1.
  • [39]
    S. GUINCHARD, Droit processuel, 9e éd., coll. Précis, Paris, Dalloz, 2017, p. 1309.
  • [40]
    Pour le Conseil d’État : CJA, art. R. 834-1. Pour les juridictions spécialisées, notamment : CJF, art. L.315-3 (cour de discipline budgétaire et financière), art. L. 243-2 (chambres régionales des comptes) et art. R. 143-1 (Cour des comptes) ; CESEDA, art. R. 733-6 (Cour nationale du droit d’asile) ; CSP, art. 4126-53 (chambres disciplinaires des professions médicales).
  • [41]
    CE, Sect., 16 mai 2012, Serval, n° 331346, Rec., p. 225 ; AJDA, 2012, p. 1397, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU ; RFDA, 2012, p. 730, concl. C. ROGER-LACAN.
  • [42]
    CE, 22 juin 1934, Guien, n° 19027, Rec., p. 726.
  • [43]
    CE, 4 mai 1835, Gilbert Lefort, Rec., p. 327 ; CE, 21 juillet 1972, Poujol, n° 80722, Rec., p. 593.
  • [44]
    CE, 23 février 1949, Bertereau, n° 86406, Rec., p. 90.
  • [45]
    CE, 25 juin 1958, Sté des automobiles Berliet, n° 6991, Rec., p. 386, concl. A. BERNARD.
  • [46]
    CE, Sect., 5 décembre 1975, Murawa, n° 93814, Rec., p. 634.
  • [47]
    CE, Sect., 5 avril 1996, Treiber, n° 093234, Rec., p. 122.
  • [48]
    CE, 27 octobre 2004, Frédéric X., n° 360995.
  • [49]
    A. PLANTEY, « La preuve devant le juge administratif », JCP G, 1986, I, 3245.
  • [50]
    A. MEYNAUD-ZEROUAL, L’office des parties dans le procès administratif, op. cit., pp. 633 et s.
  • [51]
    M. WALINE, note sous CE, 11 mai 1973, Sanglier, RDP, 1973, p. 1747.
  • [52]
    R. CHAPUS, Contentieux administratif, 13ème éd., Paris, Montchrestien, 2008, p. 811.
  • [53]
    CJA, art. R. 621-1 et s.
  • [54]
    CJA, art. 622-1.
  • [55]
    CJA, art. R. 623-1 et s.
  • [56]
    CJA, art. R. 626-1.
  • [57]
    CJA, art. R. 624-1.
  • [58]
    CJA, art. R. 625-2 et R. 625-3.
  • [59]
    CE, Ass., 30 octobre 2009, Perreux, n° 298348, Rec., p. 407, concl. M. GUYOMAR ; AJDA, 2009, p. 2391, chron. S.-J. LIÉBER et D. BOTTEGHI ; RFDA, 2009, p. 1276, chron. T. RAMBAUD et A. ROBLOT-TROISIER, et 2010, p. 126, note M. CANEDO-PARIS ; D., 2010, p. 553, note G. CALVES.
  • [60]
    CE, 26 novembre 2012, Cordière, n° 354108, Rec., p. 394 ; AJDA, 2012, p. 2373, chron. X. DOMINO et A. BRETONNEAU.
  • [61]
    CE, Sect., 1er octobre 2014, Erden, n° 349560, Rec., p. 288 ; AJDA, 2014, p. 2185, chron. J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE.
  • [62]
    X. DOMINO et A. BRETONNEAU, « Miscellanées contentieuses », chron. sous CE, 26 novembre 2012, Cordière, préc.
  • [63]
    N. CARPENTIER-DAUBRESSE, « Pouvoir ou devoir d’instruction du juge administratif ? », AJDA, 2014, p. 1143.
  • [64]
    M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 2e éd., Paris, Larose et Forcel, 1893, p. 723.

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