Notes
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[1]
Cette recherche fait suite à un appel d’offre de la Commission Recherche et Développement du Club 92, département des relations Universités-entreprises du Conseil Général des Hauts-de-Seine.
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[2]
Nous traiterons ici des représentations des jeunes majeurs condamnés sur la préparation à la sortie de prison, concernant leurs discours sur les réponses institutionnelles, voir à ce sujet les chapitres consacrés à la mise en place des services pénitentiaires d’insertion et de probation et aux perceptions des dispositifs par les travailleurs sociaux et les jeunes majeurs condamnés dans le rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[3]
Ce constat est observé comparativement aux résultats d’une recherche précédente réalisée avec des détenus de toutes classes d’âges confondues (voir le rapport de recherche « La notion de réinsertion dans l’exécution de la peine privative de liberté. Le cas particulier des établissements pénitentiaires à gestion mixte. » Centre de Droit pénal et de Criminologie Université Paris X-Nanterre, Equipe Poitevine de Recherches et d’Etudes Doctorales en Sciences Criminelles Université de Poitiers, Equipe de Recherche sur la Politique Criminelle Université Montpellier I, 1999.)
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[4]
Sur le sens de la notion de réinsertion pour les détenus voir O.S Liwerant, « Paroles de détenus », Archives de Politique Criminelle n° 22, 2000.
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[5]
Les mots en italique sont les termes extraits des entretiens avec les jeunes majeurs condamnés, dont la très grande majorité a été rencontrée dans quatre maisons d’arrêt de la région parisienne.
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[6]
Le terme « chômage » est utilisé beaucoup plus fréquemment par les personnes ayant déjà eu une expérience qu’ils considèrent comme professionnelle, ce qui exclut les stages, ou les « petits boulots » occasionnels contrairement à de « vrais contrats » incluant le travail en intérim très valorisé chez les jeunes. Les interlocuteurs utilisent le mot « chômage » essentiellement quand ils considèrent qu’ils font partie des « actifs » ou bien en désignant la population active générale de laquelle ils sont exclus et de manière encore plus marginale que les chômeurs. La vie active s’oppose au chômage, et en l’absence d’expérience professionnelle le terme le plus exact est le non-emploi.
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[7]
Cette adéquation est formulée principalement par les primaires, les récidivistes, et ceux n’ayant pas d’expérience professionnelle, ce qui tend à démontrer que l’expérience personnelle n’est pas tant significative que la réception de ce discours.
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[8]
Voir à ce sujet le chapitre consacré au sens de la préparation à la sortie de prison pour les travailleurs sociaux, rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[9]
Ibid.
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[10]
Lorsque les travailleurs sociaux explicitent la conception de leur mission et l’évolution de leur pratique professionnelle, ils rappellent sans cesse le changement de titre en 1993 « d’éducateurs » en « Conseillers d’Insertion et de Probation ».
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[11]
Voir le chapitre « Un territoire réduit » du rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[12]
Nous traitons ici des représentations du prononcé de la sanction, concernant leurs perceptions de l’exécution de la peine, voir à ce sujet la partie consacrée à la sanction, rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[13]
La garde à vue est généralement l’expérience rédhibitoire qui les conduit à critiquer la police et à affirmer que le plus difficile dans le processus judiciaire n’est pas tant l’incarcération que la garde à vue.
1Cet article propose de présenter quelques résultats d’une recherche réalisée par le Centre de Droit Pénal et de Criminologie de l’Université Paris X-Nanterre [1] sur les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés en région parisienne. La problématique de cette recherche consistait à analyser l’interface entre le dedans et le dehors et de rechercher les dynamiques observables entre l’incarcération et le retour à la vie libre. Les entretiens effectués avec les jeunes majeurs condamnés permettent d’envisager la préparation à la sortie de prison à partir des perceptions des destinataires et de les confronter avec les réponses institutionnelles mises en œuvre [2].
2Les discours des jeunes majeurs condamnés requièrent d’envisager le lien dedans/dehors au regard du rôle de l’institution de la prison au sein de la société. Si les jeunes majeurs peuvent s’adapter à leur interlocuteur et produire un discours répondant aux demandes institutionnelles, ces contraintes ne guident pas forcément leur discours [3]. Lorsqu’ils refusent d’adopter une stratégie conforme aux attentes institutionnelles, ils justifient leur position et insistent plus fréquemment sur les contradictions du système social et judiciaire. Les jeunes majeurs se situent moins dans une logique de « concession », sont plus radicaux, et ils confrontent les travailleurs sociaux aux paradoxes du discours sur l’insertion sociale, auxquels s’ajoutent les difficultés supplémentaires tenant à leurs expressions verbales et comportementales désorientant l’établissement d’une relation. Cependant, on ne saurait confondre leur registre d’expression (vocabulaire, facultés de maîtrise du comportement) avec une déficience du langage ou une absence de propos.
3C’est pourquoi, la mise en relation de divers thèmes soulevés par les jeunes majeurs condamnés sur la préparation à la sortie permet d’envisager une nouvelle perspective de la problématique du lien établi, ou à établir, entre le dedans et le dehors. Deux niveaux de réponses peuvent être dégagés : d’une part, ils désignent spontanément des exigences acquises qui restent à atteindre et d’autre part, au fil des entretiens, ils insistent sur des éléments qui apparaissent comme des prérequis nécessaires au sens de la préparation à la sortie de prison.
I – Les exigences d’une préparation à la sortie de prison
4S’intéresser au lien dedans/dehors nécessitait de déterminer les demandes, les attentes et les besoins des jeunes majeurs incarcérés en matière de suivi post-pénal. La préparation à la sortie de prison interroge les frontières de la prison et requiert d’analyser les dynamiques entre « prison » et, implicitement, « réinsertion » [4]. La relation entre ces termes est traduite dans un premier temps par l’existence d’un emploi et d’un suivi à la sortie de prison.
A – Le rôle de l’emploi
5Le travail [5] constitue spontanément la réponse unanime des jeunes majeurs condamnés. Cependant, ce consensus ne saurait établir une équivalence de sens entre emploi et préparation à la sortie de prison ou réinsertion. Que désigne alors le terme « emploi » ?
6L’emploi demeure le modèle d’une « vie normale » et se présente comme la base d’un parcours de réinsertion préparé dès l’incarcération, pour lequel il est nécessaire d’avoir un travail. Cette référence à la « normalité », décrite par une vie réglée autour du travail, prédomine largement dans le discours des condamnés.
7Le discours des jeunes majeurs correspond au modèle social de la norme dominante, les références sont analogues, même si quelques-uns refusent de rentrer dans ce schéma.
8En ce sens, la plupart des jeunes majeurs réitèrent le discours qui tend à établir un lien de causalité inexorable entre non-emploi [6] et récidive [7]. La représentation de cette équivalence permet d’identifier les causes et la dynamique de leur parcours. Certains ont le sentiment que l’inoccupation et leur réseau relationnel conduisent immanquablement à une incarcération, alors qu’un emploi les soustrairait à un tel processus. Les entretiens révèlent une attente et un besoin de repères ou de certitudes qu’il faille les soutenir ou les combattre. L’emploi est la seule possibilité d’obtenir des ressources sans prendre le risque d’une nouvelle incarcération, ou représente une « valeur » essentielle, même si leur activité professionnelle est peu valorisante. La recherche d’un emploi reste essentielle même si le travail ne fait pas forcément sens.
9Un premier niveau de discours présente l’emploi comme l’obtention d’un salaire, seule source financière légale. Les problèmes financiers à la sortie de prison sont souvent présentés comme une cause principale des récidives, ce qui les conduit souvent à souligner les difficultés pour accéder à une indépendance, ou encore l’engrenage du « business », ce qui renvoie, dans un deuxième temps, à s’interroger sur la représentation de l’argent.
10Outre, la nécessité vitale de se nourrir, de se loger, le pouvoir d’achat qu’il confère, l’argent est perçu comme un moyen, voire le seul moyen, d’accéder à un certain pouvoir et de jouir d’une certaine puissance. L’argent peut être l’expression d’une revanche sociale. L’argent permet d’afficher un signe d’accès aux valeurs consuméristes. Certains discours vont jusqu’à une dénégation de tout ce qui relève du registre des relations, valorisant quasi exclusivement le montant des sommes possédées. Ces derniers éludent tout registre autre que pécuniaire et sont généralement exprimés par des jeunes vivant plus ou moins chez leurs parents et non par ceux n’ayant aucune ressource ou sans domicile fixe. Les affaires constituent une activité lucrative et certains considèrent le business soit comme une phase transitoire, soit comme une manifestation d’une délinquance alimentaire existante, soit, encore comme la possibilité de détenir une somme d’argent suffisamment importante pour « démarrer dans la vie ». Le business est considéré comme une ressource complémentaire en cas de besoin, et s’apparente à un « travail au noir ». Le trafic est présenté comme le seul moyen de se procurer de l’argent, étant donné leur faible qualification. D’autres calculent la proportion entre la somme procurée grâce « aux affaires » et le risque d’une condamnation, voire d’une peine privative de liberté. La spécificité de ces gains oblige à considérer une nouvelle catégorie, celle des « ressources », différenciée de celle des « revenus », le travail devient un élément sans lien avec le salaire, dissociant argent et salaire, et travail et salaire. Cette problématique est particulièrement cruciale en ce qu’elle émane d’individus qui ne sont ni contradiction avec les valeurs sociales ni en révolte contre les modèles sociaux, et qui, loin de les remettre en cause, cherchent à les reproduire avec leurs propres moyens plutôt qu’à les combattre. Si « révolte » il y a, c’est en réponse, et généralement peu en réaction « idéologique », au modèle d’une société salariale de type industriel qu’ils ont assimilé et qu’ils ne peuvent intégrer et trouvent une alternative, certes illégale mais dont le but poursuivi est cohérent avec les valeurs sociales. Si une lecture clinique permettait d’analyser ce qui fonde un tel rapport à la loi, à l’argent, une dimension plus « anthropologique » interroge le modèle qu’offre la société. Quel est le projet de société ? Quelles valeurs et contre-valeurs véhicule-t-elle ? Quelles sont les possibilités d’y parvenir ?
11Les valeurs transmises par le modèle social permettent, non seulement de fonder un parcours de réinsertion, mais aussi d’avoir une fonction de repère dans une représentation de la sortie de prison. L’idée d’obtenir un emploi permet de situer l’incarcération dans un temps révolu et de s’inscrire dehors. Le travail peut être le centre d’un projet de sortie, mais constitue aussi un soutien dans le sens où « un possible » est envisageable quand ils se situent dans un temps qui semble immobile. Il s’agit moins de se projeter dans une vie future avec un emploi, dans le sens de la construction d’un parcours, que d’avoir à sa disposition une image permettant d’imaginer un autre lieu permettant l’alternative d’un autre espace que celui de la détention et correspond à la possibilité d’une autre dimension spatiale et temporelle du Sujet.
12L’affirmation consensuelle de l’importance de l’emploi démontre la reproduction et la transmission des valeurs sociales, malgré les représentations sociales communes des jeunes délinquants. Néanmoins, si cette conformité à la norme sociale dominante ne se situe pas forcément dans une perspective de soumission, ou de révolte, elle demeure un signe d’intégration de ce qui fait le vecteur de la vie sociale. Ce discours, conforme au discours social, est intégré et retransmis. Le contexte économique a précipité la question de l’utilité sociale des citoyens à celle de l’utilité des individus.
13Au-delà du statut social, et des ressources, le travail permet d’être actif. Cette expression, ou encore faire quelque chose, signifient autant percevoir des revenus, qu’occuper son temps, ne pas rester inoccupé. De plus, le travail permet d’accéder à des compétences impliquant une revalorisation, d’autant que beaucoup cherchent à prouver (à leurs parents principalement) qu’ils sont capables de faire autre chose. Pour beaucoup, leurs revenus permettent d’être indépendants ainsi que de subvenir aux besoins de leur famille. Cette indépendance est cruciale dans la problématique adolescente et pour certains, l’incarcération ne leur permet plus de revenir dans le foyer familial parfois par honte, ou bien par volonté de rompre avec leur vie précédant leur incarcération. D’autres encore, soulignent que le travail est un engagement et le contrat de travail, une confiance accordée, mais cet engagement peut constituer une difficulté à s’investir dans des relations professionnelles anxiogènes.
14Avoir une activité est associée à l’idée de refaire sa vie. Ce désir correspond en général à la matérialisation d’une rupture avec la vie qu’ils ont mené jusqu’à présent. Cette expression est souvent synonyme de donner une direction à sa vie. La plupart des jeunes rencontrés signalent que leur emploi du temps n’est rythmé par aucune référence si ce n’est celle de leur proche environnement duquel ils ne sortent que très peu et qui est renforcé par la territorialisation de l’univers connu, matérialisée par des frontières urbaines. La question du temps rejoint souvent celle de la liberté, au sens où elle renvoie à la question du choix, de l’orientation et du sens de leur vie, entendu comme direction et signification.
B – Le suivi, moteur du lien dedans/dehors
15Le suivi est plus rarement cité spontanément mais, les détenus le considèrent, a posteriori, comme l’élément fondamental d’une préparation à la sortie de prison, peut-être même avant l’emploi, permettant l’interface entre le dedans et le dehors. Les jeunes majeurs énoncent l’importance du suivi en dénonçant son absence. En d’autres termes, ils déplorent la carence d’interlocuteurs auxquels ils peuvent se référer, les travailleurs sociaux étant spécialement désignés. Préparer la sortie de prison signifie alors « être bien suivi ».
« La priorité c’est un revenu, je ne sais pas mais pour moi y’en a la nécessité. S’il n’y a pas de travail, pas de salaire, comment il va faire ? Pour moi, c’est la justice qui le remet dans la justice. Et puis y’en a ils sont trop seuls. La solitude… la solitude c’est très fort à supporter. Quand on sort en fin de peine, on est pas suivi rien. Il faut arrêter de remettre les moutons dans la prairie, peut-être il faut continuer à voir avec lui. Si on a su le punir, on pourrait peut-être l’aider. »
17Les détenus insistent sur le rôle d’un soutien en prison et à l’extérieur. Le soutien en détention, et particulièrement l’appui familial a une fonction « constructrice », notamment pour ne pas accentuer un processus de dévalorisation ou la reprise d’une image négative. Seule la présence d’interlocuteurs et l’instauration d’un lien et d’un accompagnement permettent de soutenir une évolution et non pas d’enregistrer une rupture que l’incarcération peut entériner.
18Si le suivi en prison est indispensable, à la sortie il devient fondamental car c’est à ce moment qu’ils sont confrontés à leurs difficultés. Les détenus formulent plus ou moins implicitement des attentes adressées aux travailleurs sociaux, formulées par les nombreux « il faudrait que ». Qu’entendent-ils donc par un « vrai suivi » ?
19Le suivi signifie la présence d’un interlocuteur à l’extérieur, les condamnés investissent alors le rôle des travailleurs sociaux. Le travailleur social ouvrirait un espace de confiance, dans un moment, où bien souvent, ils ne savent pas ce qu’ils désirent, ni ne savent où aller, au sens propre comme au sens figuré. Il constituerait un appui ayant pour fonction de représenter un garde-fou contre « la rue » et un repère symbolique.
20Les condamnés utilisent très fréquemment les verbes « s’intéresser » et « s’occuper », essentiellement pour décrire ce qu’ils entendent par suivi. Ils insistent sur la nécessité de « connaître » le condamné, ce qui signifie, selon eux, s’intéresser à la personne au-delà de ses actes délictueux. Ils font part du sentiment de ne représenter qu’un dossier, un dossier pénal, et non un Sujet. « Croire en eux » est une autre expression très fréquemment utilisée. En relation avec la présomption de discrédit qu’ils ressentent, ils expriment l’idée que les travailleurs sociaux leur renvoient une image bloquant toute évolution, les travailleurs sociaux n’offrant pas le crédit d’un possible. Ils ont le sentiment que le « potentiel » laisse place au « définitif » qui clôt leur situation. Pour les condamnés, le suivi s’apparente à une relation de confiance permettant d’être l’objet de l’intérêt des travailleurs sociaux. Ils ont le sentiment que leur parole est disqualifiée, alors qu’un « suivi véritable » signifierait un espace de parole rendu possible par une confiance réciproque. Ils insistent sur l’existence d’un interlocuteur qui leur faciliterait un travail de revalorisation. Ce souhait d’un espace d’échange et cette demande d’interlocuteurs qui « s’occupent d’eux », les « estiment » révèlent une attente d’un lien dont la nature cache parfois une demande affective importante.
21Le rôle des travailleurs sociaux est essentiellement constitué par la préparation des aménagements de peine qui, en détention, équivaut souvent à la préparation à la sortie. Pourtant, quand certains décrivent une relation de confiance à laquelle ils attribuent leur évolution et envisageant une « deuxième chance », la plupart décrie l’absence de relation interpersonnelle renforçant le sentiment d’un contrôle, l’action des travailleurs sociaux n’ayant qu’une seule visée normative. Cette attente d’une ouverture à travers une relation de confiance et leurs réticences à formuler une demande particulièrement dans une relation d’aide institutionnalisée posent la question de la situation de demandeurs et de sa réception par les travailleurs sociaux. La seule problématique de l’insertion est-elle adaptée ? La fonction des travailleurs sociaux est-elle compatible avec ces attentes, proches d’un engagement thérapeutique ? Comment répondre à ce type de transfert et que devient le rôle des travailleurs sociaux ?
22Certains condamnés expriment l’idée que les travailleurs sociaux ont une représentation homogène d’un groupe « jeunes majeurs condamnés » et ils tentent de faire prévaloir leur personnalité singulière en dépit des parcours qui peuvent paraître semblables. Ils regrettent que certains travailleurs sociaux et magistrats succombent à cette représentation en raison des déceptions antérieures favorisant, selon les condamnés, une décrédibilisation de la parole de l’ensemble des jeunes majeurs, voire un désinvestissement. Si les jeunes majeurs veulent « prouver » qu’ils ne sont pas uniquement délinquants, ils attendent des travailleurs sociaux la démonstration de leurs intentions et doivent gagner leur confiance, établissant une proposition « chacun doit prouver à l’autre », révélant un effet du processus de stigmatisation.
23Ces discours interrogent la nature de la relation entre le travailleur social et le condamné (ou le prévenu) et les méthodologies d’intervention sociale, la formation et le profil des travailleurs sociaux. En effet, la nécessité d’un suivi à l’extérieur est largement soulignée par les travailleurs sociaux et inscrit une priorité de l’Administration pénitentiaire, interrogeant ainsi les raisons de ce décalage.
24La nature intangible du travail social [8] fait apparaître deux conceptions de la fonction du travailleur social privilégiant tantôt la rencontre éducative tantôt l’accès aux droits et aux dispositifs s’apparentant davantage à un objectif qu’à un instrument d’accompagnement. Pourtant, les travailleurs sociaux sont désorientés par la base de la relation avec le condamné – au cœur du travail social – et par l’évolution des problématiques posées par les jeunes majeurs [9] qu’ils doivent « conseiller » [10]. Les pratiques des travailleurs sociaux révèlent une individualisation des propositions pour intégrer un dispositif qui, bien souvent se fonde sur une détermination objective des besoins ou des demandes.
25Cette « désorientation » des travailleurs sociaux face aux jeunes majeurs, renforce la question du sens des visées de la réinsertion alors entendue « en creux » par la non-récidive. Cette définition engage une pratique des travailleurs sociaux centrée autour d’axes de travail analogues. L’appartenance institutionnelle des travailleurs sociaux les conduit à accentuer leur travail sur le passage à l’acte et constitue une véritable spécificité pénitentiaire, sur laquelle se greffent parfois d’autres notions tels le contrôle ou la protection de l’ordre public.
26Faire appliquer une peine est considéré comme le fil conducteur du travail social. Le mandat judiciaire permet de légitimer l’intervention des travailleurs sociaux, de poser un cadre et de travailler les limites et plus largement la place de la « loi ». La fonction symbolique de la loi et l’expression de son lieu deviennent « pédagogiques », particulièrement face à une incompréhension de la violence et/ou des problématiques des jeunes majeurs. Par conséquent, le travail sur le passage à l’acte est généralement perçu comme la base et le préalable de toute démarche d’insertion et la spécificité méthodologique de ces travailleurs sociaux. Certains établissent une interdépendance entre le travail sur le passage à l’acte, le contrôle et la protection de l’ordre public, et déduisent une dimension de « contrôle » de leur mission, quand d’autres recherchent la responsabilisation du condamné. Le discours selon lequel les droits et les obligations engagent un rapport de réciprocité, incite à un droit à l’insertion et une contractualisation du travail social tendant à devenir un corollaire du principe de responsabilisation. Ce dernier a souvent pour corrélât d’instituer une pédagogie faisant largement appel à la notion de projet pourtant maintes fois ébranlée tant par la situation de contrainte du condamné (que signifie instiguer, proposer un projet ?) que par la possibilité de construire un « projet » (tentant de délimiter la frontière entre le projet professionnel et le projet de vie) là où il n’y a qu’enfermement (quelle projection possible avec les effets de l’incarcération), et où la réinsertion est essentiellement définie comme une lutte contre les effets désocialisants de la prison (les travailleurs sociaux s’accordent à dire qu’un projet en prison reste virtuel). La notion de projet implique bien souvent la nécessité d’une demande interprétée sous le prisme du degré de motivation présenté, jusqu’à présent véritable concept d’intervention sociale.
II – Les obstacles au sens d’une préparation à la sortie de prison
27Les seuls éléments constitutifs de la préparation à la sortie ne rendent compte que partiellement du sens de la préparation à la sortie et d’autres éléments peuvent entraver la signification de cette démarche. Les jeunes majeurs soulèvent des contradictions tenant à la situation de l’incarcération et précisent que pour la préparation à la sortie, les difficultés ne concernent pas tant la prison que celles de leur vie libre, ce qui nécessite d’élargir l’objet « prison » [11]. Leurs perceptions sont centrées essentiellement sur leurs représentations de la justice et du droit et sur les contradictions sociales concentrées sur leur territoire, représentant une société au sein de laquelle ils ne trouvent pas de place. Ainsi les difficultés engendrées par l’enfermement pour se projeter à l’extérieur et la perception du prononcé de la sanction, distincte de son exécution, apparaissent comme des préalables pour considérer le sens d’une préparation de sortie de prison.
A – Envisager le dehors du dedans
28Concevoir ce que recouvre la préparation à la sortie ne peut faire l’abstraction de l’incarcération. L’analyse des modalités d’un accompagnement à la sortie de prison ne peut être réduite au passage du dedans vers le dehors dans un sens d’une succession d’événements vécus.
29De nombreux détenus présentent le suivi comme un élément participant au lien entre le dedans et le dehors et comme le garde-fou d’une éventuelle récidive pour les jeunes. Cependant, ce suivi indispensable, se heurte à la volonté de rompre avec l’univers pénitentiaire. Les condamnés désirent établir une relation, et beaucoup souhaitent dans le même temps rompre totalement avec tout ce qui appartient à la prison, et plus largement, au monde judiciaire. Ils veulent couper leur vie de celle de la détention, l’incarcération doit rester entre les murs de la prison. Ainsi, la nécessité d’un suivi est formulée simultanément à son rejet, caractérisant leur volonté d’oublier la prison et se détacher de toutes traces et signes.
« Pour moi la réinsertion c’est une nouvelle vie, j’ai l’impression de revivre. […] J’ai envie de recommencer tout à zéro, pour tout, que ce soit les relations, l’appartement, par rapport à mon travail. Je veux tout oublier de la prison, et quand je sortirai je brûlerai tout, les lettres, tout… […] Quand je vais sortir je sais que je vais pas me retourner, je veux qu’il y ait une barrière entre le passé et moi. »
31Certains détenus distinguent explicitement la réinsertion de la préparation à la sortie de prison ou encore la réinsertion d’ici de la vraie réinsertion. Ils entendent par là que la réinsertion recouvre ce qui va réellement se passer dehors et la préparation à la sortie concerne le dispositif à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, ou encore le projet qu’ils peuvent mettre en place dedans et mis à l’épreuve dehors, d’autres encore désignent la préparation à la sortie de prison par la réadaptation à l’extérieur, distincte de la réinsertion.
« Tout dépend comment qu’on est soutenu en détention, l’important c’est le soutien familial, la famille. Préparer la sortie, on entend toujours ça mais préparer sa sortie quand on rentre en prison, ou quand on est en prison c’est pas possible. […] On sort dehors et après on verra. Une sortie quand on sait qu’il reste un ou deux mois à faire, on peut programmer une sortie. »
« La préparation à la sortie ? je ne vais pas vous dire que c’est des belles paroles parce que c’est bien mais en prison… Ça se casse la figure dehors car on a pas la même vie. Le travail c’est surtout dehors qu’il doit être fait. La chose la plus difficile en prison c’est pas la prison, c’est quand on sort. Il faut qu’il y ait des gens à l’écoute, mais en vérité c’est en soi-même. Il faut qu’il y ait des gens, que ce soit un soutien d’une personne qu’on aime. »
33Ils différencient la technique du dispositif du parcours de réinsertion. La réinsertion n’a d’existence qu’à l’extérieur, et ne peut être mise à l’épreuve que dehors. Elle désigne une intégration sociale qui ne peut pas être organisée de la prison. La réinsertion si elle peut se préparer à l’intérieur, par définition, ne peut trouver de réalisation et de sens qu’au-dehors.
« La vraie réinsertion ça commence par un suivi dehors. On peut se préparer ici et on doit se préparer ici mais la vraie réinsertion c’est dehors. »
35L’accompagnement à la sortie ne peut faire fi des modalités possibles pendant l’incarcération d’un lien entre la prison et le dehors. Mais qu’est-il possible d’établir à l’intérieur dans une logique de projection à l’extérieur ? La représentation de la sortie pose la question de la rupture, ou du lien, entre la vie en détention et le retour à la vie libre.
36Les contradictions traversant la signification d’une préparation à la sortie rejoignent celle de la représentation du dehors. L’incarcération est contradictoire avec l’idée même d’une préparation à la sortie de prison. Les difficultés à établir l’interface dedans/dehors se résument à l’affirmation simultanée « ne pas penser à l’extérieur »/« penser à dehors ». Les discours des jeunes majeurs énoncent une série de propositions : il est nécessaire de penser au dehors au risque d’accroître l’enfermement, et dans le même temps, il ne faut pas penser à dehors, sinon « on devient fou ». Les contradictions de ces discours révèlent une ambivalence générée par les effets de l’enfermement, à laquelle s’ajoute la représentation de la sortie.
37« Tout ce qu’on prépare ici dès le premier jour en prison, devant la prison, c’est sûr qu’on va tout oublier, mais si quelqu’un vous suit et continue à vous suivre dehors là on continuera peut-être. C’est important, c’est un soutien un peu psychologique et puis pour trouver quelque chose à l’extérieur, ils essayent de nous motiver à démarrer la vie du bon pied. […] Il faut s’occuper de ça en fin de peine, la liberté ça fait tout oublier. »
« Il y a des stages, l’école, on peut travailler ici, ça peut servir mais j’ai la tête ailleurs. […] Je ne fais que penser à dehors, mais il faut pas, ça fait mal. Mais ne pas penser à dehors c’est s’habituer à ici et c’est souvent revenir en prison. »
39Cette proposition tend à considérer qu’aucun lien ne peut être établi véritablement en termes d’accompagnement sauf peut-être à imaginer qu’une relation de confiance permet d’évacuer cette question. Cette contradiction est au centre de l’interrogation sur l’interface entre le dedans et le dehors et concerne la nature du lien entre la prison et l’extérieur qui peut être établi par les condamnés. Non seulement, la période adolescente doit permettre de donner de telles orientations mais l’enfermement bloque le temps et la capacité à « projeter ». A ce titre, les jeunes détenus décrivent ce temps qui ne semble pas s’écouler, un temps où les jours sont tous identiques et l’on ne saurait exclure ni la subjectivité de l’écoulement du temps (notamment à la période adolescente) ni la spécificité du temps carcéral et les effets du corps enfermé. Si l’on peut s’interroger sur la compatibilité et la signification de préparer une sortie de prison pendant l’incarcération, considérer la préparation à la sortie nécessite d’entrevoir la nature d’un possible en prison, compte tenu des effets de l’incarcération présents dans les discours des détenus qui dénotent le phénomène de « prisonniérisation ».
B – Une justice à deux vitesses
40Le thème de « la justice » s’est révélé central pour les jeunes rencontrés. C’est pourquoi leurs représentations de la justice [12] peuvent être considérées comme un élément fondant leurs positions et comme un élément emblématique des contradictions sociales et réinterrogeant la portée de la sanction et le sens du prononcé de la peine.
41Si les condamnés critiquent le fonctionnement de l’appareil judiciaire, ils ne remettent jamais en question l’idée de la Justice, ni même la légitimité d’une autorité judiciaire. Les critiques des condamnés concernent l’écart entre leur perception de la « Justice » et la réalité des pratiques judiciaires qu’ils constatent. De la même manière, les condamnés ne remettent en cause que très rarement l’existence de l’autorité policière mais ils décrient ses méthodes qu’ils qualifient de discriminatoires et/ou violentes [13].
42La critique du fonctionnement de la justice se fonde principalement sur le sentiment d’une application de la loi qui n’est pas juste. L’idéal du juste passe par une véritable égalité des justiciables qui selon eux fait défaut au système judiciaire. Ils décrivent les inégalités devant la loi et estiment que la justice est le reflet des valeurs de la société qu’ils ne comprennent pas toujours. On perçoit une assimilation entre la Justice et l’application de la loi, qui ne résiste pas à la réalité du procès et de l’exécution de la sanction, mais dont le système judiciaire devrait être le reflet.
43La proportionnalité entre les peines prononcées et les infractions commises est selon eux peu visible, voire incompréhensible.
44Très souvent, les détenus rencontrés comparent le quantum de la peine prononcée à leur égard à celui prononcé pour les auteurs d’infractions sexuelles. Ils critiquent violemment l’écart qu’ils constatent en s’interrogeant sur l’échelle de gravité des infractions des magistrats. Quand certains sont consternés, voire révoltés, d’autres tentent de trouver des explications aux motivations incompréhensibles des magistrats, quand ils ne sont pas déconcertés par la signification qu’ils en retirent, les atteintes contre les personnes seraient-elles considérées comme moins importantes que celles contre les biens ?
45La quasi totalité des personnes rencontrées critique violemment les disparités entre les quanta de peine prononcés pour des infractions commises par les cols blancs, et les infractions commises par des personnes ayant un faible pouvoir économique, générant ainsi une inégalité des justiciables devant la loi. Ces disparités participent largement à remettre en question la légitimité de la sanction prononcée à leur encontre.
46Les jeunes majeurs rencontrés comparent souvent les sommes détournées par les infracteurs économiques et les sommes qu’ils ont pu obtenir par une activité délictueuse et considèrent que l’échelle de valeur des faits commis ne correspond pas au quantum des peines qui devrait être proportionnellement croissant. Ils ont alors le sentiment d’être condamné plus lourdement (les infracteurs économiques étant légèrement condamnés quand ils n’échappent pas aux sanctions pénales) et ils établissent une distinction entre les hommes d’affaires ou les hommes politiques et les personnes issues de milieu plus défavorisés. Les cols blancs ne sont pas jugés avec la même rigueur étant donné leur appartenance au même milieu « socio-culturel » des magistrats ce qui conduit ces derniers à prononcer de faibles sanctions. Les « affaires » sont pour eux l’illustration de la place prépondérante de l’argent, seul signe d’une intégration sociale et de la protection des criminels en col blanc par le système judiciaire.
« Et quand on voit les hommes d’affaires !… C’est pire… Ils ont 2 ans et avec sursis ! et alors que c’est 15 fois notre affaire… Après ils pleurent, faut faire des lois… mais c’est de leur faute quand même. »
48Certains expliquent alors que la justice devrait signifier avoir les mêmes droits quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient. D’autres ont pu définir la liberté comme suit :
« La liberté c’est déjà avoir le droit de s’exprimer, pouvoir se défendre devant la justice. On dit toujours que les bêtes noires c’est nous mais les hommes politiques ils mettent de l’argent de côté, les lois changent mais c’est pour se protéger eux, mais pour nous ça ne change rien. Pourtant on sait qu’ils mangent l’argent et c’est pas l’honnêteté. Pour moi ils jouent avec nous, vas-y j’suis un pion. »
50Ce constat conduit les jeunes majeurs à considérer que la peine prononcée diffère suivant la « qualité » de l’auteur, générant ou renforçant le sentiment d’être condamné plus lourdement parce qu’ils sont issus « de la banlieue », « des cités ». Leur domiciliation, le lieu d’arrestation, ou le lieu de la commission de l’infraction, constituent autant de critères qui président à la décision des magistrats. La « banlieue » résume à elle seule l’origine culturelle, le niveau économique et le milieu social. La représentation de la « banlieue » tend à constituer une « identité » homogène de ceux vivant dans ces communes, assimilés à un profil de délinquant spécifique que le magistrat juge. En outre, ils expriment souvent le sentiment que les magistrats ne les écoutent pas, renforçant ainsi l’idée que ceux issus de la banlieue n’ont pas la parole.
51Le choix de l’avocat, ou plus exactement le recours aux avocats d’office, constitue un élément discriminatoire qui établit une distinction selon le pouvoir économique du prévenu. Le discours sur le rôle de l’avocat, essentiel lors du procès, fait place à une dénonciation des prestations médiocres des avocats commis d’office. Selon les jeunes majeurs, ces avocats ne s’investissent aucunement dans la défense des dossiers confiés par la commission d’office et se limitent à faire acte de présence. Ce constat est le reflet de l’existence d’une justice à deux vitesses, départageant ceux qui ont la possibilité de recourir à un avocat « payant » de ceux qui ne le peuvent pas.
« Avant je tenais à être en dehors de cette société. Maintenant j’ai les deux pieds dedans. Je ne suis pas d’accord avec cette société avec de plus en plus de riches et de pauvres, avec une justice à deux vitesses. » Quelle a été votre expérience ? « J’ai pas eu de rendez-vous avec l’avocat commis d’office avant le jugement. Il est censé me donner des conseils, censé me défendre, c’est pas le rôle de l’avocat que je pensais, en tout cas quand on n’a pas de sous. On connaissait les avocats commis d’office, c’est ceux qui ne disent rien parce qu’ils ne connaissent pas la personne. Ça m’a encore plus foutu les boules avec la justice. Heureusement que j’avais changé d’optique à ce moment-là sinon j’aurais eu encore plus la haine, ça aurait pu avoir l’effet inverse. Quand on n’a pas de sous, on n’est pas défendu. Il y a forcément une justice pour ceux qui ont des sous et une justice pour ceux qui n’en ont pas, or on est censé être tous égaux devant la loi. »
53Le dernier élément discriminatoire soulevé par les condamnés concerne la prise en compte de l’origine culturelle et/ou géographique du prévenu. La majorité des interlocuteurs rencontrés soulignent que le racisme contribue largement à faire condamner plus lourdement une personne d’origine étrangère qu’une personne d’origine française pour une même infraction. Ces remarques sont très largement formulées par des personnes d’origine française qui critiquent alors le principe d’une discrimination positive, toute discrimination, de quelque nature qu’elle soit entache le principe d’égalité devant la loi que doit représenter la justice.
54Si ces analyses et perceptions ne sont pas nouvelles on ne saurait négliger ses conséquences, car selon les condamnés, ce constat discrédite l’action judiciaire et la portée de la sanction qui semble de moins en moins importante au fur et à mesure que s’accroît le constat des inégalités.
55La dénonciation de l’exclusion est insuffisante, voire contribue à entériner l’écart entre les utiles et les autres, sentiment souligné par les jeunes majeurs. Le travail considéré comme l’élément sans lequel rien n’est possible, devient secondaire au regard de l’exigence d’un espace d’échange, le rôle d’interlocuteurs s’apparentant à un vecteur d’intégration. La combinaison de l’emploi et du suivi réclame de s’interroger sur le lien entre ces deux problématiques. Quelles sont les dynamiques qui permettent de faire le lien entre cette ouverture au monde, cette nouvelle vie et l’emploi ou le suivi ? En d’autres termes, comment dégager les conséquences de la fonction intégratrice du travail et identifier d’autres éléments ? Les craintes d’une « installation » dans l’insertion ou dans l’institution judiciaire, voire pénitentiaire, formulées tant par les travailleurs sociaux que par les condamnés peuvent traduire l’existence d’une strate sociale intermédiaire à travers laquelle se joue un nouvel équilibre de la structure sociale. Ce scepticisme conduit les travailleurs sociaux à s’interroger moins sur la fonction du travail social que sur son utilité.
56Ainsi la représentation du droit apparaît comme un élément au même titre que l’exécution de la peine et les difficultés rencontrées à l’extérieur sans lesquels une préparation à la sortie de prison et un accompagnement ne peuvent s’inscrire. Peut-on alors envisager la réinsertion dans une perspective différente de celle inscrite en justification des rationalités de la peine ? En d’autres termes, il ne s’agit pas tant d’affirmer que l’infracteur a, ou n’a pas d’avenir dans l’espace de la société mais de savoir ce que cette position recouvre, non pas tant en termes institutionnels qu’en termes de place sociale, de rapport entre l’Etat et le citoyen et de projet de société.
Notes
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[1]
Cette recherche fait suite à un appel d’offre de la Commission Recherche et Développement du Club 92, département des relations Universités-entreprises du Conseil Général des Hauts-de-Seine.
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[2]
Nous traiterons ici des représentations des jeunes majeurs condamnés sur la préparation à la sortie de prison, concernant leurs discours sur les réponses institutionnelles, voir à ce sujet les chapitres consacrés à la mise en place des services pénitentiaires d’insertion et de probation et aux perceptions des dispositifs par les travailleurs sociaux et les jeunes majeurs condamnés dans le rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[3]
Ce constat est observé comparativement aux résultats d’une recherche précédente réalisée avec des détenus de toutes classes d’âges confondues (voir le rapport de recherche « La notion de réinsertion dans l’exécution de la peine privative de liberté. Le cas particulier des établissements pénitentiaires à gestion mixte. » Centre de Droit pénal et de Criminologie Université Paris X-Nanterre, Equipe Poitevine de Recherches et d’Etudes Doctorales en Sciences Criminelles Université de Poitiers, Equipe de Recherche sur la Politique Criminelle Université Montpellier I, 1999.)
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[4]
Sur le sens de la notion de réinsertion pour les détenus voir O.S Liwerant, « Paroles de détenus », Archives de Politique Criminelle n° 22, 2000.
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[5]
Les mots en italique sont les termes extraits des entretiens avec les jeunes majeurs condamnés, dont la très grande majorité a été rencontrée dans quatre maisons d’arrêt de la région parisienne.
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[6]
Le terme « chômage » est utilisé beaucoup plus fréquemment par les personnes ayant déjà eu une expérience qu’ils considèrent comme professionnelle, ce qui exclut les stages, ou les « petits boulots » occasionnels contrairement à de « vrais contrats » incluant le travail en intérim très valorisé chez les jeunes. Les interlocuteurs utilisent le mot « chômage » essentiellement quand ils considèrent qu’ils font partie des « actifs » ou bien en désignant la population active générale de laquelle ils sont exclus et de manière encore plus marginale que les chômeurs. La vie active s’oppose au chômage, et en l’absence d’expérience professionnelle le terme le plus exact est le non-emploi.
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[7]
Cette adéquation est formulée principalement par les primaires, les récidivistes, et ceux n’ayant pas d’expérience professionnelle, ce qui tend à démontrer que l’expérience personnelle n’est pas tant significative que la réception de ce discours.
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[8]
Voir à ce sujet le chapitre consacré au sens de la préparation à la sortie de prison pour les travailleurs sociaux, rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[9]
Ibid.
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[10]
Lorsque les travailleurs sociaux explicitent la conception de leur mission et l’évolution de leur pratique professionnelle, ils rappellent sans cesse le changement de titre en 1993 « d’éducateurs » en « Conseillers d’Insertion et de Probation ».
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[11]
Voir le chapitre « Un territoire réduit » du rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[12]
Nous traitons ici des représentations du prononcé de la sanction, concernant leurs perceptions de l’exécution de la peine, voir à ce sujet la partie consacrée à la sanction, rapport de recherche « L’accompagnement à la sortie de prison : quel lien dedans/dehors ? Les modalités du suivi post-pénal des jeunes majeurs condamnés. », Centre de Droit pénal et de Criminologie, Université Paris X-Nanterre, 2001.
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[13]
La garde à vue est généralement l’expérience rédhibitoire qui les conduit à critiquer la police et à affirmer que le plus difficile dans le processus judiciaire n’est pas tant l’incarcération que la garde à vue.