Les mots ont un pouvoir performatif redoutable. L’argumentaire de la réforme (du marché du travail, des retraites, de l’assurancemaladie) au cœur des politiques publiques depuis les années 1980 fait un large usage de la « solidarité nationale » avec des « pauvres » ou des « victimes ». Il importe de déconstruire cette solidarité nationale faite de compassion envers des personnes victimisées pour analyser l’idéologie réformatrice, particulièrement perverse dans sa capacité à mobiliser le ressort de la solidarité au service de la réduction des droits sociaux. Davantage : le « pauvre », la « victime » appelant solidarité, sont les figures limite du statut de mineur social dans lequel se trouvent tous les salariés. L’organisation capitaliste du travail, en effet, nie la capacité de production dont sont porteuses les personnes pour ne leur concéder qu’une capacité de gain. L’acteur économique, c’est l’actionnaire ou l’employeur. Les producteurs sont récusés comme tels et réduits à un statut de « demandeurs d’emploi » sur un marché du travail. On ne peut s’attaquer à la racine de la disqualification qui conduit à parler de « travailleurs pauvres » (I), qu’en relevant combien la « solidarité nationale » va à l’encontre de la « solidarité salariale » (II). Le mouvement actuel en faveur d’une soidisante « détaxation du travail », via des exonérations ou réductions des cotisations sociales, conduit de fait à la prise en charge par les contribuables, c’est-à-dire pour l’essentiel par les salariés, des cotisations patronales (III)…